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Quand les phoques gris deviennent des tueurs
02/12/2014

Phoques gris MarsouinSi le nombre de ces mammifères marins va en décroissant, la population de phoques gris désormais présente au sud de la Mer du Nord est en train d’exploser. Une migration au détriment d’autres espèces ? Des attaques similaires auraient également été observées sur des phoques communs en Allemagne. Face aux autres mammifères, les phoques gris peuvent compter sur leur imposante stature. Pesant jusqu’à 320 kilos et pouvant mesurer plus de deux mètres, seuls les orques et les requins sont leurs prédateurs. Or ces derniers ne courent pas les plages à la côte belge et dans le nord de la France… Avec une masse maximale qui dépasse rarement la centaine de kilos, les « cochons de mer » ne font pas le poids.

Les morsures étudiées par les spécialistes de l’ULg résultent-elles d’une lutte pour attraper les mêmes proies ? L’hypothèse de la compétition alimentaire pourrait être envisagée. Bien que les phoques gris mangent essentiellement des poissons de plus ou moins grande taille et que les marsouins se révèlent beaucoup plus opportunistes en se contentant aussi de petits crustacés, tous deux se nourrissent d’espèces communes. « On peut dès lors imaginer que ces attaques sont un effet collatéral de la surpêche, qui diminue les quantités de poissons disponibles et qui entraînerait une plus grande concurrence », envisage Thierry Jauniaux.

De là à penser que les attaques ne relèvent pas de la simple agression mais que les phoques gris se sont mis à consommer du marsouin… Cette explication est parfois évoquée, d’autant que les lésions sont souvent constatées en hiver, époque à laquelle les besoins métaboliques se révèlent plus importants. Mais le pas ne peut toutefois pas être si facilement franchi. Car lors des autopsies, une fois tous les lambeaux de chairs et de lard « reconstitués », aucun morceau ne semble avoir disparu. Pour en avoir le cœur net, il faudrait analyser le contenu des tubes digestifs de ces nouveaux prédateurs pour tenter d’y retrouver des traces de ses supposées nouvelles proies. Or l’organisme des premiers transforme et assimile très rapidement les aliments : en une heure à peine, leur estomac est vidé. Il faudrait dès lors un sacré hasard pour les retrouver sur une plage juste après leur repas !

La faute aux filets ?

Autre piste avancée : une hargne provoquée par une trop forte proximité dans un espace restreint. « Parfois, des traces de filets de pêche sont observées sur les corps des marsouins. On suspecte dès lors que les morsures ont eu lieu dans ce contexte de grande promiscuité », poursuit-il, ajoutant que les agressions sont généralement focalisées à certains endroits, aux alentours de Boulogne-sur-Mer et de Dunkerque en France. Or l’espèce des phoques gris est plutôt sédentaire même si, à certaines périodes, ils peuvent réaliser de longs déplacements. « Serait-ce le fait que quelques individus isolés, de mâles adultes, voire d’un seul phoque ? »

Là encore, la génétique pourrait permettre d’y voir plus clair. « Pour établir le sexe de l’animal, on serait obligé de passer par l’analyse d’ADN génomique or, à nouveau, on a peu de chances d’en déceler étant donné les longues périodes que le cadavre passe dans l’eau avant d’échouer, développe Mutien-Marie Garigliany. Par contre, grâce à l’ADN mitochondrial, on pourrait déterminer si l’on a affaire à différents individus. Mais pour cela, il faudra d’abord cumuler les échantillons ».

Les mystères entourant cette inédite prédation sont encore loin d’être résolus. Pour les deux spécialistes liégeois, ces zones d’ombre ne doivent en tout cas pas donner de grain à moudre aux lobbys à la recherche d’arguments pour relancer la chasse aux phoques. La nature a ses raisons que l’homme peut essayer de comprendre, mais contre lesquelles il peut difficilement agir…

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