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Les dents étaient presque parfaites...

30/01/2015

Autant le dire tout de suite : afin d'éviter des conséquences dommageables, les phénomènes d'usure et d'érosion ne doivent  être ni sous-estimés ni négligés. Pour y répondre, il existe des solutions à la fois fiables et peu invasives - ce qui est relativement nouveau. Relativement complexes, elles ne sont pas encore toujours appliquées dans tous les cabinets dentaires. Elles reposent en tout cas sur l'amélioration des techniques et des connaissances des matériaux à utiliser, et sur la maîtrise des techniques du collage dentaire. Dans l'article "Approche prothétique rationnelle et conservatrice d'une usure dentaire avancée"(1), Alain Vanheusden, professeur au département de science dentaire de l’Université de Liège, détaille l'application et le suivi d'un protocole long et précis qui permet la prise en charge de ce type de cas. L'objectif  est clair: restaurer la fonction masticatoire et rendre le sourire aux patients concernés. Et à leurs dentistes.

Lesions dentairesDepuis plusieurs années, un problème fait rire jaune les dentistes - et certains de leur patients : celui de l'usure ou de l'érosion dentaire. En effet, "de plus en plus de jeunes adultes consultent pour des pertes tissulaires dentaires d'origine non carieuse", explique le Pr Alain Vanheusden, chef du service de prothèse fixe au Centre Hospitalier Universitaire de Liège. Et c'est grave ? Disons que cela peut l'être ou, au moins, devenir assez  problématique.

Chez les personnes concernées, l'émail des dents s’use, jusqu'à disparaître et faire apparaître la dentine sous-jacente, qui s'use encore plus rapidement que l'émail. Cette diminution du tissu dentaire est loin d'être anodine. Elle se traduit par des sensibilités dentaires, une fragilisation de la dent pouvant aller jusqu'à sa fracture, et une différence visible et esthétique au niveau de la hauteur (la taille) de la dent. Un autre risque potentiel est également présent, celui d'un déséquilibre de l'occlusion dentaire.


Cette dernière désigne le fait que les dents et nos mâchoires, lorsqu'elles se ferment, sont censées s'emboîter l'une dans l'autre de manière équilibrée. Or l'usure ou l'érosion dentaire peut "gommer" ou modifier les indispensables points de contact entre les dents des deux mâchoires. A terme, ces problèmes de malocclusion altèrent les fonctions masticatoire et esthétique. Dans certains cas, la malocclusion engendre aussi un dysfonctionnement de l'articulation temporo-mandibulaire (celle qui permet l'ouverture et la fermeture de la bouche dans les 3 dimensions de l'espace). Les conséquences possibles? Des symptômes de douleurs, de spasmes, de crispation, de maux de tête, etc. Eh oui, tout cela en raison, au départ, de dents "usées" !  

Des ennemies redoutables

Depuis la fin de XXe siècle, de manière significative, la plupart des pays européens, dont le nôtre, constatent une diminution du nombre de caries dentaires. Un vrai progrès de santé publique ! "L'effet protecteur du fluor, les campagnes de prévention bucco-dentaires, les améliorations des techniques et des matériaux de dentisterie conservatrice portent leurs fruits", détaille le chef de service. Seulement voilà : non contents de devoir continuer la lutte contre la carie (et le soin des gencives), les dentistes - et la population - devraient également se préoccuper de l'usure ou de l'érosion, autres ennemis de nos dentitions.

"Les centaines d'articles scientifiques publiés à ce propos au cours des cinq dernières années démontrent à quel point il s'agit d'une réelle préoccupation pour les praticiens dentaires", remarque Alain Vanheusden.  Plusieurs facteurs conjugués expliquent pourquoi cette menace semble plus grandissante qu'autrefois. Tout d'abord, grâce à des soins plus performants et plus conservateurs (ce terme signifie que les dentistes tentent de conserver et de sauver toutes les dents qui peuvent l'être), la durée de vie moyenne des dents s'est allongée. Et comme nous vivons plus longtemps... nous gardons plus longtemps nos dents, soignées si elles en ont eu besoin. Dès lors, leur présence les expose davantage à être confrontées à une usure ou à une érosion.

D'autres causes, liées à nos vies et à nos comportements, s'ajoutent à ce premier élément. En effet, notre stress, nos habitudes alimentaires et certains de nos médicaments sont partie prenante du phénomène d'usure et d'érosion. Sous l'effet du stress, on peut serrer des dents et/ou les faire grincer, bien involontairement et parfois sans même en être conscient, en particulier lorsque cette pratique se déroule la nuit, pendant le sommeil - ce qui est le plus souvent le cas. Ce bruxisme implique qu'une force mécanique s'exerce sur nos dents. Or ces dernières ne sont pas vraiment armées pour y résister indéfiniment. "Il faut dire que l'intensité des forces exercées dépasse largement celles en oeuvre au cours de la mastication", précise le Pr Vanheusden. Le stress, phénomène de société, devient ainsi indirectement responsable de problèmes bucco-dentaires...

Par ailleurs, ou parallèlement, nous consommons un certain nombre d'aliments ou de boissons acides, qui s'attaquent à nos dents. Le plus fréquent - et sans doute le plus redoutable de ces produits -  se présente sous la forme d'un soda internationalement connu. "Mais le jus de citron ou d'autres agrumes, les sucreries, et même le vin, ont aussi un effet corrosif sur nos dents", prévient le Pr Vanheusden. Bref, en grande partie et dans une majorité de cas, nous creusons nous-mêmes nos dents... et nos problèmes, qui peuvent aussi provenir, entre autres, de malpositions dentaires, entraînant une usure prématurée.

Le poids du stress, le choc des sodas

Sur un plan théorique, les usures sont classées dans trois entités principales. Les lésions dites d'abrasion désignent une usure mécanique, provoquée par un frottement entre un agent abrasif et une ou des dents. Celles d'attrition résultent de contacts ou de frottements inappropriés entre les dents. Enfin, ce que l'on nomme l'érosion dentaire recouvre une perte tissulaire de l'émail par une dissolution acide, sans autre implication de micro-organismes.

"L'attrition et l'érosion sont les plus répandues et les plus agressives, détaille le Pr Vanheusden. Elles sont liées à deux maux de nos sociétés : le stress et la consommation excessive de sodas, dont le caractère érosif n'est plus à démontrer. Ces deux entités peuvent évidemment cohabiter, et alors se potentialiser. En tout cas, érosion et usure mènent parfois à de réelles situation de délabrement dentaire, y compris chez des personnes ayant, par ailleurs, une bonne hygiène bucco-dentaire et/ou chez des personnes encore relativement jeunes ."

Selon le degré d'avancement et de durée des causes provoquant usure et érosion dentaires, les pertes tissulaires vont être plus ou moins importantes. "Outre un éventuel problème de sensibilité, le plus souvent, c'est généralement pour une raison esthétique que le patient concerné consulte son dentiste", constate cependant le Pr Vanheusden.

Sur le terrain de la prévention

Les phénomènes d'usure dentaire, et de leurs causes, ne sont probablement pas encore assez connus au sein de la population. Traditionnellement, dans notre pays, la prévention est un parent pauvre de la dentisterie. Il faut dire que, dans son cabinet, le praticien dentaire gère aussi (et surtout) les soins, les traitements, ainsi que leurs suivis. La place consacrée à une sensibilisation ou à une éducation pouvant mener au sauvetage des dents y est souvent réduite ou limitée. De plus, les praticiens ont généralement été peu formés aux problèmes de la prévention, et à ses difficultés. Enfin, "à l'inverse de certains pays, nous ne possédons pas encore d'hygiénistes dentaires qui seraient en grande partie chargés de ce travail essentiel de prévention", précise le Pr Vanheusden.

Autre difficulté pour les dentistes, l'usure et l'érosion dentaires sont des phénomènes complexes. Une fois repérés, les traiter en amont implique tout d'abord d'en découvrir les causes, afin d'y sensibiliser les patients concernés et de les inciter à modifier tous les facteurs impliqués. Cette démarche prend du temps, et elle n'est pas simple.

Face aux enjeux, pour la population, certains changements de comportements alimentaires sont sans doute accessibles  sans grande révolution personnelle. En revanche, les réponses possibles à apporter au bruxisme sont plus délicates à aborder. En effet, il ne suffit pas qu'un dentiste signale à un patient qu'il grince des dents la nuit et use ainsi ses dents... pour qu'il puisse changer spontanément d'attitude. Le jour, la personne conscientisée sera peut-être vigilante au fait d'éviter de serrer les dents et de les faire grincer. Mais la nuit...

"Des consultations chez le psychologue peuvent aider à modifier l'état de stress et à changer les comportements qui en découlent. Mais il n'est pas toujours aisé de conseiller à un patient d'avoir recours à une telle démarche", sourit le Pr Vanheusden.  En dehors d'une telle prise en charge menant à une réduction du stress, on ne connaît encore aucune autre thérapie, aucun traitement efficace susceptible de guérir le bruxisme. "En revanche, on sait comment limiter ses conséquences", précise  le dentiste.

Cette solution passe par le port de ce que l'on appelle une gouttière. Il s'agit d'une prothèse en résine, fabriquée à partir d'une prise d'empreinte de la mâchoire du patient et donc adaptée à sa bouche. La gouttière doit être portée durant le sommeil : elle empêche les dents de frotter les unes contre les autres en instaurant un obstacle entre elles. Néanmoins, cet artifice préventif - qui est certes d'importance-,  ne répond évidemment pas aux problèmes une fois que l'usure ou l'érosion sont trop entamées, ou lorsqu'elles proviennent d'autres sources que du bruxisme.

Un changement de philosophie

L'article du Dr Vanheusden relate un cas clinique (case report) : celui de la restauration complète de la bouche d'un homme de 36 ans. Il était touché par une usure sévère généralisée (photos). En plus de l'aspect disgracieux qu'elle donnait à son sourire, le patient souffrait de sensibilités dentaires : elles augmentaient lorsqu'il mangeait ou buvait des produits froids.  

Le patient ne fumait pas, et il ne prenait pas de médicament qui aurait pu expliquer l'usure de ses dents. En revanche, son anamnèse (les questions posées par le praticien) a révélé qu'il était un grand consommateur d'une fameuse boisson gazeuse au goût sucré, dont il se "régalait" à raison de plus d'un litre par jour. Aux lésions érosives ainsi créées, il ajoutait des lésions d'abrasion dues à l'emploi d'une brosse à dents dure, et une technique de brossage inadéquate. Pour compléter le tableau, cet homme avait aussi la mauvaise habitude de serrer les dents en cas de stress ou de tension...   

Le plan de traitement du Pr Vanheusden  a visé à restaurer l'anatomie, la fonction et l'esthétique des dents usées. Il fallait, également, protéger ces dernières contre de futures usures tissulaires. Ce vaste programme n'était pas l'unique objectif fixé par le praticien : "L'évolution récente de la dentisterie nous conduit à privilégier, autant que faire se peut, une approche conservatrice. Cela signifie qu'elle limite au strict maximum toute réduction supplémentaire des tissus encoreprésents", explique le praticien.

sourire usure dentaire
A ce stade, pour bien saisir en quoi cette approche est encore en partie novatrice, un petit retour dans l'histoire (récente) de la dentisterie s'impose. Ce détour historique concerne les thérapies "classiques" proposées aux patients souffrant de ce type de problème. "Face à des situations d'usure, certains praticiens essaient de temporiser", remarque le praticien. Par exemple, ils proposent dans un premier temps de compenser l'usure en plaçant un composite (sorte de pansement) posé sur la dent, afin de la reconstituer fictivement.

"En réalité, cette solution s'apparente à celle d'une emplâtre sur une jambe de bois, tranche le Pr Vanheusden. Le composite est loin d'être dans un matériau assez solide pour résister aux problèmes. Certes, il permet de répondre aux sensibilités ressenties par le patient. Mais c'est bien son seul apport. De plus, le composite posé est assez volumineux, et il est souvent associé à des reprises de caries (sous le pansement). Bien entendu, cela dégrade la dent davantage encore."

L'autre option d'une dentisterie plus "traditionnelle" consiste à attendre, sans rien faire... Une fois l'usure bien avancée, le dentiste propose de placer des couronnes sur les dents concernées. Sorte de coques (généralement en céramique) qui les coifferont entièrement, ces prothèses seront évidemment conçues pour compenser l'usure en redonnant une nouvelle anatomie extérieure aux dents.

Cela dit, pour poser les couronnes, il faut tailler dans les tissus de la dent . "Il s'agit donc forcément d'une approche qui exige une réduction tissulaire supplémentaire de la dent. Souvent, une dévitalisation de racine est également nécessaire, avec la pose d'une vis dans la racine, ce qui la fragilise, et implique un risque de fracture à venir", précise le Dr Vanheusden. Pendant longtemps, il n'y a pourtant pas eu d'autres choix  : pour reconstituer fictivement les dents, et leur faire "reprendre de la hauteur", seules des couronnes étaient possibles. Mais les temps ont changé, grâce  à l'apparition et à l'essor d'une technique, celle du collage au tissus dentaires.

Un avenir qui colle

Désormais, les techniques de collage dentaire, en développement depuis les années 1990, permettent d'adopter une autre approche, considérée, elle, comme minimalement invasive. "En s'appuyant sur les techniques de collages, nous parvenons à reconstituer les dents, à restaurer leur anatomie, et ce pratiquement sans réduire davantage les tissus de la dent, ou bien le moins possible. Notre objectif consiste à poser des actes soustractifs les plus légers possibles, de conserver les dents - déjà usées et fragilisées -, sans les agresser davantage", explique le Pr Vanheusden.  En dentisterie, cette approche minimalement invasive est une véritable révolution. Au bénéficie du patient, bien sûr.

Pour le jeune patient liégeois confronté à une usure généralisée de sa dentition, cette philosophie "conservatrice" et respectueuse des tissus restants a prévalu, doublée par une approche pluridisciplinaire. Les techniques chirurgicales (avec, par exemple, la pose d'implants) et de prothèses (par collages) ont été planifiées, combinées et associées dans le plan de traitement.

En fait, l'équipe liégeoise n'a pas inventé de A à Z le protocole appliqué à ce patient. Il s'est inspiré de la démarche appliquée par le département  de dentisterie de l'université de Genève (Suisse) au sein duquel travaille Franscesca Valaiti, auteur de nombreuses publications dans cette approche de traitement peu invasive. Mais le Pr Vanheusden a ajouté sa touche aux procédures à suivre. Il a appliqué une variante qui permet, dans l'une des étapes du traitement, d'alléger la procédure assez contraignante suivie par l'équipe suisse. Sans dommage pour le traitement, le praticien évite ainsi un certain nombre de corrections occlusales qui, à défaut, devraient être réalisées dans la bouche du patient.

Trois étapes, pas par pas

Autant en être conscient : restaurer une denture aussi dégradée que chez ce patient est un défi qui passe obligatoirement par un  traitement long. "Dès le début, les raisons pour lesquelles on entreprend les soins doivent être clairement expliquées à la personne", rappelle le Pr Vanheusden. La motivation du patient est un facteur important. Ne serait-ce que parce qu'il doit  être partie prenante des changements de comportements à opérer afin de stopper le phénomène d'usure...

Les soins, eux, se déclinent en  3 temps. Dès la première étape, les problèmes d'occlusion sont au coeur de la thérapie. A ce stade, il est impossible, pour le dentiste, de savoir quelle va être la hauteur à reconstituer et à restaurer exactement pour chacune des dents concernées. Il s'agit donc de l'estimer. Soyons clairs : ce "jeu-là" se joue au millimètre près. En tout cas, chaque espace qui modifie l'équilibre de l'architecture des arcades dentaires doit pouvoir être supporté par le patient...Et c'est d'abord cela qu'il faut évaluer.

Certaines lésions d'érosion ou d'usure ont entraîné une perte de ce que l'on nomme la « dimension  verticale d'occlusion » (DVO). Lorsque les dents sont usées, elles ne rencontrent plus leur vis-à-vis aussi vite lorsque la mâchoire est fermée. Dans certains cas, cela conduit même certaines dents à bouger, à "sortir" de la gencive (on parle d'égression). Bref, l'occlusion est perturbée. Il faut rétablir une nouvelle DVO, qui préparera le terrain aux "nouvelles dents", celles qui seront, à terme, reconstituées à la "bonne" hauteur.

"Dans cette première étape, nous avançons par essais, détaille le praticien. En tout premier lieu, une gouttière amovible est réalisée en résine. Elle sert de protection contre une dégradation de la dentition. Mais, à partir des modèles en plâtre qui ont servi à sa confection, la gouttière engendre une surélévation de l’occlusion, afin de compenser la perte de DVO", poursuit le Pr Vanheusden (photos). L'objectif consiste à surveiller de quelles manières le patient réagit, c'est-à-dire comment il supporte la gouttière qui rétablit la nouvelle DVO. Ce point est essentiel : il s'agit de s'assurer que la restauration en céramique, posée dans la phase ultime du traitement, conviendra parfaitement à la personne.

Durant 3 semaines, le patient porte donc cette gouttière qui entraîne une augmentation de sa DVO (de 1 à 5 millimètres). Il note son ressenti au réveil, y compris d'éventuelles contractures au niveau des muscles masticateurs. "Au début, il s'agit d'un grand changement pour lui, admet le praticien. Mais une fois la valeur supportée validée, elle devient notre valeur de référence, celle qui servira de référence lors de la restauration finale des dents usées", souligne le chef de service.

Du provisoire qui en dit long

La seconde phase du traitement peut alors débuter. Elle mène à la pose de restaurations partielles provisoires. Tout d'abord, d'après le moulage de la denture actuelle, le laboratoire de prothèse réalise ce que l'on nomme des wax up. Ces modèles en cire sont conçus en fonction des indications issues du port de la gouttière et à partir de l'empreinte de la mâchoire.

Une fois réalisés, les wax up en cire donnent une idée bien précise de ce que à quoi chaque dent usée ressemblera, une fois restaurée, le tout dans un ensemble permettant de retrouver un maximum des contacts dento-dentaires. A partir des wax up, des prothèses en résine sont ensuite réalisées. Fines et fragiles, elles restaurent la hauteur souhaitée aux dents sur lesquelles elles sont provisoirement collées et sur lesquelles elles vont devoir rester pendant plusieurs semaines

"A ce stade, nous sommes encore dans une approche transitoire, mais plus précise qu'avec la gouttière. En effet, il ne s'agit plus de faire porter entre les dents du patient un corps étranger. La personne va vivre et dormir avec ces prothèses conçues d'après les wax up. Ces restaurations temporaires nous permettent de confirmer que nous avons atteint une nouvelle DVO confortable. Elles valident les modifications occlusales qui ont été apportées, et confirment le rétablissement des différentes fonctions. Enfin, elles permettent aussi d'apprécier le bénéfice esthétique de la restauration de la morphologie dentaire", précise le praticien.

Lorsque la situation est jugée stable et satisfaisante, la phase ultime peut être envisagée. Bien entendu, les éventuels soins chirurgicaux ont été effectués au préalable.

Un "vrai" sourire

"Pour la dernière étape de la réhabilitation, nous conservons notre démarche progressive et prudente", détaille le chef de service. Le dentiste retire les prothèses transitoires en résine par fraisage. Il les remplace par des facettes et des onlays en céramique, qui ont été réalisés par le laboratoire de prothèse. Ces prothèses sont collées aux dents. Les nouveaux éléments placés en bouche continuent évidemment à surélever la dent usée, à la reconstituer, comme le faisait la résine précédente.

"Nous n'avançons que par 2 ou 3 dents à la fois. Cette précaution nous permet de bien garder nos repères occlusaux ", ajoute-t-il. Dans les cas fortement avancés d'usure, comme chez ce patient, les restaurations ont concerné les deux mâchoires. Mais il arrive que l'on puisse se contenter d'intervenir seulement sur l'arcade la plus touchée.

Ensuite... le travail du dentiste est terminé, et le patient a retrouvé un vrai sourire esthétique ainsi qu’une fonction adéquate. Néanmoins, lorsque le problème avait pour origine une abrasion, le port d'une gouttière de protection nocturne reste obligatoire. Après tant de travaux, longs, délicats et pour le moins onéreux (jusqu'à plusieurs milliers d'euros), il serait en effet "dommage" de recommencer à reproduire un phénomène d'usure dentaire...

"Les prothèses en céramique qui ont été posées sur les dents ne sont pas destinées à subir une érosion démesurée. Elles sont posées sur des dents fragilisées au départ. Continuer à prendre des risques indus serait d'autant plus regrettable qu'une nouvelle érosion ne permettrait sans doute plus de faire appel à des techniques de collages. Les patients doivent donc rester sensibilisés, motivés, rester impliqués dans la suite et dans l'évolution de leurs traitements", remarque le praticien. Dans le cas décrit par l'article, un an après la fin du traitement, aucune complication n'entachait la satisfaction du patient...

Les statistiques actuelles montrent que cette approche en 3 étapes donne de bons résultats à 5 ans, avec un taux de succès comparable aux techniques de prothèses auxquelles il était fait appel avant que les collages ne changent le visage de la dentisterie. "Les chiffres démontrent que, même sur des dents très abimées, les collages ne sont pas à risque d'échec", insiste le Pr Vanheusden. Les techniques préconisées ici sont-elles supérieures aux procédures "traditionnelles"? Pour le moment, faute de recul, on ne peut l'affirmer. Pourtant, le chef du département de dentisterie en est persuadé. "Une couronne reste bien plus agressive qu'un collage : pour poser cette dernière, il faut par exemple enlever près de controle usure3 fois plus de tissus près de la gencive que pour un collage de facette. Sur un plan biologique, les facettes collées sont également nettement moins agressives. Elles représentent un progrès immense, permettant de réaliser de belles choses, même sur des cas très avancés."

Actuellement, face aux difficultés que représente la prise en charge des cas d'usure dentaire avancée, un grand nombre de dentistes préfèrent envoyer les patients concernés dans les services universitaires comme celui du Pr Vanheuspen. D'autres suivent les formations et les recyclages proposés (par exemple, à Liège), afin de se familiariser avec le protocole à suivre scrupuleusement. Certains l'appliquent déjà. Dans tous les cas, ce qui importe, c'est que le message passe : l'usure ou l'érosion dentaire doivent être prises en charge aussi rapidement que possible dans les cabinets dentaires ou par un service spécialisé. Et même pour les situations critiques, il existe des solutions, efficaces. La démonstration que l'usure n'a pas toujours le dernier mot ?

(1) Vanheusden, Alain , Approche prothétique rationnelle et conservatrice d'usure dentaire avancée, in Revue d'Odonto-Stomatologie [=ROS] (2014), 43(3), 251-268 Septembre 2014.


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