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14/11/2014

L’insouciance des réseaux sociaux

Publics ou non, les clichés diffusés sur les réseaux sociaux ? La question n’est pas clairement tranchée… Mais les utilisateurs se montrent eux-mêmes souvent assez insouciants. Ainsi, qui n’ignore pas qu’en s’inscrivant sur Facebook, l’internaute concède automatiquement à la firme de Mark Zuckerberg une licence d’exploitation de tous les contenus publiés ? Ce qui signifie, en théorie, que l’entreprise pourrait vendre ces données (même les plus privées) à des tiers qui en feraient un usage commercial, ou encore les utiliser dans le cadre d’une publicité.

Cependant, le droit à l’image ne se résume pas au droit à la vie privée, bien que ces deux concepts aient une intersection commune mais mouvante. Parfois ils se rejoindront complètement, parfois ils seront dissociés. En 2008, une affaire avait ainsi opposé le couple Nicolas Sarkozy-Carla Bruni à Ryanair. Pour l’une de ses publicités, la compagnie aérienne low cost avait utilisé un cliché du couple présidentiel pris lors de vacances en Egypte. Une bulle avait été ajoutée, faisant dire à l’ancien mannequin : « Avec Ryanair, toute ma famille peut venir assister à mon mariage ». Cela n’avait pas du tout plu aux intéressés. Le président français avait saisi le tribunal et réclamé 1 euro symbolique,  tandis que la chanteuse exigeait 500.000 euros de dommages et intérêts. Le juge n'ira pas jusque-là, abaissant le montant à 60.000 euros pour atteinte à son droit à l’image. Il ne s’agissait toutefois pas d’une atteinte à la vie privée, étant donné la notoriété des futurs mariés et la nature de la photographie.

Une parole donnée…

L’autorisation reste un élément primordial. Et mieux vaut réfléchir à deux fois avant de donner sa bénédiction. Si, auparavant, il arrivait aux tribunaux belges d’autoriser l’application d’un « droit de retrait », ils se montreraient désormais de moins en moins enclins à le faire. En 1987, une étudiante flamande avait posée nue pour Playboy, lors d’un séjour tous frais payés aux Canaries, en plus d’avoir reçu des honoraires. Bien qu’elle ait autorisé par écrit la diffusion, le reportage n’avait jamais été publié. En 1993, le magazine avait voulu ressortir les clichés du placard, mais la jeune femme, devenue entretemps présentatrice télé, avait fait volte-face. La justice avait abondé dans son sens, tout en l’obligeant à rembourser les sommes qui lui avaient été octroyées.

Vingt-sept ans plus tard, le jugement ne lui aurait peut-être plus été si favorable. Car l’on pourrait aussi arguer que ce retournement de veste entrait en conflit avec le droit des contrats. « Une porte de sortie aujourd’hui pourrait être l’abus de droit, le fait que l’utilisation d’une image, même avec autorisation, cause un préjudice disproportionné par rapport au bénéfice retiré, souligne Marc Isgour. Néanmoins, cet argument n’a encore jamais été invoqué devant les tribunaux. »

Il est aussi arrivé que l’autorisation tacite soit reconnue par la justice. Dans les années 1990, un groupe de personnes avait été filmé pendant de longs mois par la RTBF. Lorsque la chaîne avait annoncé la diffusion du reportage, les intéressés s’y étaient opposés, prétendant qu’ils avaient marqué leur accord pour la réalisation d’un film d’entreprise à usage restreint et non pour un documentaire grand public. Le juge ne leur avait pas donné raison.

PORTRAIT-SINGEBref, on ne badine pas avec son image. Pour Marc Isgour, celui qui se sentirait lésé doit prendre en compte cinq aspects : existe-t-il un dommage réel ? La personne est-elle reconnaissable ? Pourquoi l’a-t-on photographiée et dans quel but (existence d’un droit à l’information) ? Aucun engagement n’a-t-il été réellement pris ? Enfin, dans quelles circonstances les images ont-elles été immortalisées ?

Les réponses apportées à ces questions peuvent toujours prêter à discussion. Par exemple, un tribunal français avait condamné un magazine parce qu’il avait publié une photo de la poitrine de Catherine Deneuve pour illustrer un article qui n’était pas directement en lien avec l’actrice. Gageons qu’il faut être un sacré connaisseur pour reconnaître la plastique d’une célébrité en feuilletant des pages de papier glacé…

Le droit à l’image n’est donc ni blanc, ni noir, mais évolue dans un florilège de nuances de gris. Ce n’est sans doute pas près de s’arranger : les excès de la téléréalité, la marchandisation à outrance de soi, la généralisation des réseaux sociaux, l’avènement des drones, le développement des images de synthèse ou encore la prolifération des caméras de surveillance ne manqueront pas de poser d’épineuses questions juridiques à l’avenir.

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