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Détecter les pathogènes dans les fruits de mer

18/12/2014

Invités d’honneur aux repas de fin d’année et aux dîners de mariage, les fruits de mer font partie intégrante des évènements festifs. Mais pour que la fête ne laisse pas un goût amer, mieux vaut s’assurer de la fraîcheur et de la qualité de ces mets alléchants. En effet, ceux-ci peuvent être vecteurs de différents microorganismes pathogènes pour l’homme. En Europe, la commercialisation des produits de la mer est heureusement bien contrôlée afin de minimiser les risques sanitaires pour les consommateurs. Georges Daube et son équipe du Laboratoire de microbiologie des denrées alimentaires de l’Université de Liège ont développé une méthode de biologie moléculaire qui permet d’amplifier des gènes spécifiques de microorganismes afin non seulement de détecter les pathogènes mais aussi d’estimer leur quantité.

HuitresDe 1995 à 2009, le laboratoire de microbiologie des denrées alimentaires de l’Université de Liège, dirigé par le Professeur Georges Daube, a été laboratoire national de référence en la matière pour le ministère de la santé publique. « Dans ce contexte, une grosse partie de nos activités consistait à gérer les laboratoires agréés mais aussi à développer et valider des méthodes de référence pour connaître et maîtriser la qualité microbiologique des aliments au niveau national », explique Georges Daube, du département des Sciences des Denrées alimentaires de la Faculté de Médecine Vétérinaire de l’ULg. « Nous étions plus particulièrement spécialisés dans l’examen bactériologique et virologique des mollusques bivalves vivants », précise le Professeur.

Les huîtres, moules et autres coquillages représentent une problématique particulière d’un point de vue sanitaire car ces organismes filtrent de grandes quantités d’eau pour se nourrir. Or les particules en suspension dans l’eau transportent bactéries et virus, provenant notamment de matières fécales humaines et animales, qui se retrouvent dès lors concentrés dans les mollusques. « Le rôle de notre laboratoire était notamment de mettre au point des méthodes permettant de détecter ce type de pathogènes », poursuit le chercheur.

Développer une méthode de référence pour l’AFSCA

Outre le statut de « filtreurs » des mollusques bivalves, la façon dont nous les consommons, crus ou peu cuits, représente un risque sanitaire supplémentaire. Alors que les huitres ne passent généralement pas à la casserole, la cuisson des moules et coquillages s’arrête dès que les bivalves s’ouvrent. « Ils ne sont donc pas soumis à des températures suffisamment élevées pour permettre de se débarrasser des microorganismes présents dans l’eau », reprend Georges Daube. « Et en ce qui concerne les crustacés, il s’agit bien souvent de recontaminations après la cuisson, lorsqu’on les décortique par exemple. Les bactéries et virus présents sur les mains ou sur les crevettes crues manipulées juste avant peuvent ainsi se retrouver dans notre assiette ».

S’il n’y a qu’un producteur d’huîtres et un producteur de moules en Belgique, nous consommons des produits de mer en provenance de la France, de l’Espagne et d’autres pays voisins ou plus lointains. Afin de s’assurer de la sécurité des consommateurs belges, le Ministère de la Santé, et plus particulièrement l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA), a besoin de méthodes de référence pour effectuer ces contrôles. C’est précisément ce que Georges Daube et ses collègues proposent dans une étude récemment publiée dans Food Control (1). « Au début des années 2000, nous n’avions que des méthodes de base pour détecter la présence de microorganismes dans les aliments », indique le scientifique. « Il fallait broyer l’aliment, le mettre en solution, isoler les microorganismes en les mettant en culture dans des boîtes de Pétri pour qu’ils se multiplient. Ces méthodes étaient très fastidieuses».

Une dose infectieuse minimale sous contrôle

Grâce au soutien de la Région wallonne, Georges Daube a travaillé en collaboration avec Alain Vanderplasschen, Professeur d’immunologie et de vaccinologie à l’ULg, et avec le Professeur José Remacle de l’Université de Namur, afin de développer des technologies pour améliorer ces méthodes. « L’Université de Namur s’est concentrée sur le screening de pathogènes afin d’identifier lesquels sont présents dans un échantillon donné via la méthode des puces à ADN », précise Georges Daube. « De notre côté, nous nous sommes penchés sur une autre méthode de biologie moléculaire, la PCR en temps réel, qui permet d’amplifier des gènes spécifiques de microorganismes afin de détecter les pathogènes et d’estimer leur quantité ». Cet aspect quantitatif est crucial puisque, pour chaque pathogène, il existe une dose minimale infectieuse. En dessous de cette dose, ils ne représentent pas de risque significatif pour la santé de l’homme car ils seront détruits au niveau de l’estomac ou du tube digestif. « La méthode que nous avons mise au point et qui fait l’objet de la publication dans Food Control permet donc non seulement de détecter les pathogènes mais aussi de les quantifier », souligne le chercheur.

Une fois détectés, par la méthode de puces à ADN ou par la PCR en temps réel, il est nécessaire d’isoler les pathogènes pour pouvoir les caractériser et déterminer leur facteur de virulence. « Avec le Professeur Vanderplasschen, nous avons développé des anticorps couplés à des billes magnétiques qui se chargent de capter les microorganismes et nous permettent de les isoler spécifiquement », poursuit Georges Daube.

Une méthode performante pour les fruits de mer

Effectués entre 2006 et 2008, ces travaux ont débouché sur une méthode de référence pour détecter six bactéries dans les produits de la mer : Campylobacter jejuni, Campylobacter coli, Escherichia coli O157 entérohémorragique, Salmonella spp., Vibrio parahaemolyticus, et Vibrio vulnificus« Depuis 2008, il existe des kits commerciaux basés sur la méthode PCR sur le marché. Ils sont principalement utilisés pour l’aspect qualitatif car l’aspect quantitatif nécessite d’avoir recours à une maîtrise reproductible de l’extraction d’ADN. Cette étape n’est pas toujours effectuée de manière optimale et peut alors fausser l’estimation de la quantité des pathogènes présents dans un échantillon », explique le scientifique.  Malgré la disponibilité de kits commerciaux sur le marché, la publication récente de l’équipe du Professeur Georges Daube vient confirmer que la méthode PCR en temps réel peut être considérée comme une méthode de référence dans le contrôle qualité de la nourriture. « L’avantage de notre méthode est qu’elle a été validée plus spécifiquement pour la détection de pathogènes sur des matrices de mollusques bivalves vivants et de crevettes crues et cuites. Car, même si les méthodes actuellement commercialisées sont standards pour toutes les denrées alimentaires, il faut s’assurer qu’elles ont une bonne performance pour la matrice qu’on étudie. Sinon, il y a des risques de faux négatifs qui peuvent avoir de graves conséquences », souligne le chercheur.

Des complications rares mais graves

Les contrôles limitent fortement le risque de contamination des consommateurs de fruits de mer par les pathogènes que ces aliments véhiculent. Cependant, il peut arriver que des pathogènes échappent à la vigilance tant des autorités que des producteurs ou des consommateurs eux-mêmes. Quelles conséquences peuvent avoir ces pathogènes sur la santé humaine ? cultures petri«  Ce sont principalement des bactéries et virus que l’homme, les bovins, les volailles et autres animaux excrètent dans leurs matières fécales et qui finissent alors dans l’eau de mer », explique Georges Daube. « Dans la plupart des cas, ce sont des bactéries qui adhèrent aux cellules qui constituent la paroi de l’intestin et provoquent ainsi des diarrhées, des vomissements, et de la fièvre. Les plus dangereuses entrent dans les cellules de l’intestin et les détruisent, ce qui entraîne des pertes de sang dans les selles. Dans de rares cas, elles peuvent aussi entrer dans la circulation sanguine et provoquer une septicémie, c’est-à-dire une infection généralisée de l’organisme. Les défenses immunitaires sont alors dépassées et cela peut parfois conduire à la mort ».

plateau fruits de merParmi les six bactéries visées par la méthode de détection décrite ci-dessus, Escherichia coli O157 entérohémorragique est la plus préoccupante. En effet, celle-ci provoque des coliques hémorragiques d’une part mais libère également des toxines qui détruisent la couche interne des vaisseaux sanguins. De graves maladies avec symptômes nerveux et/ou insuffisance rénale peuvent en découler. 
On l’a compris, les complications d’une contamination sont rares mais peuvent avoir des conséquences dramatiques, surtout sur la santé des personnes à risques (bébés, personnes âgées, femmes enceintes et personnes immunodéprimées).

Escherichia coli, bactérie sentinelle de l’environnement

Cerise sur le plateau de fruit de mer, les mollusques et crustacés peuvent également concentrer des biotoxines marines provenant de microalgues, les dinoflagellés. « Il faut donc garder en tête que lorsqu’on parle de symptômes suite à l’ingestion de fruits de mer, cela peut être dû soit à des biotoxines soit à des microorganismes », poursuit Georges Daube. Pour minimiser les risques liés aux biotoxines, les autorités surveillent la qualité de l’eau de mer et la quantité de dinoflagellés. « C’est notamment à cause de ces microalgues que, chaque été, des récoltes d’huîtres sont interdites dans le bassin d’Arcachon par exemple », explique le scientifique. Pour ce qui est du contrôle des microorganismes, il se fait surtout actuellement via la présence en trop grande concentration d’une bactérie, Escherichia coli (à ne pas confondre avec son variant pathogène O157 entérohémorragique mentionné plus haut !), naturellement présente dans le flore intestinale de l’homme et des animaux. Une trop grande quantité de cette bactérie reflète une contamination fécale des eaux et un risque accru de retrouver certains des pathogènes cités ci-dessus dans les mollusques.

« Je n’ai pas de souvenir d’épidémie à grande échelle en Belgique  mais en France, où l’élevage et la consommation des fruits de mer sont plus importants, les germes cités dans notre article ont déjà provoqué plusieurs épidémies », indique Georges Daube.

Pas de quoi paniquer ou se priver d’huîtres, homards ou autres fruits de mer. Juste de quoi garder à l’esprit qu’il vaut mieux opter pour des produits contrôlés conformément au Règlement appliqué sur tout le territoire de la Communauté européenne.

Depuis 2009, le ministère de la santé publique a repris à son compte la référence en microbiologie des denrées alimentaire. Le laboratoire de Georges Daube s’est depuis spécialisé dans l’étude des écosystèmes microbiens, c’est-à-dire l’ensemble des microorganismes présents dans un échantillons biologique. « Cela couvre toujours les aliments mais aussi, plus largement, l’eau, le tube digestif, l’environnement etc. Nous utilisons des méthodes de pointe de séquençage à haut débit grâce auxquelles on peut identifier notamment toutes les bactéries et virus d’un échantillon biologique donné », précise le chercheur.

(1) B. Taminiau, N. Korsak, C. Lemaire, V. Delcenserie, G. Daube. Validation of real-time PCR for detection of six major pathogens in seafood products. Food Control. Volume 44, October 2014, Pages 130–137


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