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La participation, c’est bien plus que la consultation populaire !

CB Pierre Delvenne

 

 

 

Pierre Delvenne, Chercheur Qualifié FNRS, Directeur adjoint du Centre de Recherche SPIRAL, Université de Liège.

Au cours de ces dernières semaines, les débats politiques régionaux ont abordé des questions liées à la participation citoyenne dans les processus politiques, que cela soit pour établir une commission parlementaire du renouveau démocratique, consulter les citoyens wallons à l’échelle régionale ou se prononcer sur l’opportunité de projets d’implantations locaux (centre commerciaux, éoliennes, activités industrielles, piétonniers). Le plus souvent, les déclarations visant à développer des mécanismes de gouvernance innovants permettant d’inclure des voix citoyennes dans les processus décisionnels ont été accompagnées de leur corollaire mettant en garde contre une paralysie de l’action publique si nous consacrons le triomphe de « la démocratie de la rue à tout à moment, à tout instant » (M. Prévot, l’invité de B. Henne dans Matin Première le 9/2/15). Il est l’heure de dépasser cette fausse menace pour élargir le débat et passer à l’action en termes de participation. L’attention politique et médiatique est focalisée sur des mécanismes participatifs limités et limitatifs comme la consultation populaire. Mais la participation ne se limite pas à cela ! À côté de la consultation populaire, il existe en effet un éventail de méthodes participatives et délibératives qui mériterait bien plus d’attention étant donné la richesse et la finesse des informations qu’elles permettent de produire.

La plupart du temps, et c’était encore le cas avec la consultation populaire sur le parc Léopold à Namur, les exercices de participation publique dévoilent une tension, voire un affrontement entre des visions parfois prométhéennes des élites  et plus précautionneuses des citoyens. Il est par conséquent légitime de se demander pourquoi les élites politiques décident de financer et d’organiser des événements de participation publique s’ils ont de très grandes chances d’être confrontés à une vision du monde éloignée de leurs préoccupations. Certains observateurs diront que les élites politiques choisissent de recourir à la participation publique pour sonder l’opinion d’un certain nombre de citoyens, gagner du temps, tenter d’obtenir davantage de légitimité démocratique ou de faciliter l’acceptabilité sociale de certaines décisions. Au-delà de ces effets, et ils sont sans doute présents, ce que ces exercices participatifs permettent surtout, c’est l’expression d’une diversité de préférences parfois incompatibles sur des questions porteuses de nombreuses conséquences sur la vie quotidienne ou le vivre-ensemble. À travers la participation, il ne s’agit pas de vouloir substituer la capacité de décision des élus au profit de collectifs citoyens. La valeur démocratique de la participation citoyenne exige des élus politiques qu’ils justifient clairement les décisions qu’ils prennent sans se retrancher derrière des seuils de soi-disant représentativité pour décider de prêter ou non attention aux résultats obtenus. Ni plus, ni moins.

Les exercices participatifs et délibératifs ne sont pas un élixir magique pour solutionner d’un seul coup le désamour des citoyens à l’égard des institutions publiques ou tous les problèmes liés aux interactions parfois conflictuelles entre le monde politique, la société et les soi-disant experts. Toutefois, ce n’est pas faire preuve d’irénisme que d’affirmer qu’ils permettent effectivement d’ouvrir les perspectives relatives à des choix politiques, en les soumettant au débat et à l’examen publics.

Toujours au micro de Bertand Henne, Le Bourgmestre de Namur expliquait sa peur de « créer davantage de divisions au détriment de la convergence vers le redressement wallon ». Pour examiner les conditions de cette convergence, il convient d’envisager la manière dont la participation est construite, quelles voix influencent davantage le processus et quels sont les intérêts et les motivations des participants — et des organisateurs. Travailler avec un consensus de façade ne permet pas d’envisager ouvertement les relations de pouvoir et les dynamiques conflictuelles qui permettraient d’explorer des perspectives plus marginales, alternatives, plurielles de nature à contribuer aussi à leur manière au redressement wallon.

 

Participation citoyenne

Il s’agit donc de ne pas chercher à réconcilier à tout prix les positions hétérogènes des participants. La mise en évidence des lignes de fractures qui se marquent entre les positions des participants montre où les acteurs s’accordent sur leurs propres désaccords. En reconnaissant les conflits comme inévitables et non intrinsèquement nuisibles au dispositif participatif, la participation publique peut véritablement contribuer à stimuler le débat public et œuvrer à la construction d’une citoyenneté active.

Ce n’est à nos yeux qu’en cessant de poursuivre la chimère de la représentativité de cet acteur hétérogène et en constante redéfinition qu’est le public que l’on peut prendre au sérieux la participation publique et ce qu’elle permet : l’inclusion sporadique d’acteurs habituellement marginalisés dans les processus décisionnels et l’observation et la documentation des conflits inhérents à l’interaction des participants. Surtout, il est essentiel de ne pas réduire la participation citoyenne à l’organisation de consultations populaires, qui proposent des dispositifs fermés et souvent mal cadrés, peu à même de contribuer valablement au débat public. De nombreuses autres méthodes participatives informant la prise de décision existent, comme par exemple les ateliers de scénarios, les conférences de citoyens ou les groupes focalisés. D’autres sont même davantage orientées vers « le public », la stimulation du débat et l’apprentissage social et citoyen sans nécessairement conduire à des « impacts » politiques. Toutes ces méthodes sont basées sur la délibération et l’interaction entre les citoyens, les parties prenantes et les élites scientifiques et politiques. La Wallonie gagnerait à mettre en place des mécanismes de nature à les implémenter pour stimuler un véritable dialogue entre les citoyens et leurs représentants élus. Un exemple concret est la proposition de décret porté par la Députée Joëlle Kapompolé et co-signée par des Députés des quatre partis politiques principaux, visant à doter la Région d’un Institut « Démocratie, Sciences et Société » pour éclairer les décideurs politiques et stimuler la participation publique dans les choix scientifiques et technologiques. Cette proposition donne également à un groupement de 5000 citoyens la possibilité de saisir directement l’Institut d’une demande précise relevant de sa compétence. Ce genre d’initiative est à concrétiser d’urgence pour informer et enrichir la base des décisions politiques dans une démocratie représentative moderne. Plutôt qu’à une paralysie de l’action publique, il faut s’attendre à rendre plus tangible le compromis politique qui enregistrera la réalité des rapports de force, rappelant toutefois que les acteurs n’ont pas tous les même poids et qu’il leur faut parfois céder sur certaines dimensions, même sans être totalement convaincu, pour gagner sur d’autres.

 


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