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« Vis mon village » : vers une réinvention des campagnes wallonnes ?

25/09/2014

Considérez-vous habiter à la campagne ou en ville ? Cette question a priori élémentaire permet d’en apprendre beaucoup sur les critères sollicités pour justifier l’appartenance à l’un ou l’autre milieu. Le géographe ruraliste Serge Schmitz consacre ses recherches à redéfinir la campagne. A travers l’appel à projets « Vis mon village », il analyse les tendances et les modes en matière de vie associative villageoise, d’esprit villageois et de ruralité.

Villge wallonL’appel à projets « Vis mon village » est lancé en 2012 par la Fondation Roi Baudouin, dont la devise est « Agir ensemble pour une société meilleure ». C’est dans cette optique qu’elle poursuit de 1997 à 2011 le projet « Quartiers de vie », qui encourage la participation des habitants à la vie de leur quartier. Mais, mobilisant peu les villages et les communautés rurales, le projet touche principalement le milieu urbain. De 2012 à 2014, il est donc remplacé par « Vis mon village », qui soutient les habitants de communes rurales en Wallonie qui s'engagent pour leur village. L’ambition est de donner un incitant pour que les citoyens travaillent ensemble, se rencontrent et d’ainsi augmenter la cohésion sociale dans le milieu rural.

Afin de désigner les projets les plus méritants, la Fondation Roi Baudouin fait appel à un jury composé d’experts issus de milieux divers : des représentants de la Fondation rurale de Wallonie, des personnes animant le Réseau wallon de Développement Rural, des représentants de diverses asbl et une personne issue du milieu académique, Serge Schmitz, professeur de géographie rurale et humaine à l’Université de Liège.

Trois appels à projets sont lancés, avec 120.000 euros à la clé pour chacun. Au total, la Fondation reçoit près de 300 projets, susceptibles d’être récompensés par un budget maximal de 5.000 euros. Les critères de sélection sont l’innovation, la faisabilité, la participation, la durabilité et l’amélioration de la qualité de vie pour le village. Des projets tels que la création d’un G100 au niveau du village ou encore la création d’une carte interactive de la commune sont ainsi récompensés pour leur caractère novateur.

D’un point de vue scientifique, participer à la sélection des projets de « Vis mon village » constitue une opportunité pour Serge Schmitz, qui mène ses recherches sur la ruralité au sein du Laboratoire des lieux, des paysages et des campagnes européennes (Laplec). L’appel à projets met en évidence les dynamismes qui existent au niveau des campagnes ainsi que les innovations mises en place pour créer de la convivialité dans le village. L’intérêt du projet tient aussi dans la disponibilité d’une masse de données qui n’est pas produite par le chercheur. L’étude se base sur l’analyse de formulaires remplis spontanément par des citoyens, qui mettent en avant les manquements existant dans les différents villages. En tant que membre du jury, Serge Schmitz utilise l’observation participante pour récolter ses données. Dans le cadre de ses recherches sur la ruralité, le géographe analyse donc à titre personnel les quelques 300 projets proposés par des citoyens (1).

Milieu rural ou milieu urbain ?

En Belgique, il est difficile de définir le milieu rural. La plupart des définitions partent de l’urbain et mesurent des gradients d’urbanisation. « On constate qu’au final, il resterait très peu de campagnes, explique Serge Schmitz. D’un point de vue sociologique, il n’y a plus de campagnes : nos modes de vie sont identiques, on regarde tous les même chaînes de télévision, on consomme les mêmes produits… Certains en concluent qu’il n’y a donc plus d’intérêt à étudier le milieu rural. Quand on est à l’extérieur de la Belgique, on retrouve pourtant encore des espaces facilement catégorisables comme étant ruraux. Dans notre pays, il devient objectivement très difficile de dire quand on passe de l’urbain au rural. Les indicateurs changent d’ailleurs au fil des décennies. Au niveau de l’OCDE, la densité qui définit le milieu rural est de 150 habitants/km², ce qui exclut la plupart des campagnes flamandes. En réalisant un Atlas de Belgique des campagnes (2), nous avons ainsi dû adopter des critères différents pour définir les campagnes du nord du pays. Du côté flamand, l’indicateur est passé à 600 habitants/km² au lieu de 150 pour la Wallonie. Ces indicateurs sont donc relativement subjectifs et dépendent beaucoup du contexte. Dans les campagnes asiatiques où l’agriculture est intensive, la densité de population peut être très élevée et les critères sont donc tout autres. »

Toute la question est donc de savoir comment définir si l’on se situe à la campagne ou à la ville. Depuis 5 ans, le Laplec ajoute systématiquement une question à toutes ses enquêtes, quel qu’en soit le sujet : Considérez-vous que vous habitez à la campagne ou en ville ? « Des personnes qui habitent Grimbergen ou Beaufays considèrent ainsi venir de la campagne. Même si ces résultats peuvent être surprenants, ce n’est pas au géographe de dire si oui ou non ils ont raison. La campagne est aussi un ressenti. »

Une question du formulaire a concentré particulièrement l’attention du géographe : « En quoi votre association agit-elle en milieu rural ? ».  Association à une région considérée comme rurale, mise en avant de la présence d’agriculteurs, recours systématique au nombre d’habitants par km² ou encore explication de la mise à distance par rapport aux services et à l’offre de transports publics sont autant d’arguments sollicités par les répondants pour expliquer le caractère rural de leur projet.

On peut ainsi lire : « La commune de Corroy-le-Château est essentiellement rurale, la rue Quitens a encore une ferme en activité et différents champs de cultures » ; « Olne est un village dont le paysage est typique du Pays de Herve et est situé à la porte des Ardennes. Sa densité de population est assez faible : 239 hab/km². Le slogan de notre commune est “Olne, rurale et conviviale”. De plus, nous avons un nombre assez important d’agriculteurs dans notre village » ; « Dans ce village vit plus de bétail (environ 1480) que d’habitants (726 personnes). », etc.

Professionnalisation des acteurs

Pour avoir la chance de voir leur projet pris en considération, les candidats à l’appel remplissent un questionnaire, dans lequel il leur est demandé de compléter quelques informations sur l’association, des informations financières pour le versement du subside, une description du projet, de ses objectifs et son budget, etc. La manière dont sont remplis ces formulaires permet de tirer certaines conclusions quant à la nature des candidats.

Les projets proviennent aussi bien d’asbl que de groupements de fait, dont la création est bien souvent liée à l’opportunité d’obtenir un subside dans le cadre de cet appel à projets. Ces derniers se distinguent par leur difficulté à remplir un formulaire assez administratif, à un point tel qu’il est possible qu’un frein culturel important ait dissuadé certains « citoyens ordinaires » de participer à l’appel. Au contraire, les centres culturels ou maisons de jeunes démontrent une certaine habilité à compléter ce type de documents, mettant en évidence un phénomène de professionnalisation de la chasse aux subsides.

Potager villageCertains projets se distinguent par ailleurs par l’intervention de réseaux externes. En Wallonie, plusieurs structures proposent en effet leurs compétences ainsi que des petites astuces pour rechercher des subsides (par ex. Qualité Village Wallonie). Ces structures sont également à l’origine d’un effet de cascade : un projet récompensé lors d’un des premiers appels avait ensuite tendance à multiplier les propositions similaires lors des appels suivants (ce fut par exemple le cas des potagers collectifs).

Les différents cas analysés mettent également en évidence la fin de l’Etat  ou de la commune comme unique pourvoyeur de l’innovation au niveau du village. Le citoyen se débrouille pour trouver lui-même les subsides s’il veut développer des projets, bénéficier de certains services ou activités.   

Vers une réinvention de la campagne ?

ecole village

Les campagnes retrouvent aujourd’hui une série de fonctions qu’elles avaient perdues. Jusqu’au milieu du XXe siècle se produit un exode des campagnes vers les villes, où se situent les activités industrielles et tertiaires. Il ne reste plus dans les campagnes que l’agriculture. Les autoroutes, la mobilité croissante et les moyens accrus des ménages favorisent cependant un retour vers la campagne, accompagné d’une tertiairisation de celle-ci. L’économie se veut plus résidentielle : les services (école, crèche, coiffeur…) se rapprochent de la campagne et les campagnes sont de moins en moins liées au monde agricole. L’attrait pour le milieu rural tient cependant beaucoup au cadre de vie et à ses espaces verts, eux-mêmes entretenus par les agriculteurs, dont le nombre est en diminution constante.

Parmi les projets proposés, nombre ont trait aux espaces publics, aux jardins communautaires, à la restauration de sentiers, à l’histoire locale, à des événements festifs, aux plaines de jeux pour enfants, à des maisons communautaires ou au théâtre folklorique.

Bien conscients que l’agriculture fait la campagne, les citoyens associent pourtant rarement les agriculteurs à leurs projets de vivre ensemble dans un village. Dans le cadre de « Vis mon village », seuls deux projets sur les 300 proposés incluent l’agriculteur. Un projet propose ainsi de « Faire découvrir les quelques fermes caractéristiques des 4 villages de l’entité de Merbes-le-château à travers divers regards (celui de l’historien, celui des enfants…) afin de renforcer le sentiment d’appartenance et d’identité locale par la valorisation du caractère rural de Merbes-le-château ». S’il propose de rendre compte de la vie à la ferme, ce projet se passe cependant de solliciter le point de vue de l’agriculteur.

A contrario, des projets de potagers collectifs se multiplient. « Ce phénomène est pourtant typiquement urbain puisqu’à l’origine les potagers communs ont l’ambition de proposer aux ouvriers qui habitent la ville un espace pour être en contact avec la nature, se rencontrer ou mieux manger. Aujourd’hui, ces potagers collectifs envahissent les campagnes, ce qui est assez paradoxal dans un milieu où les habitants ont normalement des terrains et des liens avec l’agriculture » argumente Serge Schmitz. Ces projets témoignent de l’évolution des campagnes et de l’éloignement du citoyen avec la terre qui faisait à l’origine la campagne.

La plupart des projets proposés dans le cadre de « Vis mon village » sont ainsi assez éloignés de l’archétype de la campagne, que l’on voyait lié à l’agriculture. C’est également le cas des projets qui s’attachent à recréer des espaces publics. Dans la plupart des villages, il n’existait pas d’espace communautaire. Seuls l’église ou le terrain de foot permettaient de réunir la communauté à certains moments mais l’éloignement de la religion et la diversification des pratiques sportives ont rendu caducs ces lieux de rencontre. Aujourd’hui, les gens quittent de plus en plus le village pendant la journée pour travailler à l’extérieur  et l’école du village n’existe pas toujours. Ces éléments réunis ont fait naître une volonté de créer des espaces de rassemblement au sein du village, qui avait tendance à devenir soit un village-dortoir, soit était tout simplement en train de mourir. De nombreuses propositions de projets avaient donc trait à la création d’espaces de rencontre, « pour faire village ».

La commission chargée de l’examen des candidatures a par ailleurs reçu beaucoup de projets de plaines de jeux, à nouveau fort éloignés de l’archétype de la campagne. « A l’origine, les enfants allaient jouer dans les champs. Aujourd’hui, on a besoin de créer un espace de jeux sécurisé alors que l’espace de jeux se situe déjà dans les champs ou dans les bois aux alentours », note Serge Schmitz.

Au travers de ces différents exemples, une question transparaît : n’est-on pas en train de réinventer la campagne belge ? Aujourd’hui devenue périurbaine, la campagne se dote de besoins bien particuliers liés à l’économie résidentielle, à une population qui est absente tout au long de la journée. Des besoins en matière d’équipements – auparavant inexistants – et de dynamiques nouvelles se font de plus en plus criants.

(1) The Call for project proposals « Let’s live my village »: between free interpretations and compulsory readings regarding innovation and convivial village ambiance in Wallonia. In « The Countryside : spaces of innovation in an urban world », Nantes, Espaces et Sociétés (ESO).
(2) Schmitz S., Vanderdheyden V., Brück L. Schepers J.F. Monde rural : cadre de vie et de récréation. In « Atlas de Belgique : tome 2, Paysages, monde rural et agriculture », Gand, Academia Press, p. 33-45.


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