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Les transferts artistiques dans l’Europe gothique
01/10/2014

Les transferts iconographiques et stylistiques

Lorsqu’est abordée la question des transferts artistiques, il vient immédiatement à l’esprit la diffusion de styles, de thèmes, voire de motifs iconographiques précis. Si cet aspect de la mobilité artistique fait depuis longtemps l’objet de recherches, il reste néanmoins le lieu de nouvelles découvertes. En effet, lorsque Béla Zsolt Szakács (professeur au département d'histoire de l'art à l'université Péter Pázmány de Budapest) se penche sur les fresques du chœur de l’église de Keszthely, dans l’ouest de la Hongrie, il leur découvre une parenté troublante avec la tradition picturale en vogue à Sienne, en Italie, dès le XIVe siècle. Jusqu’alors, la mauvaise conservation de ces œuvres hongroises avait rendu leur interprétation délicate : en faisant l’hypothèse d’un transfert artistique, l’auteur a pu remarquer leur ressemblance avec certaines fresques siennoises, extrapolant au passage quelques scènes manquantes. Se pose alors la question de l’origine de cette parenté : comment ces motifs et ce style, qui se sont développés en Italie, se sont-ils transmis à la Hongrie ? L’auteur explique que, outre la présence à Keszthely d’Italiens (l’église est d’ailleurs ornée du monogramme d’un artisan toscan), le commanditaire des œuvres avait séjourné en Italie : la problématique des transferts artistiques a apporté un éclairage inédit sur l’iconographie de cette église hongroise.

Ces découvertes en matière de circulation des styles et des motifs ne se limitent pas à des ensembles encore méconnus : ellesconcernent également des productions déjà au cœur de nombreuses publications, comme les sculptures des portails de la cathédrale de Strasbourg. Jusqu’à présent, les recherches s’étaient notamment focalisées sur l’identification des différentes mains ayant participé au programme décoratif. Denise Borlée (maître de conférences en histoire de l'art médiéval à l'université de Strasbourg) propose un nouveau regard sur les sculptures du portail central de cette cathédrale : une analyse minutieuse montre que le rythme soutenu avec lequel s’enchaînent les différentes scènes, ainsi que leur aspect particulièrement vivant, ne se retrouvent pas dans les autres productions statuaires de la même époque. Pour trouver de telles caractéristiques, il faut se tourner vers des supports artistiques différents, comme l’ivoire : les artisans actifs à Strasbourg n’hésitaient donc pas à opérer des transferts stylistiques d’un support artistique à l’autre.

L’étude des matériaux apporte parfois aussi un éclairage sur certaines caractéristiques stylistiques des œuvres.Tobias Kunz (collaborateur scientifique à la Skulpturensammlung de Berlin) s’est penché sur un groupe de Madones de la région mosane, réalisées en marbre de Carrare : comment ce matériau est-il parvenu dans cette région ? Était-il acheminé sous sa forme brute ou déjà sculpté ? Plus encore, assistait-on à un déplacement des artistes entre ces deux zones géographiques ? D’après ses recherches, l’auteur émet l’hypothèse qu’au moins un artisan mosan aurait travaillé en Italie, à proximité des carrières de marbre. Cette présence aurait été l’occasion d'échanges artistiques avec des artistes locaux – La Sainte Chapellecomme semblent le montrer les caractéristiques hybrides de certaines œuvres. Cette forme d’hybridation se retrouve également dans d’autres productions, comme le tombeau du pape Jean XXII à Avignon : Julian Gardner (fondateur du département d'histoire de l'art de l'université de Warwick) souligne que si le modèle funéraire de ce tombeau est visiblement anglais, sa réalisation dans un contexte français du XIVe siècle y a également imprimé sa marque stylistique. 

Au-delà du style et de l’iconographie de son milieu d’origine, l’artisan s’imprègne également des productions dans les différentes régions qu’il parcourt. En se penchant sur la production de livres liturgiques dans les cours papales d’Avignon et de Rome durant le Grand Schisme, Francesca Manzari (chercheuse en histoire de l'art médiéval à l'université de Rome Sapienza) a pu étudier un cas relativement unique dans l’Histoire : suite à l’installation des antipapes à Avignon au XIVe siècle, la demande en livres liturgiques a fortement augmenté, attirant sur une courte période de nombreux artistes extérieurs à la ville. L’analyse de ce microcosme montre que ces artisans exogènes ne sont pas uniquement les vecteurs du style de leur milieu originel, mais également des milieux avec lesquels ils sont entrés en contact au cours de leur carrière.

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