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Ecouter les herbiers de posidonies
25/03/2015

L’acoustique pour détecter l’oxygène gazeux

Le système d’optodes est donc l’une des méthodes les plus robustes pour mesurer l’oxygène d’un écosystème. Et les données qu’il a récoltées ont contribué à mettre en place une nouvelle méthode de mesure d’oxygène, née de la rencontre entre plusieurs groupes de recherche à la station STARESO. Car c’est en pouvant comparer leurs résultats à ceux d’un système aussi fiable que celui des optodes que des physiciens portugais ont pu mener à bien leur recherche. Cette fois-ci, il ne s’agissait plus d’optique, mais d’acoustique. Et la méthode, si elle n’est pas encore calibrée, pourrait se greffer en parallèle aux optodes, apportant des observations complémentaires dans une logique de multidisciplinarité.
 
Le dispositif est assez simple à comprendre. La vitesse théorique du son émis dans les eaux étudiées est calculée, tout en tenant compte de mesures réalisées simultanément. Elles envisagent toute une série de données propres au milieu, qui influencent la vitesse de propagation du son (densité, température de l’eau, salinité, pression, qui dépend de la profondeur, et le vent en surface). Parallèlement, un émetteur, ainsi que trois récepteurs (des hydrophones) sont placés sous l’eau à une distance de 122 mètres les uns des autres. Les hydrophones étant regroupés sur un même front, à des profondeurs différentes. L’émetteur diffuse des sons à différentes fréquences et les hydrophones les enregistrent.

En confrontant ce qu’ils ont mesuré à l’aide de leur dispositif aux données théoriques, les chercheurs ont observé que le son se propageait plus lentement dans la pratique, avec des variations de vitesse. « Ces variations coïncidaient avec nos mesures de densité d’oxygène, illustrent Alberto Borges et Willy Champenois. Plus nous observions un taux d’oxygène élevé, plus la vitesse était ralentie. Pourtant, l’oxygène dissous dans l’eau n’influence pas la vitesse du son. Par contre, ce qui peut l’influencer, c’est une présence d’oxygène à l’état gazeux dans la colonne d’eau. Donc une présence de bulles. » C’est une propriété physique liée à une question de densité de la matière. Plus il y a de l’espace sur le trajet du son, plus il est ralenti. Donc, moins un environnement est dense, plus la propagation du son est lente. La vitesse du son est plus lente dans l’air que dans un liquide, et elle l’est encore plus dans un liquide que dans un solide. L’apparition d’oxygène en phase gazeuse constitue donc une barrière qui ralentit la propagation du son plus ou moins fortement selon sa concentration dans la colonne d’eau. « Nous avons été surpris par ces résultats. Notre système ne permet pas de détecter l’oxygène à l’état de bulles, tout comme le système acoustique ne peut déceler l’oxygène dissous dans l’eau. Mais il a permis de mettre en évidence un phénomène que nous n’avions pas anticipé. Nous n’imaginions pas qu’il pouvait y avoir une quantité aussi importante de bulles d’oxygène. Or, nous pensions être capables de dresser un bilan assez complet de la quantité d’oxygène produite et donc de la production primaire de cet écosystème. Cette nouvelle étude a montré que nous avions sous-estimé nos valeurs. » Mieux encore, au levé du soleil, le dispositif acoustique remarquait une augmentation de la formation des bulles d’oxygène là où les optodes n’enregistrait pas encore l’accroissement de l’activité liée au cycle jours/nuit. Il était plus précis que les optodes pour déceler les moments où la photosynthèse se mettait en route.

Une méthode encore embryonnaire

La synergie créée lors de la rencontre à Calvi a permis de mettre en parallèle les données acoustiques et les données obtenues par les optodes, et de remarquer une corrélation entre les variations des deux phénomènes étudiés. Elle permet de mettre en évidence que la production de l’écosystème est plus importante qu’initialement imaginée. Mais la plus-value acoustique présente encore de nombreuses limites. Notamment, elle permet d’observer de manière relative une plus ou moins grande présence de bulles d’oxygène, mais pas d’en calculer la quantité volumétrique d’un point de vue quantitatif, là où les optodes sont assez précis pour évaluer le taux d’oxygène dissous. Il faut encore remarquer que le système est difficile à mettre en place, puisqu’il nécessite la présence permanente de plusieurs physiciens et plongeurs pour placer les micros et récolter les données, ce qui est fort contraignant en regard de l’indépendance des optodes. Pour terminer, la méthode a rencontré des difficultés liées à la présence de nombreux bruits parasites qu’il a fallu discerner lors de l’analyse des enregistrements. Ces sons étaient liés aux courants ou étaient d’origine biologique. Beaucoup de bruits de poissons ont par exemple été enregistrés. L’environnement assez bruyant n’aidait donc pas à identifier l’évolution du son émis et à attribuer à cette variation la part de responsabilité des bulles d’oxygène. Toujours est-il que le dispositif acoustique, encore embryonnaire, apporte des informations complémentaires sur l’activité photosynthétique des herbiers de posidonie. « Dans l’immédiat, concluent les chercheurs, cette technologie n’est pas applicable de manière aussi routinière que les optodes. Il faudrait avant tout éluder les problèmes liés à son indépendance et à la nécessité de quantifier les phénomènes observés. Mais elle nous permet d’écouter les posidonies, et donne à réfléchir à de nouvelles approches. »

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