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Les eaux souterraines en Belgique

26/09/2014

La Belgique est ainsi faite : un ouvrage sur nos eaux souterraines, pourtant bien peu susceptibles de respecter la frontière linguistique, se doit d’être bilingue, l’étude des nappes aquifères se faisant dans la langue de la région où elles se trouvent. Quant à celles qui irriguent nos deux communautés, elles ont droit à un double texte ! Surréaliste ? Pas tant que cela : les eaux sont une matière régionale et même s’il y a de l’eau partout dans le sous-sol belge, les nappes se définissent d’abord par leur caractère exploitable. L’ouvrage (1) édité par Alain Dassargues, Unité d’Hydrogéologie & Géologie de l’Environnement de l’Université de Liège, et son homologue Kristine Walraevens de l’Université de Gand, présente les principales  nappes aquifères de notre pays mais le profane trouvera sans doute davantage son bonheur dans les chapitres transversaux consacrés par exemple aux eaux minérales et thermales ou à la géothermie.

COVER Nappes aquiferes« Il y a 4 ans, nous explique le Professeur Alain Dassargues,  de l’Unité d’Hydrogéologie & Géologie de l’Environnement (Faculté des Sciences Appliquées) de l’Université de Liège, le Comité Belge des Hydrogéologues (CBH), branche belge de l’IAH (International Association of Hydrogeologists) a pris la décision de publier un ouvrage de référence reprenant les principales caractéristiques des aquifères belges. Une telle synthèse n’allait pas de soi puisque l’environnement est une compétence régionalisée mais toutes les régions ont contribué positivement. »

Comment peut-on délimiter un aquifère ou plus communément une nappe aquifère ? Pour être reconnue comme nappe aquifère, la couche géologique saturée en eau présente dans le sous-sol doit être exploitable. Il faut donc un terrain suffisamment perméable et doté  d’une capacité suffisante de stockage (porosité). Il faut écarter d’emblée l’image du ‘lac souterrain’ dans des grottes. Bien sûr, cela existe, mais c’est exceptionnel et ne se rencontre que dans des terrains calcaires largement karstifiés c’est-à-dire dans lesquels des réactions de dissolution de la roche ont élargi des fissures et créé de larges vides (grottes et conduits). La plupart des aquifères sont des matériaux qui fonctionnent comme des éponges.  Ce sont des couches géologiques qui reçoivent de l’eau par infiltration et qui contiennent l’eau dans les fissures et les pores de la roche. Si les couches géologiques ont de grandes perméabilités et porosités, elles sont favorables à l’écoulement et au stockage de ces eaux. La première partie du livre s’attache donc à décrire une vingtaine de ces nappes ainsi définies, par ordre chronologique, c’est-à-dire en commençant par les aquifères contenus dans les formations géologiques les plus récentes. C’est une partie qui intéressera sans doute davantage les spécialistes que le grand public puisque chaque nappe y est décrite sous différents angles : géographique, géologique, lithologique, caractéristiques hydrodynamiques et hydrochimiques et productivité.

Géothermie à basse température

Mais l’originalité de l’ouvrage vient sans doute, du moins pour le profane, des chapitres transversaux.
La distribution d’eau potable, les eaux thermales et minérales, tant en Wallonie qu’en Flandre, la géothermie ou encore les réseaux de surveillance mis en place pour répondre aux directives européennes en matière de protection des eaux sont autant de chapitres, truffés de données, qui intéresseront les non-spécialistes. Celui consacré à la géothermie à très basse température en est un bon exemple.

Ce système de production d’énergie semble appelé à se développer même si, côté wallon, la législation ne lui est guère favorable. Son principe est simple : on utilise le sous-sol pour échanger de la chaleur. « Il y a deux possibilités, explique Alain Dassargues. Soit vous faites circuler un fluide caloporteur dans un forage vertical ou dans un réseau de tubes échangeurs développé horizontalement en dessous d’un jardin et ce fluide se met à la température du sous-sol. C’est un système fermé. Soit, et c’est le cas  pour les gros bâtiments, il est plus rentable de pomper de l’eau d’une nappe aquifère, d’échanger la chaleur en surface (via une pompe à chaleur) puis de réinjecter de l’eau plus froide dans l’aquifère. Bien entendu, le système peut fonctionner en sens inverse durant l’été. » On perçoit de suite l’avantage de ce système : la température de l’eau rejetée est toujours à contre-saison : en été, on pompe l’eau du sol qui est froide par rapport à la température des bâtiments en surface ; cette eau se réchauffe en refroidissant les bâtiments et on la rejette dans l’aquifère à une température supérieure à celle de pompage.

Durant l’été, elle a donc l’occasion de réchauffer légèrement et localement l’aquifère… gain de chaleur qui peut être le bienvenu lorsqu’en hiver, on pompera dans cette même nappe aquifère pour réchauffer les bâtiments. Elle se refroidira alors et retournera au sous-sol plus froide, prête à recommencer son cycle ! Ce système peut être considéré comme une sorte de stockage d’énergie dans le sous-sol. Mais il ne faut pas que les terrains soient trop perméables sinon l’écoulement de l’eau souterraine est trop rapide…. emportant  les précieuses calories. Néanmoins il faut une perméabilité minimum pour permettre le pompage d’un débit suffisant… donc tout est question d’équilibre. « Trouver ces bonnes conditions hydrogéologiques nécessite une caractérisation fine des terrains, et cela n’est pas toujours bien perçu par les bureaux d’études, les entrepreneurs et les maîtres d’œuvres,  explique Alain Dassargues. C’est pourquoi nous avons consacré un chapitre sur ce sujet et relatons des expériences pilotes que nous menons dans la plaine alluviale de la Meuse. Mais du côté wallon, le problème est aussi juridique : la législation qui encadre les pompages d’eau est presqu’exclusivement inspirée du cas de pompage d’eau potable. Or ici, l’usage est très différent et il me semble que certaines des  précautions prévues pour un pompage d’eau destinée à la consommation devraient pouvoir être assouplies. En Région wallonne, nous avons  une législation très stricte  pour protéger la ressource en eaux souterraines et c’est très bien. Mais actuellement cela freine le développement de la géothermie avec pompage et réinjection. C’est à mes yeux un principe de précaution appliqué de manière un peu trop rigide. En attendant, beaucoup plus d’installations géothermiques de basse température avec pompage et réinjection voient le jour dans les régions voisines qu’en Wallonie. »

Carte hydrogeologique B

Hydrogéologie et mines

Deux autres chapitres s’attardent sur les liens entre gestion des aquifères et anciennes mines de charbon. Côté flamand, c’est évidemment la situation dans le Limbourg qui est examinée tandis que côté wallon, c’est le bassin de Liège. « On ne se rend pas toujours compte de ce que l’exploitation minière signifie au niveau hydrogéologique, explique Alain Dassargues. Lorsque les mines ont fermé, on a laissé remonter naturellement les niveaux d’eau de la nappe aquifère dans un massif désormais très fracturé et dans lequel des anciennes galeries plus ou moins effondrées/colmatées peuvent jouer le rôle de drains non permanents. Depuis lors, on a pu assister à des phénomènes tels que des irruptions ponctuelles d’eau dans certaines zones en pied de versant dans la vallée de la Meuse (comme par exemple à Cheratte en 2002 lorsqu’un coup d’eau a brutalement inondé le centre de la localité), une extension de la zone où des infiltrations se produisent dans les caves ou encore des signes d’instabilité de certains versants. La remontée des niveaux d’eau dans l’ancien massif exploité peut également créer des problèmes de qualité d’eau, y compris dans la nappe aquifère contenue dans les dépôts alluviaux de la Meuse  (Jupiler ne pompe plus, ou pompe nettement moins, dans la plaine alluviale de la Meuse car l’eau y est désormais plus riche en sulfates !) « Tout cela est très complexe et difficile à caractériser, explique Alain Dassargues, mais sur base des données de l’ISSEP on a construit des modèles spécifiques pour simuler le comportement de ces aquifères très particuliers ».

Restent deux questions qui se posent au terme de l’ouvrage : que peut-on dire de l’état de nos nappes aquifères ?
Au niveau de la quantité il y a deux aquifères qui ont subi (et subissent encore) les effets d’une surexploitation. Le premier est l’aquifère des calcaires (du Carbonifère) dans le Tournaisis mais depuis 15 ans, il y a concertation entre la Wallonie, la Flandre et la France pour réguler son exploitation, ce qui a permis (grâce notamment à de gros investissements comme celui de la ‘Transhennuyère’) une remontée de la nappe. L’autre aquifère surexploité est la nappe du Socle en région flamande, qui va de Bruxelles à Ostende. Elle a été surexploitée de façon importante jusqu’il y a une dizaine d’années : le niveau est aujourd’hui à -200 m alors que l’eau était initialement à -30m ! Mais là aussi, des mesures de régulation ont été prises. «Pour le reste, précise Alain Dassargues, il n’y a pas de problème de quantité chez nous, surtout pas en Région Wallonne. Du point de vue de la qualité, cela a fort évolué. On a commencé à parler de pollution des nappes dans les années 1980. On sait que le principal problème, ce sont les nitrates mais il y a aujourd’hui aussi des traces de produits phyto-sanitaires et de polluants appelés ‘émergeants’ comme certains produits pharmaceutiques, des drogues, … dont certains ne se dégradent pas ou peu. Mais il faut dire qu’on dispose aujourd’hui de méthodes analytiques qui permettent de déceler de très petites concentrations. Il faut cependant reconnaître que nous avons des eaux d’excellente qualité en Belgique. Cela ne nous empêche évidemment pas de rester très vigilants et à l’avant-garde en termes de surveillance et d’anticipation des problèmes potentiels».

(1) Aquifères et eaux souterraines en Belgique/Watervoerende lagen en grondwater in België, A. Dassargues et K. Walraevens éditeurs, Academia Press. Infos


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