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Quand les phoques gris deviennent des tueurs
02/12/2014

Les « Experts »  

« C’est à ce moment-là que nous avons commencé à jouer aux Experts, sauf qu’il nous a fallu plus de quarante-cinq minutes pour résoudre l’énigme », s’amusent Thierry Jauniaux et Mutien-Marie Garigliany, chercheurs au sein du laboratoire de Pathologie animale de l’ULg. Les résultats de cette enquête viennent d’être publiés par la revue en ligne PLOS ONE (1).

Comme souvent dans les séries télévisées américaines, l’identité du coupable a été confirmée en grande partie grâce à l’ADN. Lors d’autopsies de cinq marsouins, des écouvillons – ces longs cotons tiges dont ne se sépare jamais la police scientifique – ont été frottés à l’intérieur des lésions. Etant donné la longue durée de séjour des carcasses dans l’eau de mer avant d’atteindre la plage, les chances d’y déceler des traces d’ADN génomique étaient minces.

Par contre, l’ADN mitochondrial se révèle plus résistant. « Il se conserve beaucoup mieux, probablement grâce au maintien prolongé de l’intégrité de la membrane mitochondriale », décrit Mutien-Marie Garigliany. Les analyses ont en effet permis d’en détecter, non pas sur les bords des lacérations, mais là où les coups de dents avaient été les plus profonds. Une empreinte génétique laissée par la salive de l’animal agressif, mais à l’abondance forcément limitée.

« Il a donc fallu mettre au point une méthode d’amplification qui allait permettre, à partir de traces d’ADN, d’aboutir à des quantités détectables pour en obtenir une séquence, explique le chercheur. Or rien n’existait dans la littérature pour cette espèce, il a fallu tout mettre au point ».  Le recours à l’ADN pour étudier les auteurs de comportements de prédation avait déjà été appliqué dans l’écosystème terrestre, mais jamais en milieu marin.

Ce procédé inédit a porté ses fruits : les phoques gris sont bien les responsables de ces plaies. Leur ADN a été identifié sur deux des cinq cadavres. Pour en être tout à fait certains, les chercheurs liégeois ont procédé à un autre test. Avec la tête d’un de ces gros mammifères morts, ils ont simulé une morsure sur une carcasse. Résultat compatible, une nouvelle fois.

Une migration qui pose question

Plus de doute, donc, sur l’identité du coupable et même du « meurtrier ». Si ces lésions ne sont pas la cause directe de la mort, elles l’ont probablement entraînée. Quatre des cinq « cochons de mer » autopsiés sont décédés des suites d’un œdème pulmonaire résultant d’une asphyxie. En d’autres termes, les phoques gris auraient tenté de submerger les marsouins jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus respirer.

Zone géographique MarsouinsPourquoi ces attaques ont-elles commencé ? Et, tout d’abord, que font les phoques gris dans les eaux de la mer du Nord ? Il y a encore une dizaine d’années, ils en étaient complètement absents, leur préférant celles du nord de l’Atlantique et de la mer Baltique, et plus particulièrement les abords de l’Islande, de la Norvège et du Royaume-Uni. « Entre 1991 et 2002, je n’en ai pas eu un seul à autopsier, confirme Thierry Jauniaux. À partir de 2002, j’ai été confronté à quelques cas. Aujourd’hui, il y en a de plus en plus ». Même constat pour les marsouins : entre 1991 et 2000, ce chercheur en a vu passer 55. Actuellement, ce chiffre est atteint en moins de six mois.

(1)  Bite injuries of grey seals (Halichoerus grypus) on harbour porpoises (Phocoena phocoena), Thierry Jauniaux, Mutien-Marie Garigliany, Pauline Loos, Jean-Luc Bourgain, Thibaut Bouveroux, Freddy Coignoul, Jan Haelters, Jacky Karpouzopoulos, Sylvain Pezeril and Daniel Desmecht, PLOS ONE, 2014

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