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Abus sexuels et délinquance
27/11/2014

Entre difficulté et soulagement

Ado alcoolPourquoi certaines s’en sortent-elles mieux que d’autres ? Quelles raisons, quels facteurs, quelles aides, quels obstacles sont intervenus au cours de leur existence mais ont fait défaut à d’autres ? Fabienne Glowacz et la psychologue Rachel Buzitu ont cherché les réponses à ces questions en interrogeant vingt-trois adolescentes âgées de 12 à 18 ans ayant subi des violences sexuelles durant leur enfance, dont quinze sont délinquantes et huit non (1). « Il a été très difficile de les identifier puis de les rencontrer, relate la chercheuse liégeoise. Nous avons notamment collaboré avec des intervenants de plusieurs centres (services hospitaliers, services spécialisés, institution publique de protection de la jeunesse). Une fois que la confiance était établie, le fait de se raconter peut être vécu comme un soulagement. »

Les rencontres ont été conduites sous forme d’entretiens où la parole était libre, complétés  de tests mesurant plusieurs dimensions psychologiques, familiales et environnementales : l’agressivité, l’estime de soi, l’attachement familial et le stress post-traumatique, les réactions lors du dévoilement, le soutien perçu…

Une fois ces données récoltées, l’heure a été à la comparaison. D’abord avec un groupe de 108 adolescentes qui n’ont pas subi de victimisations sexuelles. « Nous voulions évaluer en quoi les jeunes filles ayant été abusées sexuellement se différenciaient des jeunes filles n’ayant pas subi de victimisations sexuelles,  explique Fabienne Glowacz. Nous avons observé essentiellement trois différences. » D’abord au niveau de l’agressivité, les tests mesuraient quatre paramètres : l’agressivité physique, verbale, la colère et l’hostilité. Les scores des jeunes victimes d’abus sexuel sont globalement plus élevés. Ensuite concernant l’abus de substances, les adolescentes abusées consomment davantage de cannabis et d’alcool que les autres, ce qui n’est probablement pas sans rapport avec leur trajectoire délinquante.

Attirance romantique

Enfin, les victimes d’abus ont une image négative d’elles-mêmes dans tous les domaines. Estime de soi globale, école, acceptation sociale, amitiés, apparence physique, conduite comportementale… Sauf pour un paramètre : l’attirance romantique. « Elles se sentent plus attirantes par rapport à l’autre sexe. Elles pensent avoir de la valeur uniquement par la sexualité, comme si elles avaient construit leur identité sur cette dimension…. ce qui risque de les conduire à une sexualisation des rapports aux autres, et donc de les rendre plus vulnérables par rapport à d’autres victimisations sexuelles. On a ainsi souligné l’importance du travail sur cette représentation de soi sexualisée lors de l’accompagnement psychothérapeutique de ces jeunes filles».

Dans un second temps, le même exercice de comparaison a été réalisé, cette fois entre les adolescentes abusées délinquantes et celles qui, au contraire, n’ont pas rencontré de problèmes avec la justice. Les premières présentent « un stress post-traumatique plus élevé que celles qui vont bien, résume la psychologue. Elles vont afficher toute une série de symptômes comme l’angoisse, et surtout vont tenter de se couper du traumatisme vécu via ce que l’on appelle des symptômes d’évitement, pour mettre à distance tout ce qui peut raviver le traumatisme. Dans ce sens, la délinquance peut d’ailleurs être vue comme  une  manière de se couper de la souffrance et du traumatisme liés aux abus sexuels…»

L’étude indique que les jeunes délinquantes ne se montrent pas plus agressives ni physiquement, ni verbalement, mais ressentent par contre une colère et une hostilité plus importantes, qui les amènent à considérer le monde et les autres comme extrêmement menaçants. Concernant l’attachement familial, les chercheuses avaient émis l’hypothèse que la qualité des relations construites dès la petite enfance pouvait être meilleure chez les jeunes femmes résilientes. Il n’en est finalement rien. Aucune différence n’a été observée, bien que l’ensemble des vingt-trois adolescentes soit issu d’un environnement familial assez violent ou négligeant.

(1) Adolescentes victimes d'abus sexuel et trajectoire délinquante : quels facteurs de résilience ?, Glowacz, Fabienne & Buzitu Rachel, Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence (2014), 62(6), 349-357

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