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Les poissons fermiers
06/01/2015

Un changement d’attitude alimentaire lors des expériences

Un premier article synthétise une partie du travail de thèse de Damien Olivier. Dans cette étude, le jeune chercheur pose son regard sur une espèce de poisson-demoiselle bien précise, Stegastes rectifraenum. Un poisson « fermier » type qui ne s’éloigne jamais du substrat récifal et qui défend ardemment son lopin d’algues. « Un candidat idéal, puisque je cherchais à comprendre jusqu’à quel point la présence du ligament cérato-mandibulaire influençait l’acte de manger chez le poisson-demoiselle. »

Il se rend pour cela au large du Mexique, où il en capture plusieurs spécimens, emportant également des bouts de roche et d’algues, leur nourriture privilégiée. Il les place en aquarium, reconstitue leur environnement, et les filme à l’aide d’une caméra à haute vitesse (jusqu’à 1000 images par seconde). Pour la première fois, un chercheur analyse en détail le mouvement de la tête du poisson demoiselle lorsqu’il se nourrit et défend son abri. Le mouvement est identique dans les deux cas. Le ligament permet au poisson de refermer rapidement la bouche pour capturer des algues filamenteuses sans trop endommager le substrat supportant la culture.

 « C’est un travail de précision, explique le jeune doctorant. Certaines de ces algues sont toutes petites, de l’ordre du millimètre. Le poisson doit donc agir avec précision afin d’éviter d’ingurgiter des éléments non désirés ou d’endommager la culture »

Dans un deuxième temps, sans les blesser, il coupe chez ces spécimens le ligament cérato-mandibulaire et les replace dans l’aquarium. « Ils étaient alors incapables de réaliser le mouvement observé. C’était donc un mécanisme déterminé par la présence du ligament. Ils n’émettaient plus aucun son et ne compensaient pas avec les muscles de la joue, qui sont normalement utilisés par les autres poissons pour fermer la bouche. Mais le plus étonnant, c’est qu’ils ne mangeaient plus d’algues non plus. Ils n’essayaient même pas. Comme s’ils savaient qu’ils ne pourraient de toute façon plus s’en saisir. Pourtant, ils étaient volontaires, ils avaient faim. Et quand je plaçais d’autres types de nourriture, par exemple, ce qu’on trouve dans la colonne d’eau, comme du zooplancton, ils mangeaient ce que je leur donnais sans se poser de question. C’est là qu’on a pu définitivement observer le lien direct entre la présence du ligament et la saisie de l’algue. Je me doutais que c’était un facteur important, mais pas qu’il soit à ce point indispensable. »

L’absence de ligament découverte par hasard chez certaines espèces

Si tous les poissons-demoiselles étudiés à ce jour produisent du son, tous n’ont cependant pas ce fameux ligament. Une particularité évolutive à laquelle les deux biologistes ne s’attendaient pas, et qu’ils ont observée par hasard, en prélude aux recherches de thèse du jeune doctorant. « Pour son travail de thèse, raconte Bruno Frédérich, Damien a d’abord plongé en méditerranée pour capturer des Chromis chromis (La castagnole). C’est l’une des rares espèces de demoiselles ne vivant pas en milieu corallien. Au moment de les disséquer, il n’a pas observé ce fameux ligament cérato-mandibulaire. Au départ, nous pensions que c’était une erreur de manipulation, et puis on a bien dû reconnaître que cette espèce-là en était dépourvue. » Alors que le doctorant commence sa thèse, Bruno Frédérich se trouve aux Etats-Unis pour récolter autant de données possibles sur la forme des mâchoires d’un maximum d’espèces de demoiselles. Une aubaine. L’observation de Damien Olivier apporte une nouvelle dimension dans les deux recherches menées alors en parallèle. Si ce ligament est nécessaire pour se nourrir, pourquoi certains de ces poissons l’ont-ils perdu au cours de leur évolution ? Bruno Frédérich écume les musées, les laboratoires, les aquariums… Chaque fois qu’il dissèque un poisson, il note la présence ou non de ce ligament. Sur 124 espèces étudiées, 19 ne l’ont pas.

« Nous avons donc entamé des études de phylogénie et tenté de savoir si l’ancêtre commun de ces 124 espèces était pourvus du ligament. Au cours de leur évolution, à trois moments au moins, certaines lignées l’ont perdu. Ce qui est remarquable, note Bruno Frédérich, c’est qu’ils continuent de produire du son. Mais ils les produiraient avec les muscles de la joue. »

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