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Derrière l'IRM, se cachait une physicienne...

06/10/2014

Sous la direction d’Evelyne Balteau, physicienne responsable pour l'IRM (Imagerie par résonance magnétique) au Centre de Recherches du Cyclotron de l'Université de Liège, Elodie André vient de réaliser une étude qui montre que l'IRM peut fournir des connaissances accrues sur notre cerveau, sa matière blanche et les maladies qui peuvent s'y développer... Elle s'est penchée sur l'étude des phénomènes de diffusion et de l'imagerie de diffusion, qui permettent de voir la manière dont les molécules d'eau diffusent dans le cerveau. Et plus particulièrement sur le calcul du tenseur de diffusion (DTI), une représentation simplifiée de la diffusion dans le cerveau. Elodie André a travaillé sur une extension de ce calcul, celui de la DKI, pour Diffusional kurtosis imaging. Une technologie prometteuse.

FR tractographieA sa manière, l'IRM a révolutionné le monde de l'imagerie médicale, en offrant des possibilités d'exploration du corps humain insoupçonnées jusque là. Cette technique fait désormais partie des examens proposés couramment par les médecins pour diagnostiquer de très nombreuses pathologies, grâce aux informations ainsi recueillies et qui complètent d'autres données provenant par exemple de scanners CT (X-ray Computed Tomography) ou TEP (tomographie par émission de positrons). Mais qui pense encore, ou qui imagine un instant, au moment de se glisser dans un IRM pour y faire un examen, que des physiciens continuent, grâce à leurs travaux, à améliorer la lecture des données que produisent ces appareils ? 

Ingénieure physicienne, Elodie André, sous la direction d’Evelyne Balteau, physicienne responsable pour l'IRM au Centre de Recherches du Cyclotron de l'université de Liège, vient pourtant de réaliser une étude (1) –et sa thèse de doctorat (2)- qui montre que l'IRM peut fournir des connaissances accrues sur notre cerveau, sa matière blanche et les maladies qui peuvent s'y développer... pour autant qu'on déchiffre (encore) mieux ses résultats. Comme l'explique Evelyne Balteau, "cette étude fait partie de ces recherches destinées, entre autres, à pousser l'interprétation des images IRM encore plus loin, tout en automatisant le traitement rigoureux des données pour des résultats plus fiables et reproductibles". Un beau - et vaste- programme...

Que d'eau, que d'eau !

Petit retour en arrière pour ceux et celles qui n'ont pas forcément suivi le développement de ces appareils, ni mémorisé ce qu'est un IRM. Cette puissante technique de diagnostic médical fournit des images tridimensionnelles et en coupe d'une grande précision anatomique. Technique radiologique relativement récente, elle s’est rapidement développée depuis sa conception en 1973 par Paul Lauterbur et Peter Mansfield(prix Nobel de médecine en2003).Les premières images réalisées chez l'homme sont acquises en 1977. 

Approche non invasive et sans effets secondaires connus, l'IRM est basée sur le phénomène physique de résonance magnétique nucléaire découvert par Felix Bloch et Edward Purcell en 1946 (prix Nobel de physique en 1952). Il consiste à observer la résonance magnétique nucléaire (RMN) des protons de l'eau contenue dans nos organismes qui, comme on le sait, sont composés d'environ 70 à 80 % de ce liquide. En pratique, l'IRM examine la réponse des noyaux soumis à un champ magnétique extérieur et à une excitation électromagnétique. L'atome excité est le proton (H+), principal constituant de la molécule d'eau (H2O). L’énergie absorbée par le proton lors de l’excitation est restituée lors du retour à l’équilibre et constitue le signal enregistré par l’appareil IRM. Les signaux recueillis sont ensuite analysés par informatique, afin de reconstruire une image en coupes, qui peut être orientée d'emblée dans n'importe quel plan de l'espace choisi à l'avance. 

L'intensité du signal recueilli pour un élément de volume (ce que l'on nomme un voxel) dépend de la concentration de l'eau et des paramètres RMN (temps de relaxation surtout, indiquant la vitesse de retour à l’équilibre magnétique après excitation) des tissus rencontrés dans ce voxel et de la méthode d'acquisition appliquée (séquence IRM). Le résultat est une image tridimensionnelle de la répartition de l'eau dans le corps d'un patient. Plus le signal en provenance d'un point donné du corps est intense, plus le point correspondant de l'image est blanc, et inversement. La séquence IRM modifie le contraste entre les différents tissus. Elle est choisie selon le type de tissus que l’on souhaite mettre en évidence ou le type de pathologie que l’on veut détecter (comme les tumeurs). 

Néanmoins, le contraste obtenu peut être insuffisant pour différencier convenablement les parties saines de l'organisme de celles affectées par une pathologie. Une façon très simple d’influencer le signal en IRM est d’augmenter le contraste, soit en accroissant le temps de l’examen pour permettre de prendre plus d’acquisitions, soit en utilisant un agent de contraste (comme le gadolinium). Cet agent permet, entre autres, de mettre en évidence plus clairement la présence de tumeurs.

Tout bouge...

Devenue une technique majeure de l'imagerie médicale moderne, l'IRM ne cesse d'évoluer. "Des développements constants mènent à un plus grand contrôle de qualité des données obtenues, ainsi qu'à une amélioration du traitement de ces données", assure Evelyne Balteau. Les travaux d'Elodie André entrent dans ce mouvement, puisqu'elle s'est penchée sur la qualité des données obtenues lors de l'étude des phénomènes de diffusion et de l'imagerie de diffusion, qui indiquent la manière dont les molécules d'eau diffusent dans le cerveau en donnant un contraste sur l'image. Rappelons-le, les résultats obtenus en IRM cérébrale permettent d'observer la matière blanche et la matière grise du cerveau dans son intégrité, de manière non invasive. Pas de chirurgie, pas de prélèvement risqué ni de biopsie, et pas besoin d’attendre la dissection post-mortem pour avoir une jolie image 3D du cerveau ! "En diffusion, précise cependant Elodie André, on s'intéresse davantage à la matière blanche".  Autre point essentiel : ces études structurelles du cerveau indiquent si la matière blanche est affectée. Cet élément, qui complète les apports des méthodes cognitives, est important pour la pose de diagnostics dans de nombreuses pathologies.

 "Pour bien comprendre ce que recouvre la diffusion, détaille Elodie André, il suffit d'imaginer, au niveau macroscopique, une goutte d’encre ajoutée dans un verre d’eau. La goutte d’encre diffuse dans l’eau. La concentration en molécules d’encre, dense dans la goutte, finit par devenir homogène dans l’ensemble du verre d’eau  et s'équilibre, sans qu’on y touche." 

Ce qui est examiné ici, c'est donc la diffusion des molécules d'eau elles-mêmes, dans le cerveau humain.  Ces molécules ne sont pas statiques. La direction, ou les directions qu'elles prennent, sont importantes. "En fait, les molécules diffusent davantage le long des fibres, car il y a moins de barrières que perpendiculairement (entre autres, les membranes et la myéline), remarque la physicienne. En repérant ce mouvement, il devient possible d'extrapoler la direction des fibres nerveuses. Grâce à des mesures répétées dans différentes directions et réalisées sur l’ensemble du cerveau, il est possible de caractériser la diffusion en 3D. Pour chaque voxel, c’est-à-dire chaque petit élément de l’image, le tenseur de diffusion peut être représenté par un ellipsoïde plus ou moins grand et plus ou moins allongé dans la direction de diffusion principale des molécules d’eau de ce voxel."

Si la diffusion se produit de manière égale dans toutes les directions, on la dit isotrope et le tenseur sera représenté par une sphère, plus ou moins grosse selon que la diffusion est plus ou moins aisée, ou à l’inverse plus ou moins contrainte par des obstacles. Dans le cerveau, les obstacles sont nombreux: la diffusion sera donc plus petite que dans un liquide, et cette diffusion peut ne pas être la même dans toutes les directions de l'espace. "Ainsi, dans la matière blanche du cerveau, on recueille des ellipsoïdes allongés dans la direction des fibres : la diffusion est dite anisotrope. Une de nos mesures, celle de l'anisotropie fractionnelle, nous donne un chiffre, une mesure quantitative. Elle varie de 0 (diffusion isotrope) à 1 (diffusion très anisotrope). En comparant grâce à elle 2 groupes de personnes, on peut ainsi détecter dans ces groupes l'endroit où la matière blanche est affectée par une maladie. Le résultat de ces calculs et comparaisons est souvent difficile à interpréter lorsqu'on se trouve dans une zone d'un cerveau abimé", précise Elodie André.

A l'assaut de la complexité

Le modèle le plus standard utilisé pour décrire la diffusion dans le cerveau est celui du tenseur de diffusion (DTI). Elodie André a travaillé sur une extension de ce modèle, celui de la DKI, pour Diffusional kurtosis imaging. "La diffusion peut être décrite par divers modèles plus ou moins complexes. Le tenseur de diffusion est un modèle très simple. Or la diffusion dans les tissus vivants est complexe, explique Evelyne Balteau. Cette complexité est liée à la présence des vaisseaux, fibres, membranes cellulaires, des variations de perméabilité de ces dernières… Et l’un des paramètres qui permet de rendre compte de cette complexité, c'est la kurtosis. Courbe DKIDans le modèle plus basique de la DTI, on suppose que la molécule diffuse en suivant une distribution de diffusion gaussienne (courbe en forme de cloche). C’est en effet bien le cas de la diffusion dans un verre d’eau, mais ce n'est plus le cas en présence d'obstacles. L'écart avec la courbe gaussienne, c'est la kurtosis." 

Ainsi que le détaille Elodie André, "la technique de kurtosis permet de quantifier cet écart à la gaussianité, et donc d'indiquer si la diffusion en un point donné suit une distribution éloignée ou non d'une courbe gaussienne, considérée comme la référence. Si la mesure de kurtosis est nulle, c'est que l'on est dans le cas gaussien d’un liquide homogène. La kurtosis peut être positive (avec une courbe plus étroite que la courbe gaussienne) ou négative (une courbe plus large que la gaussienne)."

La valeur moyenne de kurtosis reflète la présence et le type de micro-structures sous-jacent. "Il n'existe pas à ce jour de modèle physiologique bien défini qui permette de simuler les résultats des mesures de kurtosis, tant la complexité du phénomène est grande et le nombre de facteurs y jouant un rôle est important.  Il n’y a pas de description claire ni de lien simple entre la kurtosis et les micro-éléments formant la structure des tissus (les obstacles). Cependant, des mesures effectuées dans différentes situations, et auprès de différentes populations, permettent de voir qu'il existe des différences de kurtosis localisées dans certaines aires du cerveau", constate Evelyne Balteau. L'idée consiste donc à se servir de la mesure de kurtosis moyenne comme d'un marqueur, une empreinte qui permet de diagnostiquer plus sûrement des maladies comme Alzheimer ou Parkinson et d’en évaluer le stade plus précisément, grâce aux informations plus sensibles et potentiellement pertinentes que cette technique apporte quant à l’intégrité de la matière blanche. 

"Les mesures de kurtosis auprès de différentes populations permettent de se fabriquer un dictionnaire des empreintes de kurtosis typiques de chaque population et permettant des les identifier. Elles pourraient donc servir d'outil de diagnostic, venant compléter d’autres outils existants. Certes, la kurtosis n'est pas le seul marqueur potentiellement intéressant en IRM de diffusion, d’autres modèles se penchent par exemple sur le tracé en 3D des fibres de myéline qui relient les différentes parties du cerveau entre elles et au reste du corps. La kurtosis est partie de l’empreinte, complémentaire d’autres traits caractéristiques apportés notamment par les évaluations cognitives, et utile pour compléter l'image générale d'une situation pathologique et son évolution", remarque Evelyne Balteau.

Chut, plus de bruit...

L'intérêt majeur de l'étude d'Elodie André réside dans ses apports concernant la qualité des images permettant d'aller plus loin, de faire davantage d'acquisitions et de mesurer la diffusion dans plusieurs directions. "Pour chaque direction de diffusion, une image du cerveau est obtenue, relate la physicienne. Le signal baisse en fonction de la pondération en diffusion qu'on lui impose : en DKI, on va plus loin, avec une pondération en diffusion plus importante. Le signal reçu est donc plus faible, davantage 'bruité'. L'objectif de mes recherches est de trouver une méthode pour améliorer la qualité du signal et, donc, pour augmenter la qualité du résultat." 

Son idée a consisté à sortir le signal de ce bruit en utilisant ce qu'on appelle les moments de la distribution. "D'un côté, on mesure le bruit. De l'autre, on le supprime du signal", précise-t-elle. Pour y parvenir, elle a mis au point une méthode assez rapide. "Elle n'est pas parfaite, concède-t-elle, mais elle donne déjà un signal beaucoup plus précis." D'ailleurs, les deux expériences qu'elle a menées dans son étude l'ont confirmé.

Sortir de la dépendance

La première a été réalisée en positionnant la tête du sujet de différentes manières, plus ou moins décentrée dans l’antenne de réception de l'IRM. "Cela permettait de produire une distribution spatiale du rapport signal-sur-bruit différente dans chaque acquisition, puisque les éléments de l’antenne ont une sensibilité qui décroît avec la distance. Le signal est donc plus important dans les régions du cerveau très proches de l’un de ces éléments, et plus faible pour une région plus éloignée. En principe, sur une même personne, les résultats obtenus dans deux positions différentes devraient être les mêmes. Mais, en pratique, en raison de la différence de rapport signal-sur-bruit, ce n'est pas le cas. Or ici, avec ma correction, on obtient les mêmes paramètres. Cela indique qu'avec cette méthode, on n'est plus dépendant du rapport signal-sur-bruit. La position différente de la tête entraîne une distribution différente du rapport signal-sur-bruit mais on constate des cartes de diffusion et de kurtosis identiques après correction."

La deuxième visait la variabilité des résultats entre sujets, afin de vérifier si la correction réduisait bel et bien la variabilité due au faible rapport signal-sur-bruit. Vingt-cinq personnes ont participé à l'expérience. Comme le montre la figure 9 présentée dans l'étude, sans correction, la kurkosis est artificiellement plus élevée et la variabilité est plus importante (voir la 1ère colonne) en particulier à l’avant du cerveau (haut de la coupe), là où le rapport signal-sur-bruit était moins élevé. 

DKI ©PLOs One

En revanche, lorsque l'on emploie des méthodes de correction performantes (en colonnes 2 et 3), le contraste est meilleur (la matière blanche est représentée en jaune) et la variabilité due au faible rapport signal-sur-bruit est réduite. "On peut en conclure qu'utiliser la correction permettrait d’écarter les différences grossières dues au bruit, tout en mettant en évidence des différences plus fines et intéressantes entre groupes de sujets. Il est alors possible d'utiliser moins de sujets pour tirer des conclusions solides et éviter les faux positifs (avec des résultats erronés dus aux bruits)", constate Elodie André.

Ecoutez le silence...

Image DTISi Elodie André a montré, à travers son étude, qu'il importait de faire attention aux bruits qui influencent les résultats finaux, elle ne se contente pas de ce constat. "Il est facile d’implémenter notre méthode de correction, qui est actuellement utilisée en routine au Centre de Recherches du Cyclotron. L'objectif est à présent de la distribuer plus largement, afin que tout le monde l’utilise." Pour parvenir à cet objectif, en collaboration avec d'autres laboratoires (à Londres et à Lausanne), une toolbox (boîte à outils) est en voie de conception. Son protocole et ses codes devraient permettre de se servir de la méthode dans tous les services faisant appel à l'IRM, et de bénéficier ainsi d'une version optimale et commune de correction du bruit. Le tout, sans être physicien. 

Cette généralisation permettrait de mettre fin à l’une des difficultés actuelles : en l’absence de méthode standard utilisée par tous, chaque groupe produit des résultats « locaux », dépendant  des modes d’acquisition et de traitement des données locaux, et qu’il est impossible de comparer avec ceux obtenus par le groupe voisin. "En standardisant les méthodes, on permettrait de comparer et même combiner plus aisément les résultats des différents laboratoires", plaide Elodie André.

« Nous avons d’une part les ingénieurs et physiciens, qui développent et automatisent des outils informatiques permettant de tirer le maximum des technologies à dispositions pour les applications médicales, et d’autre part les médecins avec leur grande expertise de terrain, basant leur diagnostic sur l’analyse visuelle des images. Souvent un côté semble complètement opaque à l’autre. Combien de médecins programment un ordinateur ? Combien de physiciens peuvent reconnaître le corpus callosum ou la substantia nigra ? Et pourtant leur interaction est indispensable. Par exemple, l’outil développé par les uns pour contrôler la qualité des images, se basera sur l’expertise des autres pour ne pas confondre artéfacts et pathologie réelle. Multidisciplinarité !

Malheureusement, dans les hôpitaux, faute de temps et de moyens, peu de place est faite à l’ajustement des protocoles et à la formation des équipes médicales pour l’utilisation des outils développés par les équipes  de recherches. Souvent les capacités des machines sont sous-exploitées, on se contente de protocoles de routine, souvent dépassés. Certes les protocoles en place dans les hôpitaux et l’expertise des médecins permettent de poser rapidement un diagnostic pertinent. Cependant, les physiciens et le support qu’ils peuvent apporter dans cette aventure ont encore de beaux jours devant eux, aidant à éviter les erreurs d'interprétation (erreur humaine !), améliorer la reproductibilité et la robustesse des résultats, exploiter davantage des techniques disponibles et tirer parti des nouvelles aussitôt qu’elles sont disponibles. » 

(1) "Influence of noise correction on intra -and inter- subject variability of quantative metrics in diffusion Kurtosis imaging", Plos One, http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0094531
(2) Improvement of data quality for Diffusion Kurtosis Imaging and application to clinical neurological research, Elodie André, thèse de doctorat, Université de Liège. 

 


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_373978/fr/derriere-l-irm-se-cachait-une-physicienne?printView=true - 20 avril 2024