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Le mystère révélé des plus grands géants
18/02/2015

Parmi les centres de recherche qui ont participé à cette étude internationale, on compte le National Institute of Health (NIH) aux USA. « Mon collègue et ami qui y travaille investiguait depuis deux ans une piste génétique pour expliquer une forme de gigantisme mais sans succès. Nous avons donc décider de collaborer pour tenter d’élucider ce mystère », explique Albert Beckers.  « Son équipe de recherche avais mis le doigt sur la duplication de 11 gènes sur le chromosome X mais aucun de ces gènes n’était très connu ou tout du moins relié à la production d’hormone de croissance. De plus, ils travaillaient sur base de données provenant de deux patients qui présentaient ces duplications, ce qui n’était pas suffisant pour mettre au jour un nouveau syndrome ou pour confirmer l’implication de ces duplications dans le gigantisme », poursuit le scientifique. Les chercheurs du NIH ont donc dévoilé aux chercheurs liégeois où se trouve la région du chromosome X sur laquelle la duplication des 11 gènes était observée. « Trois mois plus tard, le problème était résolu ! »,  révèle Albert Beckers.

Quand l’étau se resserre autour du gène GPR101

Après avoir constaté que la région identifiée par les chercheurs américains correspondait bien au locus du gigantisme, les scientifiques ont défini un nouveau syndrome de gigantisme : le X-Lag (X-linked acrogigantism). « C’est un syndrome qui commence au berceau et qui engendre les plus grands géants », précise Albert Beckers. « Les enfants naissent normaux et grandissent anormalement dès avant l’âge d’un an. Ils font des adénomes hypophysaires très volumineux qui ne répondent pas bien aux thérapies classiques. Ils sécrètent l’hormone de croissance en quantité phénoménale ainsi que de la prolactine ».  Les études génétiques ont montré que ces « petits » géants (chez qui le gigantisme se déclare très jeune) sont porteurs de la duplication des gènes sur le chromosome X.

En parallèle, les scientifiques se sont attelés à déterminer le ou lesquel(s) des 11 gènes dupliqués étaient responsables de ce syndrome. Après avoir réduit le nombre de gènes potentiellement impliqués à 4 par recoupement entre les patients, Albert Beckers et ses collègues ont regardé lesquels d’entre eux étaient exprimés dans les tumeurs de l’hypophyse de patients qui avaient été opérés. « Trois de ces gènes y étaient exprimés tout à fait normalement tandis que le quatrième était exprimé respectivement 600 fois plus et 1000 fois plus dans deux tumeurs distinctes. C’était donc très probablement lui le coupable ! », révèle le spécialiste. Il s’agit du gène GPR101 qui code pour un récepteur dont la fonction est inconnue à ce jour.

Un récepteur encore inconnu sous les projecteurs

Publiés dans la revue The New England Journal of Medicine (4), les résultats de cette étude mettent donc en évidence la duplication du gène GPR101 qui explique le développement des plus grands géants du monde. « On ne peut le vérifier mais on pourrait parier très cher que Robert Waldow, qui faisait 2m72, était atteint du syndrome X-Lag », indique Albert Beckers. « Ce que nous montrons dans cette étude, c’est que ce syndrome est lié à la duplication de 4 gènes au niveau du chromosome X et que GPR101 est probablement le coupable , que cette aberration chromosomique est dominante et touche un peu plus les femmes que les hommes. Il s’agit aussi de la deuxième cause génétique de FIPA », continue le chercheur.

Le récepteur pour lequel code le gène GPR101 est certainement fortement impliqué dans la régulation de l’hormone de croissance et son rôle serait étroitement lié à la GHRH - hormone de libération de l’hormone de croissance – dont le récepteur est également surexprimé chez les patients atteints de ce trouble. Jusqu’ici les aberrations chromosomiques impliquées dans le gigantisme consistaient en des mutations de gènes et non la duplication de ceux-ci. C’est donc un nouveau mécanisme génétique pouvant causer des troubles de croissance qui a été mis en évidence dans cette étude. « Ces travaux ouvrent des pistes de recherches nombreuses et variées », indique Albert Beckers. Geant« Nous avons trouvé le gène qui code pour un récepteur qu’on ne connaît pas. On suppose qu’il sert dans la croissance de l’organisme mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse. Ce qui est sûr c’est qu’il est impliqué dans une fabrique biologique extrêmement performante d’hormone de croissance! Peut-être ce récepteur joue-t-il également un rôle dans le nanisme… ?».

Des recherches qui réservent encore leur lot de révélations…

Les hypothèses que suscite la découverte des chercheurs sont nombreuses et risquent d’occuper encore longtemps ces scientifiques passionnés par le gigantisme. « Quoiqu’il en soit nous devrons tout d’abord trouver le ligand de ce récepteur, le stimuler et le freiner pour observer les conséquences de ces manipulations et voir si ce récepteur concerne éventuellement d’autres maladies », reprend le spécialiste en endocrinologie.

Aujourd’hui les scientifiques suivent différentes pistes pour lever le mystère autour des géants avec l’objectif d’un jour pouvoir améliorer la qualité de vie des personnes atteintes des syndromes de gigantisme. Car outre le handicap causé par leur grande taille, les géants sont sujets à un grand nombre de troubles et meurent relativement jeunes.

A l’heure actuelle, l’équipe du Professeur Albert Beckers a trois articles qui sont sur le point d’être publiés et de dévoiler de nouvelles découvertes sur les mécanismes qui sous-tendent le gigantisme. Parmi les travaux de recherche menés par les scientifiques liégeois, on compte notamment l’analyse d’échantillons d’os du géant Constantin de Mons qui mesurait 2m59…

(4) Gigantism and Acromegaly Due to Xq26 Microduplications and GPR101 Mutation. N Engl J Med. 2014 Dec 18;371(25):2363-74. doi: 10.1056/NEJMoa1408028

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