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Des réseaux électriques aux connexions entre neurones

29/09/2014

En mai dernier, une équipe de sept chercheurs de l’unité de recherche « Système et modélisation » de la faculté des sciences appliquées de l’Université de Liège a remporté le concours « Neural Connectomics Challenge : From Imaging to Connectivity ». Le but de ce prestigieux challenge est de prédire le plan des connexions entre neurones dans le cerveau. L’équipe vient de présenter sa méthodologie et ses résultats lors d’un workshop au mois de septembre. Rencontre avec trois des lauréats - Damien ErnstPierre Geurts et Antonio Sutera - qui ont découvert ce qu’était un connectome au moment de s’inscrire à ce concours !

Comment l’aventure du concours « Connectomics Challenge » a-t-elle démarré ?

network connectomesPierre: C’est Antonio qui a découvert ce concours sur un site internet qui propose des compétitions d’analyse de données (www.kaggle.com). Il nous a parlé du Connectomics Challenge et nous lui avons donné le feu vert pour nous inscrire. Certains de nos sujets de recherche s’approchaient de la problématique abordée par ce concours. Par exemple, notre équipe étudie les réseaux de gènes et la plupart des approches que nous avons développées peuvent s’appliquer à d’autres types de réseaux, peu importe leur nature.

Damien :
L’équipe qui y a participé est composée de cinq ingénieurs chercheurs de l’Institut Montefiore de l’Université de Liège, département d’électricité, d’électronique et d’informatique de la faculté des Sciences  appliquées. C’est une vraie bande de copains dont une partie est spécialisée en développement du réseau électrique futur (smart grids) tandis que l’autre analyse et développe des algorithmes d’apprentissage automatique.

Antonio :
Arnaud, Vincent, Zixiao, Gilles et moi partageons le même bureau et cela nous a permis de confronter nos idées et de stimuler notre créativité.


On a déjà entendu parler de génome ou encore de protéome mais qu’est-ce qu’un connectome ?

Damien : C’est vrai qu’avant de nous intéresser à ce concours, nous n’avions nous-même jamais entendu parler de connectome !

Antonio : C’est la représentation de la structure des connexions, anatomiques et fonctionnelles, entre les neurones qui composent le cerveau.

Pierre : La structure de base est très proche d’un individu à l’autre mais nous avons chacun un connectome propre. Dans le cadre du Connectomics Challenge, nous devions travailler sur un sous-ensemble de 1000 neurones.


Quelles ont été les différentes étapes du concours ?

Pierre : Le but du jeu était de trouver, à partir de données qui simulent artificiellement l’activité du cerveau, comment associer les neurones par paires et les relier dans le réseau. Nous pensions pouvoir nous baser sur une méthode que nous avions mise au point pour étudier les réseaux de gènes mais cela n’a pas fonctionné. Nous avons donc développé une nouvelle approche.

Antonio : Il y a un signal électrique pour chaque neurone et nous avons mesuré la corrélation entre les signaux pour toutes les paires de neurones.  Mais là où il fallait être attentif, c’est que deux neurones peuvent avoir un signal similaire sans pour autant être connectés l’un à l’autre. Nous avons donc développé une approche qui permet de tenir compte de l’état de tous les autres neurones.

Damien : Nous avons reçu les données en mars. C’était très stimulant car nous pouvions suivre en ligne l’évolution des 143 autres équipes d’universités prestigieuses. Nous avons fourni nos résultats en mai et avons été proclamés vainqueurs à l’échéance du concours. Nous avons présenté notre méthodologie et nos résultats lors d’un workshop au mois de septembre (1).

Selon vous, quel a été votre atout majeur pour relever ce défi ?

Damien : Face aux autres équipes de participants, je crois que notre atout majeur a été d’avoir une approche « naïve » orientée efficacité. N’ayant jamais travaillé sur des problèmes  liés au cerveau au préalable, nous n’avions aucun a priori en démarrant ce travail. Nous avons appliqué l’expertise que nous avons accumulée dans d’autres domaines de recherche, comme les réseaux de régulation génétique ou les smart grids, à ce problème particulier.

Antonio : Grâce au travail de toute l’équipe, nous avons ainsi pu trouver une méthode relativement simple qui fonctionnait bien et que nous maîtrisions. Un aspect important pour nous était de pouvoir justifier chaque étape de notre méthodologie.


Au delà de ce concours, les organisateurs ont-ils un but précis ?

Damien: Le but ultime ou le rêve à long terme pour de telles recherches est certainement de pouvoir un jour mettre un casque sur la tête des gens, d’être capable de mesurer leur activité cérébrale et de reconstruire la structure du réseau des neurones sous forme informatique.

Pierre: Il faut savoir qu’en pratique, il est possible d’observer l’activité́ des neurones mais il est impossible de connaitre avec exactitude le réseau de neurones qui en est la source. L’intérêt des données artificielles utilisées dans le contexte du challenge est de connaitre parfaitement le connectome puisqu’on le définit et d’avoir les données associées.

Damien: L’étude du connectome permet d’améliorer la compréhension générale du cerveau et de ses capacités d’apprentissage. C’est nécessaire aussi pour la recherche de traitements contre des maladies qui causent des altérations du connectome telles que l’épilepsie ou la maladie d’Alzheimer.

Pierre: Les concours en apprentissage automatique sont relativement récents mais ils font énormément avancer la communauté de chercheurs qui travaillent dans ce domaine. Dans ce cas-ci, les organisateurs – qui sont des chercheurs – ont développé un outil pour retrouver le réseau de neurones à partir des données générées et ont voulu voir si cet outil était compétitif par rapport aux techniques existantes et donner une motivation à d’autres chercheurs pour à leur tour développer des outils les plus performants possibles.


Comment votre participation à ce concours a-t-elle ou va t-elle influencer vos travaux de recherche ?

Antonio : Maintenant que nous avons mis au point cette méthode, nous allons passer à une analyse plus théorique de celle-ci pour comprendre pourquoi elle a bien fonctionné. De même nous allons tenter d’analyser de manière théorique pourquoi la méthode appliquée en génétique, et que nous pensions utiliser initialement pour ce concours, s’est révélée inefficace pour le connectome. Cela nous permettra de connaître le périmètre de ces méthodes et d’identifier d’autres systèmes auxquels on peut les appliquer.

Damien: Notre victoire à ce concours ouvre également des perspectives de collaboration avec des équipes de chercheurs en neurosciences. Les algorithmes mis au point pour construire le réseau de neurones pourront certainement leur être utile pour appliquer notre méthode à des données réelles.


Seriez-vous enthousiastes de réitérer l’expérience s’il y a une nouvelle édition de ce concours ?

Damien : Pour des chercheurs, ce genre de concours est très intéressant. Tant du point de vue de la recherche, car nous trouvons des nouvelles méthodes et des solutions à des problèmes, que du point de vue personnel car c’est passionnant d’essayer de se dépasser seul ou en équipe. Cela renforce également les collaborations au sein de l’université et renforce l’esprit d’équipe. Donc la réponse est oui, s’il y a une 2ème édition de ce concours, toute l’équipe serait ravie d’y participer et de relever un nouveau défi lié au connectome.

Connectomes team

(1)Antonio Sutera, Arnaud Joly, Vincent François-Lavet, Gilles Louppe, Damien Ernst and Pierre Geurts. Simple connectome inference from partial correlation statistics in calcium imaging. JMLR: Workshop and Conference Proceedings (2014)1–11.  Neural Connectomics Workshop.


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