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Méditerranée : des sentinelles qui parlent vrai
23/02/2015

Deux indices pour aider les décideurs

moules pochesEn 2014, Jonathan Richir et Sylvie Gobert ont également mis au point deux indices permettant de rendre compte d'une manière synthétique de l'état de pollution d'un site marin en matière d'éléments traces. Le premier, baptisé TEPI (Trace Element Pollution Index), permet de comparer les niveaux de pollution globale de différents sites, et ce quel que soit la liste des éléments traces étudiés et/ou le bioindicateur utilisé. Le second, baptisé TESVI (Trace Element Spatial Variation Index), donne une vision globale de la variabilité des niveaux de contamination par un élément trace sur une échelle spatiale plus ou moins grande. "Le TEPI a été appliqué récemment à l'échelle du bassin méditerranéen, commente la directrice du Laboratoire (2). Intégrant 110 sites de prélèvements de posidonies, il a permis d'élaborer une cartographie munie d'un code de couleurs allant du bleu au rouge en passant par le vert, le jaune et l'orange selon le degré de pollution en éléments traces. Ce genre d'outils est très utile. Il améliore la présentation de graphiques parfois complexes à appréhender par le non spécialiste. Il permet également d'offrir une vue plus globale de l'état d'un site ou d'une zone, et de répondre directement aux demandes des gestionnaires de sites marins ou côtiers, qu'ils soient privés ou publics de type agences de l'eau ou de l'environnement. Les directives européennes sur l'eau exigent d'ailleurs la mise au point de tels instruments synthétiques, capables d'indiquer à ces acteurs les mesures à prendre en priorité". Les travaux du laboratoire de l'ULg présentent en outre l'intérêt de pouvoir dorénavant intégrer tant les métaux traces bien connus (cadmium, plomb, mercure...) que les éléments traces moins connus. Le vanadium en est un exemple type. Cet élément trace, excellent indicateur de la pollution par les hydrocarbures, s'avère très présent à proximité d'installations portuaires de type raffinerie.

L'application du TEPI et du TESVI a livré un résultat quelque peu étonnant. Alors que les données collectées sur la posidonie offrent le tableau d'une pollution bien marquée en éléments traces sur toute la rive sud de l'Europe, les données relatives à la moule, elles, montrent au contraire une pollution moins prononcée pour ces mêmes éléments. Au contraire, plus on se déplace vers le sud, c'est-à-dire vers les côtes africaines, plus on note une pollution marquée en éléments traces sur base des données relatives à la moule. "Notre hypothèse est que la moule, maintenue artificiellement en cage en pleine eau, nous montre une évolution positive - mais récente - de la colonne d'eau du côté européen, grâce à l'effet des installations de traitement et d'épuration des eaux usées installées sur le continent et des directives limitant les rejets de contaminants dans l’environnement côtier. En revanche, après avoir été pollués massivement pendant des décennies, les sédiments au large des côtes européennes ne montrent pas encore de signaux nets d'amélioration". Au large des pays africains, nettement moins équipés en logistique d’épuration, la moule montre une pollution importante de la colonne d'eau, alors que les sédiments marins semblent, eux, relativement épargnés par rapport à l'Europe. "Ce genre d'observations comparatives, si elles sont validées sur le plan scientifique, présente l'avantage d'attirer l'attention des décideurs sur les réglementations les plus efficaces. A l'heure où certains jugent trop lourdes les mesures à prendre en matière d'épuration, cela n'est pas tout à fait inutile... Au moins, on sait dans quelle direction il faut aller, même si les efforts mettent un certain temps à livrer leurs résultats les plus visibles".

Une vigilance renouvelée

Un bémol, toutefois. Si les problèmes liés au plomb dans l'environnement sont aujourd'hui en net recul en Europe et dans la plupart des pays développés (principalement grâce à son retrait de l'essence), on peut légitimement s'attendre à voir apparaître, à moyen terme, des formes de pollution directement liées aux métaux rares utilisés, notamment, dans la fabrication des appareils informatiques et de téléphonie mobile: un marché qui, comme chacun le sait, est en pleine explosion partout dans le monde. "En moins de vingt ans à peine, soit entre 1984 et 2012, l'exploitation minière du vanadium et la production du bismuth (NDLR: un sous-produit de l'extraction d'autres métaux) ont carrément doublé dans le monde. On risque donc, à relativement courte échéance, de voir ces éléments traces se retrouver en quantités non négligeables dans l'environnement marin, à la suite d'opérations de récupération et de recyclage mal maîtrisées. Je pense tout particulièrement aux combustions anarchiques de déchets jugés peu intéressants sur le plan économique ou aux  activités polluantes d'industries de recyclage travaillant en dehors de tout cadre normatif réellement appliqué. A terme, tous ces polluants risquent de se retrouver dans les mers et les océans". L'avertissement est donné: posidonies, moules, oursins et autres bioindicateurs n'ont pas fini de rendre d'éminents services aux chercheurs.

(2) Les indices TEPI et TESVI sont, par ailleurs, en cours d'application pour la première fois en Manche et Mer du Nord sur des polychètes (petits vers benthiques), ce qui devrait aboutir à plus long terme à une utilisation pour l'ensemble de cette région.

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