Guerre et jeu, une façon de lire le monde
Si l’on s’en tient au jeu seul, Huizinga voyait en lui les caractéristiques suivantes : tout d’abord, le jeu a une dimension agoniste et ce qui est agoniste est ludique chez Huizinga ; le jeu est ensuite liberté, spontanéité. Certes, il existe des règles mais celles-ci ne sont pas immuables. En revanche, les nouvelles règles doivent être connues des autres joueurs et acceptées par eux. Le jeu est également amusement et contentement. Il est aussi fiction au sens où il n’est pas la vie « ordinaire » ou « réelle ». L’utilisation que nous faisons du verbe « jouer » est en ce sens significatif. Nous jouons d’un instrument de musique, nous jouons dans une pièce de théâtre ou dans un film, nous jouons au tennis de la même manière que nous jouons aux cartes, aux échecs, aux jeux de société, etc. Différents exemples sont développés dans Guerre & jeu à ce sujet. Ainsi, plusieurs pièces de la littérature ou du cinéma y sont exploitées. Huizinga souligne également que le jeu n’est en lui-même ni bon ni mauvais, « il réside hors de la sphère des normes morales » tout en permettant de moraliser en quelque sorte la société puisqu’il « canalise la vie des humains et évite l’excès, par exemple dans la guerre où les règles du jeu nous évitent de tomber dans la barbarie totale ». Enfin, le jeu tend à la beauté et la culture émane de lui. Cette idée fait l’objet du roman utopique, Le Jeu des perles de verre, d’Hermann Hesse. Dans le roman d’Hermann Hesse, le jeu des perles de verre est le sommet de la culture. Il constitue « un remède efficace contre la guerre »(4) et la guerre peut aussi être de son côté « un moyen de favoriser la véritable culture ». Le XXème siècle, « l’ère des pages de variétés », est présenté comme le crépuscule de la culture créatrice. Dans ces conditions, la guerre n’est plus considérée comme un état qu’il faut fuir mais comme un moyen utile de transformation radicale de l’ordre du monde à une nouvelle culture. La guerre et le jeu évoluent selon les caprices du hasard, de l’aléatoireUn échiquier. Voilà bien souvent ce qui est choisi en guise d’illustration d’une réflexion stratégique, militaire ou géopolitique. Or, quoi de plus hasardeux que la géopolitique et les conflits qu’elle entraîne ? Et quoi de plus limpide qu’un jeu d’échecs ? Les règles sont précises, les pièces ne peuvent être déplacées que selon des codes convenus, les adversaires se font face et avancent à visage découvert. Rien de tout cela ne correspond à la moindre réalité. Les échecs ne laissent pas de place au hasard. Ils ne permettent aucun simulacre, aucune mise en scène. Pourtant, ces deux derniers points, le hasard et la mise en scène, sont précisément ce qui relie la guerre au jeu et le jeu à la guerre comme nous le rappelle Achim Küpper. Certains auront la tentation de voir les échecs comme un symbole de la guerre classique. « Cette forme de guerre exclurait toute forme de développement inattendu à l’instar des échecs où ce qui n’est pas permis ne se produit pas », explique Achim Küpper. Cependant, « il s’agit d’une vision utopique, depuis longtemps dépassée ». En effet, il faudrait plutôt considérer les échecs comme une partie inhérente à toute guerre, représentant uniquement les phases de combat mais ne rendant absolument pas compte des coulisses, des décisions et des tractations politiques, des réflexions stratégiques, des rebondissements inattendus, etc. C’est ainsi que chez Huizinga seules quelques lignes sont consacrées au jeu d’échecs. (4) Anne Staquet, « Hermann Hesse ou le jeu comme stratégie contre la guerre », in Guerre & jeu, p. 142. Anne Staquet est Docteur en philosophie et professeur à l’Université de Mons. |
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