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Abus sexuels et délinquance
27/11/2014

Fabienne Glowacz rappelle toutefois que l’agression sexuelle n’a pas de frontières sociales et cite l’exemple de deux patientes suivies à plusieurs années d’intervalle, toutes deux abusées par le même homme, qui fut successivement le compagnon de leurs mères respectives. Les rapports sexuels forcés étaient accompagnés de transactions financières, qui instauraient une relation de type « prostitutif ». Malgré le même schéma et le milieu relativement aisé, l’une est devenue délinquante, l’autre résiliente.   

Aggravante chronicité

Ni la nature de l’abus, ni l’âge, ni la présence de violences lors des viols ou attouchements, ni le lien relationnel avec l’auteur de l’agression sexuelle ne semble par ailleurs jouer un rôle dans les parcours de vie des victimes. La durée de l’abus aurait par contre une influence : les ados délinquantes y ont été exposées plus longtemps que les autres.

Mais ce sont surtout les circonstances du dévoilement, de la révélation de la situation abusive, qui semblent être déterminantes. Fabienne Glowacz et Rachel Buzitu se sont aperçues que celles qui étaient parvenues à s’en sortir avaient bénéficié d’un soutien du père (lorsque celui-ci n’est pas l’agresseur) plus important que les autres. Une dimension qui avait jusqu’à présent été ignorée par la psychologie, qui s’était surtout concentrée sur la place et le soutien des mères. Mères qui n’épaulent pas toujours leurs filles dans l’épreuve. Parce qu’elles ne peuvent pas croire que leurs compagnons soient responsables de tels actes, parce qu’elles pensent que leur enfant a inventé, a provoqué, et les tiennent pour responsables… « Le soutien maternel est excessivement important et réparateur pour l’adolescente et va jouer sur le sentiment de culpabilité et l’angoisse d’abandon… Mais on avait oublié le rôle du père, qui va pouvoir aider à remplacer, réhabiliter la fonction et l’image de l’homme, apporter un soutien affectif désexualisé, investir le lien et par là même les protéger d’une trajectoire délinquante ». Dans l’exemple cité plus haut par Fabienne Glowacz, ce paramètre « paternel » fut effectivement important pour la jeune fille qui s’en était sortie mais absent pour l’autre, alors que les mères n’étaient soutenantes dans aucun des deux cas.

Mobilisation paternelle

Il ne s’agit pas du seul facteur de résilience pointé par l’étude. Une prise en charge thérapeutique et la mobilisation de ressources extrafamiliales (de liens avec un adulte extérieur, un enseignant, un ami…) sont également essentielles. Fille pèreMais le soutien paternel, qu’il soit immédiat après le dévoilement ou différé, est une piste importante à investiguer d’un point de vue thérapeutique. « Comment mobiliser ces pères, comment les intégrer dans la prise en charge ? Ce n’est pas toujours simple, parce qu’ils ont parfois été éloignés de la sphère familiale lorsque la mère a entamé une nouvelle relation amoureuse. Puis tous ne parviennent pas à supporter et à appréhender une telle détresse chez leurs enfants », relève la psychologue. La donne change évidemment si le père se révèle être l’auteur des abus. « Dans ce cas, dans le cadre du travail thérapeutique, il sera alors important de soutenir le père dans la reconnaissance de sa responsabilité de sorte à aider sa fille à se dégager du lourd sentiment de culpabilité, en lui permettant de comprendre que ce n’est pas de sa faute à elle … »

Le défi du clinicien sera non seulement d’activer tous ces soutiens, mais aussi de conduire les jeunes filles vers une thérapie, elles qui d’ordinaire n’activent pas spontanément le système d’aide. Parce qu’il leur est trop difficile d’évoquer ces faits ou d’être confrontées aux sentiments de culpabilité et de honte qui peuvent les ronger. « C’est à nous de développer des stratégies d’intervention avec ces adolescentes, leurs mère et père, et créer une alliance thérapeutique, soutenir les parents à soutenir leur enfant  », résume Fabienne Glowacz. Pour que le destin d’une femme sur cinq ne soit pas nécessairement un destin brisé.

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