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Méditerranée : des sentinelles qui parlent vrai
23/02/2015

Pour suivre au fil du temps l'état de santé des écosystèmes, les scientifiques doivent disposer d'organismes bioindicateurs fiables et largement répandus. Encore faut-il les utiliser avec discernement afin d'éviter les interprétations douteuses. Les récents travaux du Laboratoire d'Océanologie de l'Université de Liège à la Station STARESO (Haute Corse) ont permis de maximaliser l'apport de deux bioindicateurs majeurs en Mer Méditerranée: la posidonie et la moule. Cerise sur le gâteau: ces deux "sentinelles" pourraient refléter, si les hypothèses se confirment, l'amélioration notable de l'environnement dans le Sud de l'Europe. Une bonne nouvelle qui ne se boude pas.

posidonie moulePeu de touristes en sont conscients: si de nombreux endroits du rivage de la Méditerranée offrent au regard de superbes reflets turquoises, c'est en bonne partie grâce aux herbiers de posidonies. Ces plantes à fleurs, qui appartiennent au groupe des magnoliophytes marines, se sont installées dans le pourtour méditerranéen il y a près de 8.000 ans lors de la dernière remontée d'eau dans l'énorme zone intercontinentale. Cette qualité esthétique des herbiers (particulièrement l'espèce Posidona oceanica, abondante en Méditerranée) n'est cependant pas celle qui intéresse au premier plan les scientifiques, mais bien plutôt ses particularités morphologiques. En effet, comme toutes les plantes, les herbiers de posidonies présentent une importante surface disponible pour la photosynthèse et les échanges nutritifs: les feuilles sont aplaties et linéaires (60 centimètres de longueur pour 1 centimètre de largeur) et elles croissent densément à partir d'un rhizome rampant dont les racines sont ancrées dans le sédiment marin. Grâce à cette configuration particulière, on peut compter jusqu'à 3.000 feuilles de posidonies par mètre-carré! Posidonica oceanica ne couvre certes qu'1 à 2% des fonds de la Méditerranée mais, avec de telles caractéristiques, on comprend aisément qu'elle joue un rôle fondamental dans les cycles de l'oxygène, du carbone, de l'azote, du phosphore... et cela bien au-delà  de la frange littorale qu'elle colonise (de 0 à 45 m de profondeur).

La particularité de la Station de Recherches Sous-marines et Océanographiques (STARESO) de l'Université de Liège, située dans la Baie de Calvi en Haute-Corse, est qu'elle dispose depuis près de trente ans d'une banque de données particulièrement étoffée sur les posidonies. Du fait qu'elle est capable d'accumuler les polluants dissous dans l'eau de mer et piégés par les sédiments, cette plante est traditionnellement considérée comme un excellent bioindicateur de l'état de l'environnement marin. En tant qu'organisme sessile photosynthétique, elle est notamment capable d'accumuler les éléments traces: tant les polluants les plus connus (les métaux traces "classiques" comme le plomb, le cadmium, le mercure...) que les métaux dits "rares" et moins connus (antimoine, vanadium, bismuth...). Cette qualité de "témoin", voire de "mémoire" de la qualité de l'écosystème, la posidonie la partage avec d'autres organismes vivants, parfois très différents. C'est le cas des moules et, particulièrement, de Mytilus galloprovincialis, la moule de Méditerranée. Comme toutes les moules, Mytilus galloprovincialis se nourrit des particules en suspension qui l’environnent et, à ce titre, fournit de précieuses indications sur la présence éventuelle d'une pollution.

Ces deux bioindicateurs présentent en outre l'intérêt d'être complémentaires: la moule, maintenue artificiellement dans des poches en pleine eau, reflète essentiellement la qualité de la colonne d'eau ; la posidonie traduit, elle, la qualité du fond marin et fournit une information précieuse sur l’accumulation année après année des polluants dans les sédiments côtiers. La première donne donc un signal général sur l'état actuel d'une zone de grande taille, la seconde procure un signal beaucoup plus fin et tenant compte de variations spatiales (et intégrées dans le temps) plus légères de la pollution. Mais si l'identification de bons bioindicateurs est une chose, leur utilisation à bon escient en est une autre! Il y a quelques années, Jonathan Richir, à l'époque doctorant au Laboratoire d'Océanologie de l’Université de Liège, avait déjà démontré que la présence de zinc dans l'oursin violet (Paracentrotus lividus, un autre bioindicateur) ne devait pas nécessairement être considérée comme un indice de pollution. En effet, en période de reproduction, l'oursin femelle concentre cet élément essentiel en vue de la libération prochaine de ses gamètes. Ignorer ce genre de réalités - le sexe des oursins récoltés lors des campagnes d'échantillonnage saisonnières, par exemple - expose les scientifiques à de sérieux biais dans l'interprétation des données.

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