Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège


Agritourisme : la nouvelle vache à lait des agriculteurs ?

21/11/2014

En cette période de vaches maigres et de crise agricole, certains agriculteurs se doivent de redynamiser l’économie locale pour espérer ainsi mettre du beurre dans leurs épinards. L’investissement dans l’agritourisme apparaît comme une solution magique. Charline Dubois, une jeune chercheuse de l’Université de Liège, s’est penchée sur le sujet en analysant les différents types d’agritourismes existant en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg.

Chambre d'hôtesL’accueil chez l’habitant constitue, en soi, la première forme de tourisme. Et cela existe depuis longtemps. Il y a un siècle, les paysans vivant dans les Alpes françaises et autrichiennes ouvraient chaleureusement leurs portes aux visiteurs étrangers, marquant ainsi les débuts du tourisme vert. Aujourd’hui, d’autres pays, tels que l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie ou la Slovénie, misent particulièrement sur le caractère pittoresque de leurs campagnes pour attirer de nombreux voyageurs.

Après l’exode rural et la vague de périurbanisation qui s’en est suivie, on pourrait à présent évoquer un phénomène d’exode urbain. Un retour aux sources, à la recherche d’authenticité, de rencontres locales, de produits du terroir, d’immersion dans la nature. Le monde rural, et plus particulièrement le monde de la ferme, a toujours occupé une place significative au sein du dispositif patrimonial et touristique. De quoi encourager les agriculteurs à diversifier leurs activités en investissant dans une nouvelle forme de tourisme : l’agritourisme.

Le champ est libre !

« L’agritourisme, c’est comme L’Amour est dans le Pré ! », a répondu un quidam dans le questionnaire d’enquête de terrain soumis par Charline Dubois durant sa thèse de doctorat. Au vu de ce constat effarant, quelques précisions s’imposent... A l’heure actuelle, il n’existe toujours pas de consensus quant à la terminologie, aux définitions et aux concepts. De nombreux auteurs ont toutefois tenté de clarifier la situation. Par exemple, en 2006, Marcotte et al. ont établi une gradation ; chaque terme spécifie une spécialisation territoriale de l’activité touristique(1). Alors que le tourisme rural englobe « l’ensemble des activités touristiques pratiquées dans le territoire rural humanisé », l’agritourisme (parfois appelé agrotourisme) s’exerce dans un milieu agricole ou à vocation agricole. Le tourisme à la ferme, quant à lui, se limite exclusivement aux enceintes de la ferme.

Dans sa thèse, Charline Dubois se concentre uniquement sur l’agritourisme et le définit comme « l’ensemble des activités et services de tourisme et de loisirs présents dans une exploitation agricole en activité »(2). Les derniers mots sont d’une importance capitale puisqu’ils restreignent le domaine de l’étude aux agriculteurs travaillant encore dans leur ferme. Ceux qui vivent uniquement de l’agritourisme ont donc été exclus de l’étude, l’objectif de la chercheuse étant de « pouvoir relier une problématique de diversification dans une ferme qui en a besoin ». Les personnes issues de milieux ruraux et pratiquant le tourisme rural ont, elles aussi, été écartées.

Le domaine d’étude inclut le Grand-Duché de Luxembourg et la Wallonie, deux entités proches de par leur agriculture et leur marché touristique. L’agritourisme qui s’y développe demeure très marginal ; la Wallonie recense à peine 3% d’exploitants agritouristiques (soit 380 tenanciers sur 14.500 exploitations agricoles) tandis que le territoire luxembourgeois en compte moins de 1% (15 tenanciers sur 2200 exploitations agricoles). Malgré le faible taux de concernés, cette activité demeure importante pour les agriculteurs car cela constitue une source de revenus complémentaires(3).

Agriculture de plaisance

Parmi les exploitants agritouristiques, on retrouve essentiellement des agriculteurs proches de la pension et désireux de continuer à travailler par passion, d’accueillir des étrangers. Chez les jeunes agriculteurs, la vision est différente. La priorité est placée sur l’investissement financier pour reprendre une ferme. Ceux qui parviennent ensuite à se lancer dans une activité agritouristique le font souvent avec l’aide des parents. Le développement de l’agritourisme est un projet familial.

localisation agrotourisme

Si des dissemblances surviennent en fonction de l’âge, les motivations seront encore plus marquées en fonction du territoire géographique. En effet, au Luxembourg, le côté pragmatique est largement mis en avant. « La taille des fermes est importante. Certains agriculteurs se disent alors qu’il vaut mieux occuper l’espace disponible. Certains estiment qu’ils sont assez riches et qu’ils n’ont pas besoin d’ajouter une préoccupation supplémentaire. Quoi qu’il en soit, les Luxembourgeois n’ont jamais vraiment eu la culture et la tradition d’accueillir les touristes, et quand ils partent en vacances, c’est pour partir loin de chez eux », explique Charline Dubois, en reprenant là les propres termes d’agriculteurs interrogés. En Wallonie, c’est différent. Il s’avère que leur accueil est très apprécié. « La plupart des agriculteurs wallons recherchent le contact avec les gens, ils veulent ouvrir leur espace de vie. C’est le monde des vacances qui arrive à eux, car la plupart n’ont pas le temps de voyager », estime la géographe.

Ce besoin de rencontres est particulièrement induit par la compagne. Celle-ci désire en effet occuper une place plus importante dans le processus de production et acquérir une responsabilité financière et une indépendance identitaire vis-à-vis de l’homme. Dans le cadre marchand généré par le tourisme, la femme peut alors valoriser les compétences qu’elle mobilisait autrefois gratuitement. « C’est donc souvent Madame qui gère l’activité agritouristique pendant que Monsieur s’occupe de l’activité agricole », constate la chercheuse de l’ULg.

A cheval sur plusieurs domaines

L’agritourisme est loin d’être un produit standardisé et connu. En Wallonie et au Grand-Duché, la classification est complexe. D’après Charline Dubois, il convient de dissocier plusieurs « pôles ». Le pôle « hébergement », de loin le plus représenté, désigne la location de gîtes, de chambres d’hôtes ou de camping. La formule du gîte est largement proposée car elle demeure la solution la plus simple pour l’agriculteur ; il suffit de confier une clé aux touristes en leur laissant un maximum d’autonomie. En revanche, le système de camping est très peu proposé (seules quelques fermes en Wallonie fonctionnent de la sorte). Le pôle « gastronomie », de plus en plus en vogue, fait référence au concept de restaurant à la ferme et aux produits du terroir. Le pôle « pédagogie/informations » permet de réaliser des stages à la ferme et de découvrir le métier d’agriculteur. Le pôle « location » met à disposition des bâtiments (pour fêtes de famille, banquets, etc.) et des prairies (pour les camps scouts ou pour des événements en plein air). Et enfin, le pôle « activités & loisirs » comporte une multitude d’activités pour un large public : glacier à la ferme, boulangerie, golf champêtre, activités équestres, promenades balisées, VTT, natation en lac, pêche, chasse, etc. Une expérience sensationnelle est aussi souvent recherchée. De plus en plus, de nouvelles activités originales et insolites voient le jour : « Il existe des boules sphériques transparentes en plein milieu du champ dans lesquelles on dort. Ainsi, la nuit, on peut observer les étoiles et se réveiller à côté d’une vache qui se trouve de l’autre côté de la vitre », explique Charline, à la fois amusée et stupéfaite.

agritourisme wallonEtape suivante dans l’étude de la jeune Liégeoise : construire un modèle qui montre un lien fort entre les types d’agritourismes et les types de campagnes. « Je voulais circonscrire des régions agritouristiques. Mais c’est en fait très compliqué car cela va dans tous les sens. Oui, il existe certains liens, mais il n’est pas possible de régionaliser. J’ai néanmoins pu mettre des liens en évidence, en combinant certains types d’agritourismes et une typologie des types de campagnes restreints (culture, élevage, mixte, forêts) auxquels j’ai ajouté d’abord des facteurs liés à l’accessibilité, à la destination touristique et au milieu agricole et ensuite des filtres de développement comme la concurrence du marché résidentiel », explique-t-elle. Ainsi, dans les régions orientées fortement vers la culture, comme la Hesbaye, l’agritourisme se développe moins souvent en vertu du fait que les touristes sont généralement désireux de voir de l’activité agricole, et de préférence des animaux. Par conséquent, dans ces régions, l’agritourisme est plutôt axé vers la gastronomie ou la location de salles. A l’inverse, des régions fort vallonnées comme l’Ardenne sont plutôt orientées vers la sylviculture. Les exploitants agritouristiques mettent alors en avant le côté sportif, l’aventure et le dépassement de soi.

Enfin, le type mixte semble être le cas idéal pour se développer. L’agriculteur peut effectivement miser sur plusieurs tableaux : contact avec les animaux, découverte des cultures, promenades balisées, etc. Le Condroz et le Pays de Herve sont très propices au développement de ce type d’agritourisme, tourné vers une clientèle familiale demandeuse

Les agriculteurs ne sont pas forcément conscients des liens évoqués précédemment. Leur raisonnement repose sur d’autres facteurs plus évidents. Dans un premier temps, il s’agit de bien se positionner par rapport à son budget. « Il faut voir ce qu’on peut faire avec son argent. Investir dans un gîte, c’est comme investir dans une maison, ce n’est quand même pas rien », précise Charline Dubois. Les agriculteurs se posent ensuite diverses questions pratiques : Est-ce qu’on a des bâtiments libres ? Quelle est leur grandeur ?  Qu’est-ce qu’on a envie de faire ? Est-ce qu’on a envie de voir des gens ? Plutôt gîte ou chambre d’hôtes ? Est-ce que la région est touristique ? Est-ce que la région est au calme ou pas ? « Là, ça se complique, affirme Charline, car certaines personnes préféreront des vacances dans un endroit perdu alors que d’autres souhaiteront rester dans une région dynamique et facilement accessible ».

Après avoir fait le tour du potentiel physique, c’est le potentiel humain qui entre en jeu. Les aptitudes et qualifications de chacun des membres de la famille sont passées au crible. « Si on est agriculteur, on n’a pas fait l’école hôtelière », déclare la chercheuse, en toute logique. « En revanche, si la compagne est restauratrice, il est alors judicieux de s’orienter vers le pôle gastronomique. De même, si la compagne est institutrice et qu’il y a des gros bâtiments à disposition, il peut être intéressant de développer une ferme pédagogique », ajoute-t-elle.

Pour encourager davantage l’investissement, les agriculteurs peuvent compter sur les subsides du gouvernement. Il existe également des partenaires (Accueil Champêtre en Wallonie et l’Association pour la Promotion du Tourisme Rural au Grand-Duché) qui se chargent, moyennant une cotisation annuelle, de gérer la promotion de l’activité et de donner des conseils, tant au niveau législatif qu’au niveau de la déco, avant de se lancer dans l’aventure.

Le rat des villes et le rat des champs

Qui attirer sous son toit ? Le citadin ou le campagnard ? A vrai dire, l’un et l’autre. Il n’existe pas un profil particulier de touristes fréquentant l’agritourisme. Néanmoins, certaines caractéristiques sont plus favorables à la pratique de ce type de tourisme. L’expérience est très souvent vécue en famille, le temps d’un long week-end de détente, et ce peu importe le moment de l’année. Derrière ce volet de vacances au calme, intervient l’aspect pédagogique. D’après Charline Dubois, « les parents, qu’ils soient originaires de la ville ou de la campagne, souhaitent apprendre quelque chose à leurs enfants, tout en (re)découvrant parfois eux-mêmes leurs racines ».

Il est par ailleurs surprenant d’observer les différences de conception de l’agritourisme chez les individus. Par exemple, la géographe mentionne la réaction inquiète – et légitime - de certaines personnes : « Ce n’est pas des vacances, ça. Je n’ai pas envie de travailler, moi, quand je suis en vacances ! ». Certes, ce genre de pratique existe ; il s’agit du woofing. Mais ce n’est pas considéré comme de l’agritourisme. D’autres voyageurs, quant à eux, perçoivent l’agritourisme comme un contact avec les animaux et une découverte des machines agricoles.  Ceux qui ont déjà vécu l’expérience se rendent compte qu’il n’y a pas toujours un contact avec la ferme. « Ces touristes mettent d’abord en avant le fait qu’ils vont être au calme et qu’ils ne vont pas être traités comme des numéros, à l’instar d’un séjour à l’hôtel. Ils se sentent considérés en tant que personnes », explique la jeune Liégeoise.

« Martine à la ferme », nouvelle édition

Contrairement aux idées conçues, les personnes originaires de la campagne ne connaissent pas forcément les caractéristiques liées à l’agriculture. Plus étonnant encore, les citadins se feraient une meilleure représentation de ce qu’est réellement la ferme. En 1954, Casterman publiait le célèbre « Martine à la ferme ». Le coq sur un tas de fumier, les géraniums au balcon, la basse-cour accueillante… C’est l’image traditionnelle de la ferme. Du moins, c’était. Aujourd’hui, les touristes s’attendent à être accueillis dans les mêmes conditions bucoliques, si bien qu’il existe, au sens propre comme au sens figuré, deux chemins bien distincts au sein de l’exploitation agricole(4,5). Le premier mène les touristes vers la belle cour carrée qui reflète le patrimoine et l’architecture d’antan. Le second - celui qui n’intéresse pas les touristes – constitue l’entrée des tracteurs vers la ferme en activité construite dans un grand hall un kilomètre plus loin. « En promouvant l’agriculture de Martine à la ferme, on ne valorise nullement l’agriculture moderne actuelle et les nouvelles technologies agricoles. Les gens conservent donc une image arriérée de la ferme, c’est dommage », déplore Charline Dubois.

Au-delà de ce constat regrettable, l’agritourisme demeure une solution « win-win ». D’une part, les agriculteurs audacieux se voient récompensés et peuvent alors joindre les deux bouts financièrement. D’autre part, la demande des touristes en manque de verdure est assurée, et ce à quelques kilomètres seulement de chez eux. Mais est-ce que le phénomène va perdurer dans le temps ? Rien n’est moins sûr… « Au Luxembourg, la situation actuelle est délicate. Le gouvernement souhaite que le phénomène prenne de l’ampleur. Mais il faut que les mentalités suivent… Tant chez les agriculteurs que chez les touristes », explique la chercheuse de l’ULg. En Wallonie, la tendance bat son plein pour les établissements primés (4 ou 5 épis) et/ou pour l’insolite. « Peu d’agriculteurs vont oser se lancer dans un établissement 1 épi car ils savent très bien que le touriste est roi. Ces derniers veulent être mieux que chez eux. Donc ils ne vont pas rechercher une chambre 1 épi. Pourtant, il y a quelque chose à faire dans ces établissements moins prestigieux. Ainsi que dans le camping. Car les premiers partisans du camping, ce sont les Flamands et les Hollandais. Et c’est 70% de la clientèle du tourisme wallon ».
gite agro luxe
Dès lors, de nombreux efforts doivent encore être mis en œuvre pour que l’agritourisme devienne réellement une panacée pour tous les agriculteurs qui se lancent dans l’aventure. Si la standardisation de l’agritourisme permettait d’aboutir à une meilleure reconnaissance et à une meilleure publicité, cela pourrait également devenir la pire évolution possible, dénaturant ainsi un produit qui a besoin de diversification et d’authenticité. Par ailleurs, le modèle heuristique proposé par Charline Dubois devrait permettre d’augmenter la convergence entre les attentes des différents acteurs.

(1)  Marcotte P., L. Bourdeau & M. Doyon (2006). « Agrotourisme, agritourisme et tourisme à la ferme ? Une analyse comparative », Téoros, Vol. 25 n°3, 80 p.
(2) Dubois C. (2014). « Quels agritourismes pour les campagnes périurbaines ? Les cas de la Wallonie et du Grand-Duché de Luxembourg ». Thèse de doctorat, Université de Liège, 306 p.
(3) Dubois C. & S. Schmitz (2013). « What is the position of agritourism on the Walloon tourist market ? ». European Countryside, 5(4), pp. 295-307.

(4) « Agritourisme : quand Martine a déserté la ferme... » (Magazine Culture de l’ULg)

(5) Dubois C. & S. Schmitz (2013). « What is the position of agritourism on the Walloon tourist market ? ». European Countryside, 5(4), pp. 295-307.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_376439/fr/agritourisme-la-nouvelle-vache-a-lait-des-agriculteurs?printView=true - 25 avril 2024