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Chasse aux pucerons, une histoire de sexe
06/03/2015

En trente ans, la coccinelle asiatique a envahi nos régions, causant bien des dommages écologiques, économiques et sociétaux. Une récente étude pourrait permettre non pas d’éradiquer l’espèce, mais de la mettre au service d’une agriculture biologique. Des chercheurs de l’Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège), en partenariat avec le laboratoire de Chimie Analytique, viennent de découvrir l’existence d’une phéromone sexuelle émise par les coccinelles asiatiques femelles quand elles se trouvent en présence de pucerons. Un signal chimique volatil qui attire les mâles sans détour. L’équipe gembloutoise est la première à mettre en évidence le rôle d’une phéromone sexuelle dans la reproduction des coccinelles. Le bouquet de molécules a été reconstitué en laboratoire et sera testé dans des champs en plein air. Si les tests rencontrent les attentes des chercheurs, la découverte permettra un meilleur contrôle des déplacements de ces coccinelles, et une lutte biologique plus efficace contre les pucerons.   

Coccinelle asiatiqueA la fin des années 1980, des coccinelles asiatiques sont importées en Europe. L’opération doit permettre de lutter biologiquement contre la prolifération des pucerons, petits insectes nuisibles craints des agriculteurs autant que mets délicats des bêtes à bon Dieu. Insecticide naturel, la mission de la coccinelle asiatique est astreinte aux serres et aux milieux d’exploitation clos. Cette espèce exotique ne doit pas se retrouver à l’extérieur, et ne survivrait de toute façon pas aux conditions hivernales de nos régions. Assez rapidement, la théorie est dépassée. Cette incapacité à prévoir l’acclimatation de la coccinelle asiatique avait pourtant été observée dix ans plus tôt aux Etats-Unis. Mais l’Homme n’apprend pas toujours de ses erreurs. Toujours est-il que peu après son introduction, on la retrouve un peu partout, et qu’elle se porte à merveille (lire l’article Le bon Dieu n’avait pas tout prévu…). « Pour survivre aux saisons plus froides, explique Bérénice Fassotte, doctorante à l’Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg), elle entre à l’intérieur des habitations pour hiverner et s’agrège dans les coins des fenêtres, des châssis, derrière les rideaux, et au printemps, elle ressort et se reproduit à l’extérieur. » Qu’une espèce exotique s’acclimate n’est pas a priori problématique. Par contre, cette espèce prolifère rapidement et devient envahissante et destructrice.

Plusieurs impacts négatifs

« Aujourd’hui, la coccinelle asiatique occupe une grande place au sein de nos écosystèmes, explique François Verheggen, chef de travaux à l’Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive. Ce qui implique des dégâts d’ordres différents. Le premier à relever est la prédation sur certaines espèces indigènes. Elles se reproduisent plus vite et leurs larves sont plus voraces. Elles vont jusqu’à se nourrir de larves d’autres espèces de coccinelles. Une thèse de doctorat récemment défendue par Axel Vandereycken a démontré la diminution des espèces locales au cours de ces dernières années. Sur les deux dernières années de sa recherche, il n’a même plus inventorié la coccinelle à deux points, qui a simplement disparu des cultures qu’il étudiait. »

Mais ce ne sont pas les seuls dégâts causés par la coccinelle asiatique. « Avant l’hivernation, poursuit Bérénice Fassotte, elles accumulent des réserves. Dans le sud de la France, cela se traduit par d’importantes dégradations des vignobles. Dans nos régions, ce sont les vergers, principalement les cultures de pommes et de poires, qui sont touchés. Une dernière nuisance à relever est d’ordre sanitaire. Lorsqu’elles investissent les maisons, elles peuvent former des agrégats de plusieurs centaines d’individus.» Les propriétaires des maisons tentent alors de les déloger, en vain. Les coccinelles ont marqué leur site d’hivernation chimiquement, et peuvent le retrouver à l’odeur. En les délogeant simplement, elles reviendront toujours. Mais le problème majeur survient quand elles se sentent en danger, et qu’elles émettent des molécules qui peuvent être toxiques. Certaines personnes développement des réactions allergiques à ces substances, allant de l’eczéma à des problèmes respiratoires.

Tous ces phénomènes, toutes ces incidences liées à la présence de la coccinelle asiatique, ont naturellement incité les membres du laboratoire, spécialisés depuis deux décennies dans les pucerons et leurs prédateurs, à s’y intéresser. Depuis 2006, plusieurs thématiques de recherche ont été développées afin de mieux connaître l’espèce. Son importation, son acclimatation et son impact dans nos régions, ses comportements grégaires, ses systèmes de communications chimiques, et depuis peu, les mécanismes chimiques impliqués dans son comportement sexuel. Dans le cas présent, il n’est nullement question de se débarrasser de l’espèce. « Les recherches de Bérénice sont insérées dans la plateforme AgricultureIsLife, explique François Verheggen. L’organisation regroupe plusieurs doctorants autour de diverses thématiques relatives à la production de denrées agricoles de manière raisonnée, durable et écologique. L’idée, ici, est de valoriser les découvertes en laboratoire pour développer des moyens de lutte contre les pucerons en manipulant cette espèce de coccinelle, particulièrement vorace et excellent prédateur. Certains visent à l’éradiquer. Personnellement, je n’y crois pas. Alors autant en tirer profit. »

agregat coccinelles

(1) Bérénice Fassotte, Christophe Fischer, Delphine Durieux, Georges Lognay, Eric Haubruge, Frédéric Francis, François J. Verheggen, First evidence of a volatile Sex Pheromone in Lady Beetles., Plos One, décember 2014

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