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Le mystère révélé des plus grands géants

18/02/2015

Jusqu’ à aujourd’hui, il était possible d’expliquer 35% des cas de gigantisme : il fallait découvrir les causes génétiques pour les 65% de cas restants. C’est chose faite, pour les plus spectaculaires d’entre eux, au terme d’une étude internationale qui a permis de récolter les données génétiques de 200 géants dans le monde. Le professeur Albert Beckers, professeur à l’Université de Liège et Chef du Service d’Endocrinologie au CHU de Liège, et ses collègues, ont ainsi identifié le gène responsable des plus grands géants qu’ait connu notre planète : les personnes atteintes de ce syndrome, baptisé X-LAG, sont porteuses d’une microduplication de 4 gènes dont le gène GPR101 sur le chromosome X.

Americain Wadlow« Où vivent les géants ? ». Que répondriez-vous à cette question posée par un enfant ? Probablement « dans les contes de fée » « ou dans les films fantastiques » pour rassurer l’enfant ou tout simplement parce que vous ignorez que des géants vivent bel et bien parmi nous…Le plus grand homme enregistré jusqu’ici était américain et s’appelait Robert Wadlow (1918-1940). Il mesurait 2m72. Quand au plus grand homme vivant encore aujourd’hui, Sultan Kösen, il est né en 1982 en Turquie et mesure 2m51. Plus proche de chez nous, Julius Koch (alias le géant Constantin) vécut à Mons de 1872 à 1902 du haut de ses 2m59 et un homme vivant actuellement en France atteint 2m48.

Le gigantisme est caractérisé par une croissance excessive. Il en existe différents syndromes directement liés à une production excessive d’hormone de croissance. « Lorsque cette surproduction survient avant la fin de la croissance, cela peut entraîner un gigantisme chez l’individu. Par contre lorsque cette production excessive d’hormone de croissance se passe chez l’adulte, on observe une acromégalie, c’est-à-dire une augmentation anormale du volume des mains, des pieds, du nez et globalement de tous les tissus mous », explique le Professeur Albert Beckers, Chef du service d’Endocrinologie au CHU de Liège. « Une fois la croissance terminée, l’hormone de croissance ne peut plus agir sur les os sauf le maxillaire inférieur mais elle agit alors sur les tissus mous ».

Les adénomes hypophysaires, tumeurs bénignes aux dégâts collatéraux

La cause de cette hyperproduction d’hormone de croissance se situe au niveau de l’hypophyse, siège de la fabrication d’une large gamme d’hormones sous notre cerveau. Dans la plupart des cas de gigantisme et d’acromégalie, c’est un adénome hypophysaire qui est à l’origine de cette dérégulation hormonale. Il s’agit d’une tumeur bénigne de cette glande pouvant causer des dégâts collatéraux  tels que la surproduction d’hormones hypophysaires ou encore la compression des structures cérébrales annexes lorsque la tumeur atteint un volume important.

Passionné par les géants et étudiant les causes du gigantisme depuis plus de 30 ans, Albert Beckers a découvert une nouvelle forme familiale d’adénome hypophysaire : le FIPA (Adénomes hypophysaires familiaux isolés). Les résultats de cette étude ont été publiés en 2006 dans The Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism (JCEM) (1) (lire l’article Tumeurs de l’hypophyse: la chasse aux gènes est ouverte !). « A la même époque, nous avons également mis en évidence l’implication du gène AIP dans cette pathologie puisque 15% des patients souffrant de cette maladie présentaient des mutations sur ce gène », poursuit le scientifique (2). Des recherches approfondies ont également permis à Albert Beckers et ses collègues de constater que les adénomes hypohysaires des patients présentant une mutation sur le gènes AIP (patients AIP +) étaient beaucoup plus agressifs et précoces que chez les patients qui ne présentent pas de mutation sur ce gène (patients AIP -) (3). « Les patients AIP + ont des adénomes hypophysaires, avant l’âge de 20 ans, deux fois plus gros que les patients AIP – chez qui les tumeursse développent plutôt vers 40 ans », précise Albert Beckers.

Les données génétiques de 200 géants sous la loupe

Etant donné que les géants se développent suite à une dérégulation de la production de l’hormone de croissance durant l’enfance/adolescence et que les patients AIP + développent des adénomes hypophysaires plus jeunes, il n’était pas étonnant que les chercheurs comptent un grand nombre de géants parmi les patients AIP+. « D ‘où l’idée de lancer une grand étude internationale sur les géants en 2011 », indique le spécialiste en endocrinologie. « Cette étude a permis de récolter les données cliniques et génétiques de 200 géants dans le monde. Jusque là nous pouvions expliquer 35% des cas de gigantisme, nous voulions donc découvrir les causes génétiques pour les 65% de cas restants ».

Parmi les centres de recherche qui ont participé à cette étude internationale, on compte le National Institute of Health (NIH) aux USA. « Mon collègue et ami qui y travaille investiguait depuis deux ans une piste génétique pour expliquer une forme de gigantisme mais sans succès. Nous avons donc décider de collaborer pour tenter d’élucider ce mystère », explique Albert Beckers.  « Son équipe de recherche avais mis le doigt sur la duplication de 11 gènes sur le chromosome X mais aucun de ces gènes n’était très connu ou tout du moins relié à la production d’hormone de croissance. De plus, ils travaillaient sur base de données provenant de deux patients qui présentaient ces duplications, ce qui n’était pas suffisant pour mettre au jour un nouveau syndrome ou pour confirmer l’implication de ces duplications dans le gigantisme », poursuit le scientifique. Les chercheurs du NIH ont donc dévoilé aux chercheurs liégeois où se trouve la région du chromosome X sur laquelle la duplication des 11 gènes était observée. « Trois mois plus tard, le problème était résolu ! »,  révèle Albert Beckers.

Quand l’étau se resserre autour du gène GPR101

Après avoir constaté que la région identifiée par les chercheurs américains correspondait bien au locus du gigantisme, les scientifiques ont défini un nouveau syndrome de gigantisme : le X-Lag (X-linked acrogigantism). « C’est un syndrome qui commence au berceau et qui engendre les plus grands géants », précise Albert Beckers. « Les enfants naissent normaux et grandissent anormalement dès avant l’âge d’un an. Ils font des adénomes hypophysaires très volumineux qui ne répondent pas bien aux thérapies classiques. Ils sécrètent l’hormone de croissance en quantité phénoménale ainsi que de la prolactine ».  Les études génétiques ont montré que ces « petits » géants (chez qui le gigantisme se déclare très jeune) sont porteurs de la duplication des gènes sur le chromosome X.

En parallèle, les scientifiques se sont attelés à déterminer le ou lesquel(s) des 11 gènes dupliqués étaient responsables de ce syndrome. Après avoir réduit le nombre de gènes potentiellement impliqués à 4 par recoupement entre les patients, Albert Beckers et ses collègues ont regardé lesquels d’entre eux étaient exprimés dans les tumeurs de l’hypophyse de patients qui avaient été opérés. « Trois de ces gènes y étaient exprimés tout à fait normalement tandis que le quatrième était exprimé respectivement 600 fois plus et 1000 fois plus dans deux tumeurs distinctes. C’était donc très probablement lui le coupable ! », révèle le spécialiste. Il s’agit du gène GPR101 qui code pour un récepteur dont la fonction est inconnue à ce jour.

Un récepteur encore inconnu sous les projecteurs

Publiés dans la revue The New England Journal of Medicine (4), les résultats de cette étude mettent donc en évidence la duplication du gène GPR101 qui explique le développement des plus grands géants du monde. « On ne peut le vérifier mais on pourrait parier très cher que Robert Waldow, qui faisait 2m72, était atteint du syndrome X-Lag », indique Albert Beckers. « Ce que nous montrons dans cette étude, c’est que ce syndrome est lié à la duplication de 4 gènes au niveau du chromosome X et que GPR101 est probablement le coupable , que cette aberration chromosomique est dominante et touche un peu plus les femmes que les hommes. Il s’agit aussi de la deuxième cause génétique de FIPA », continue le chercheur.

Le récepteur pour lequel code le gène GPR101 est certainement fortement impliqué dans la régulation de l’hormone de croissance et son rôle serait étroitement lié à la GHRH - hormone de libération de l’hormone de croissance – dont le récepteur est également surexprimé chez les patients atteints de ce trouble. Jusqu’ici les aberrations chromosomiques impliquées dans le gigantisme consistaient en des mutations de gènes et non la duplication de ceux-ci. C’est donc un nouveau mécanisme génétique pouvant causer des troubles de croissance qui a été mis en évidence dans cette étude. « Ces travaux ouvrent des pistes de recherches nombreuses et variées », indique Albert Beckers. Geant« Nous avons trouvé le gène qui code pour un récepteur qu’on ne connaît pas. On suppose qu’il sert dans la croissance de l’organisme mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse. Ce qui est sûr c’est qu’il est impliqué dans une fabrique biologique extrêmement performante d’hormone de croissance! Peut-être ce récepteur joue-t-il également un rôle dans le nanisme… ?».

Des recherches qui réservent encore leur lot de révélations…

Les hypothèses que suscite la découverte des chercheurs sont nombreuses et risquent d’occuper encore longtemps ces scientifiques passionnés par le gigantisme. « Quoiqu’il en soit nous devrons tout d’abord trouver le ligand de ce récepteur, le stimuler et le freiner pour observer les conséquences de ces manipulations et voir si ce récepteur concerne éventuellement d’autres maladies », reprend le spécialiste en endocrinologie.

Aujourd’hui les scientifiques suivent différentes pistes pour lever le mystère autour des géants avec l’objectif d’un jour pouvoir améliorer la qualité de vie des personnes atteintes des syndromes de gigantisme. Car outre le handicap causé par leur grande taille, les géants sont sujets à un grand nombre de troubles et meurent relativement jeunes.

A l’heure actuelle, l’équipe du Professeur Albert Beckers a trois articles qui sont sur le point d’être publiés et de dévoiler de nouvelles découvertes sur les mécanismes qui sous-tendent le gigantisme. Parmi les travaux de recherche menés par les scientifiques liégeois, on compte notamment l’analyse d’échantillons d’os du géant Constantin de Mons qui mesurait 2m59…

(1) Clinical Characterization of Familial Isolated Pituitary Adenomas. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism Vol. 91, No. 9 3316-3323
(2) Aryl Hydrocarbon Receptor Interacting Protein Gene Mutations in Familial Isolated. Pituitary Adenomas : Analysis in 73 families. J. Clin. Endocrinol. Metab, 92(5):1891-1896, 2007. Doi : 10.1210/ jc.2006-2513. 

(3) Clinical Characteristics and Therapeutic Responses in Patients with Germ-Line AIP Mutations and Pituitary Adenomas: An International Collaborative Study. The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism Vol. 95, No. 11 E373-E383.

(4) Gigantism and Acromegaly Due to Xq26 Microduplications and GPR101 Mutation. N Engl J Med. 2014 Dec 18;371(25):2363-74. doi: 10.1056/NEJMoa1408028


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