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D’une feuille à l’autre
05/02/2015

Ces dernières ont été initiées lorsque Tristan Gilet était en séjour post doctoral au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il y rencontre Lydia Bourouiba, une chercheuse et à présent professeur au MIT, fondatrice du MIT Fluid Dynamics of Disease Transmission Laboratory (1). Les deux chercheurs commencent alors à s’intéresser à la manière dont les pathogènes se propagent dans les cultures. Premier constat : dans la littérature scientifique, il y a peu ou pas de description de ce qui se passe à l’échelle d’une goutte ! Le seul élément dont cultivateurs et agronomes sont conscients est que la pluie est le vecteur principal de propagation des maladies, mais sans pouvoir expliquer pourquoi.   

 « Notre première contribution en tant qu’experts en fluides, a donc été de filmer ce qui se passe lorsqu’il pleut sur une plante, explique Tristan Gilet. On pouvait s’attendre à ce que le pathogène présent sur la feuille se fasse emporter dès le premier impact d’une goutte. Or il n’en est rien, car les pathogènes sont généralement contenus dans un mucilage, une substance visqueuse que les gouttes de pluie doivent d’abord dissoudre ! » Qu’importe, dira-t-on ? Au contraire, cela a toute son importance.

Les chercheurs constatent en effet que la présence de cette étape supplémentaire met en place un mécanisme qui augmente considérablement la capacité de dispersion des pathogènes. La séquence est en effet la suivante : lorsqu’il se met à pleuvoir sur une plante, des gouttes frappent les feuilles, dont des zones atteintes par le pathogène. Comme l’eau reste un certain temps sur la feuille sous forme de gouttes, la substance visqueuse se dissout et le pathogène se mélange à ces gouttes. La pluie se poursuivant, d’autres gouttes viennent alors frapper les gouttes contaminées ; généralement pas de plein fouet, mais plus souvent sur le côté. Les gouttes impactantes chassent alors les gouttes contaminées vers une feuille voisine, de la même plante ou d’une plante proche, propageant ainsi l’agent infectieux. Une découverte qui a fait l’objet d’une première publication (2). « C’est un scénario de fragmentation très efficace comparé à beaucoup d’autres, conclut le professeur Gilet. Car son asymétrie (la goutte frappant sur le côté) arrive à envoyer des gouttelettes contaminées très loin. »

Un autre apport des chercheurs de l’ULg et du MIT dans cette première étude a été de faire le tri parmi de nombreux scénarios de fragmentation possibles pour en identifier  qui se reproduisent souvent et qui sont efficaces. Deux d’entre eux remportent la palme. Le premier est  le « splash » direct : une goutte en écrase une autre ou se crashe juste à côté mais au moment où elle s’étale, elle chasse la première et les pathogènes se répandent ainsi, de proche en proche. Le second est indirect : la goutte n’entre pas nécessairement en contact avec une autre, mais elle fait bouger la feuille ; si la feuille s’abaisse suffisamment, c’est le mouvement de la feuille lui-même qui va chasser la goutte, la catapulter.

Modéliser l’impact des gouttes

Dans un deuxième article qui vient d’être publié (3), les deux mêmes chercheurs ont quitté les champs et les plantes réelles pour simplifier les phénomènes et réaliser un embryon de modélisation physique avec des feuilles artificielles et des paramètres contrôlés, notamment la flexibilité du feuillage. Si la feuille est grosse, l’impact d’une goutte n’aura guère de conséquence; si elle est petite, cela l’affecte fortement. La taille et la flexibilité des feuilles sont donc deux propriétés qui se combinent pour répondre aux impacts des gouttes. « Jusqu'ici, les phytopathologistes et ingénieurs agronomes se sont principalement intéressés à l’influence de la pluviométrie (volume moyen de pluie par unité de surface au sol et de temps), sans pouvoir identifier un lien robuste entre ce paramètre global et la vitesse de dispersion des pathogènes, explique Tristan Gilet. Ce que nous avons montré, c'est que cette dynamique de propagation dépend surtout de la taille individuelle des gouttes de pluie et des caractéristiques mécaniques du feuillage sur lequel elles atterrissent. Nous avons observé que d'un feuillage à l'autre, la distance maximale de propagation peut varier d'un facteur 3. Ce facteur importe beaucoup, économiquement parlant, puisqu'il fait la différence entre un espacement de 25-30cm (que l'on pourrait concevoir pour de nombreuses cultures) et un espacement de 80-90cm (que beaucoup considéreront comme "hors de prix") ».

(1) The Fluid Dynamics of Disease Transmission Laboratory:  lbourouiba.mit.edu
(2) Rain-induced Ejection of Pathogens from Leaves : Revisiting the Hypothesis of Splash-on-Film using High-speed Visualization. Tristan Gilet and Lydia Bourouiba, Integrative and Comparative Biology 54(6), 974-84, 2014. (Lire l'article)
(3) Fluid fragmentation shapes rain-induced foliar disease transmission. T. Gilet and L. Bourouiba, Journal of the Royal Society Interface, 2015 (lire l'article)

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