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Un effet contre les thromboses

25/08/2014

Connu pour ses effets antiangiogènes, le fragment 16K-PRL de la prolactine était jusqu’ici principalement étudié pour lutter contre le développement de tumeurs. L’équipe d’Ingrid Struman, chercheuse au GIGA-cancer de l’Université de Liège, a découvert, « un peu par hasard », que ce fragment a également un effet contre les thromboses, ces caillots qui peuvent obstruer nos vaisseaux, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives dans l’étude et l’utilisation thérapeutique de cette molécule. Une voie qui n’avait pas encore été étudiée jusqu’à aujourd’hui.

Doigt sangQui n’a jamais eu une entaille ou une petite plaie qui ne semblait pas vouloir s’arrêter de saigner ? Heureusement, la nature étant bien faite, elle a prévu un mécanisme permettant qu’animaux et hommes ne se vident pas de leur sang à la moindre petite blessure. En effet, en cas de plaie, l’hémorragie est, dans la plupart des cas, rapidement arrêtée grâce l’agrégation de plaquettes sanguines et au phénomène de coagulation qui se mettent en place au niveau du vaisseau sanguin abimé.  La coagulation consiste, entre autres, à la formation de caillots sanguins composés d’une protéine appelée fibrine. La masse ainsi créée par les plaquettes sanguines et la fibrine est ensuite résorbée, après réparation de la paroi du vaisseau, afin d’éviter la formation de thromboses. Lors de ce processus connu sous le nom de fibrinolyse, l’enzyme plasmine dissout les caillots sanguins. Si ce processus présente des failles, les caillots peuvent entraîner une obturation du vaisseau sanguin, c’est-à-dire une thrombose. Selon la localisation du caillot, les conséquences peuvent être plus ou moins sévères, voire fatales si celui-ci empêche la circulation du sang dans un organe essentiel.

La fibrinolyse, un processus bien régulé !

Outre la fibrine, le caillot sanguin formé à la suite d’une blessure contient une protéine inactive du nom de plasminogène. Celle-ci se transforme en plasmine sous l’effet d’activateurs, notamment l’activateur tissulaire du plasminogène (t-PA), secrétés par l’endothélium vasculaire quelques jours après la lésion. Une fois le caillot dissout, le processus de fibrinolyse est régulé pour s’interrompre et le t-PA est inhibé par… l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène (PAI-1). « Aujourd’hui, le t-PA, ou plutôt une forme recombinante de cette protéine, est la seule molécule utilisée en clinique comme médicament thrombolytique lorsqu’il faut détruire un gros caillot qui obstrue une veine ou une artère », explique Ingrid Struman, Chercheur Qualifié F.R.S.-FNRS et chef de projet au sein du laboratoire d'angiogenèse moléculaire du GIGA-Cancer de l’ULg.

Ingrid Struman étudie depuis une dizaine d’années le fragment 16K-PRL de la prolactine et son rôle dans l’angiogenèse. « On sait depuis une quinzaine d’année que 16K-PRL a des propriétés antiangiogènes et qu’il est capable de bloquer la croissance des vaisseaux sanguins », indique la chercheuse. « Jusqu’à présent on l’a étudié principalement pour ses propriétés antitumorales puisque l’angiogenèse est indispensable pour la croissance tumorale », poursuit-elle. En effet, c’est grâce à la création de vaisseaux sanguins dans son environnement proche qu’une tumeur s’assure l’acheminement des ressources en oxygènes et nutriments nécessaires pour se développer.

De l’angiogenèse à la dissolution des caillots sanguins…

Dans ce contexte de connaissance sur le 16K-PRL, Ingrid Struman et son équipe ont initié un projet de recherche fondamental visant à trouver la molécule médiatrice des effets antiangiogènes et antitumoraux de ce fragment de la prolactine. « Dans le cadre de ce projet, nous avons réalisé un criblage de bibliothèque en levure. Cette technique nous a permis de faire exprimer des morceaux de gènes par des levures et d’observer quelles protéines se lient au 16K-PRL », précise Ingrid Struman. C’est ainsi que les chercheurs ont identifié la protéine PAI-1 comme médiateur des effets de 16K-PRL. La scientifique et ses collègues, notamment les docteurs Khalid Bajou et Stéphanie Herkenne, ont alors entrepris une série d’expériences avec des outils cellulaires et des modèles animaux pour voir si celles-ci confirmaient ce rôle de PAI-1.

« Nous avons pu observer que lorsqu’on invalide l’expression de PAI-1, 16K-PRL perd ses effets antiangiogènes et antitumoraux, ce qui prouve que l’action de 16K-PRL s’effectue par l’entremise de PAI-1», révèle Ingrid Struman. Ces résultats font l’objet d’une publication dans la revue Nature Medicine(1). Mais, au-delà de la découverte du médiateur des effets connus du 16K-PRL, cette étude a permis aux chercheurs de mettre le doigt sur une autre fonction, restée jusqu’ici totalement inconnue, du fragment 16K-PRL ! « Le fait d’avoir identifié PAI-1 comme protéine qui lie le fragment 16K-PRL a ouvert une toute nouvelle porte sur la fibrinolyse », explique la scientifique.

Double fonction prolactine 16K 1

Une nouvelle porte ouverte sur les fonctions de 16K-PRL

Comme mentionné plus haut et pour rappel, PAI-1 inhibe t-PA afin de mettre fin au processus de fibrinolyse et donc à la dissolution des caillots sanguins formés lors de la coagulation. Au vu du rôle de PAI-1 dans ce processus et de sa capacité à lier 16K-PRL, les chercheurs liégeois ont trouvé judicieux de creuser la piste d’une éventuelle fonction de ce fragment de prolactine dans la fibrinolyse. « C’est quelque chose qui n’avait jamais été exploré avant puisqu’on ne soupçonnait pas du tout le lien entre PAI-1 et 16K-PRL », continue la chercheuse. Les tests réalisés avec des souris modèles pour la thrombose ont abondé dans ce sens. « Quand on travaille sur des souris chez lesquelles on a induit un caillot sanguin et qu’on les traite avec 16K-PRL, on observe que le caillot disparaît beaucoup plus rapidement », explique Ingrid Struman. « Le fragment 16K-PRL inhibe la protéine PAI-1 et de ce fait permet à t-PA d’avoir une meilleure activité de dissolution des caillots sanguins », poursuit la scientifique. Cette découverte est très intéressante puisqu’aucun inhibiteur de PAI-1 n’était connu jusqu’ici…

Lancée dans cette voie, l’équipe d’Ingrid Struman a voulu connaître plus précisément quelles régions du fragment de prolactine 16k-PRL sont responsables de l’inhibition de PAI-1. « Nous avons travaillé avec de plus petits peptides issus de ce fragment et nous avons identifié des régions intéressantes. Un brevet a été déposé suite à ce travail », indique la chercheuse. A moyen ou long terme selon les résultats des tests d’efficacité et de toxicité de ces peptides,  ceux-ci pourraient être utilisés dans le traitement des thromboses.

Quand la recherche fondamentale trouve des pistes thérapeutiques

Cette étude est un très bel exemple de recherche fondamentale au cours de laquelle les chercheurs tentent de mieux comprendre un mécanisme et qui débouche sur la découverte d’une nouvelle fonction d’une protéine. « On ne s’attendait pas du tout à ça et nos découvertes pourraient finalement mener à une application thérapeutique », souligne Ingrid Struman. Bien qu’encore loin d’être arrivé sur le marché des médicaments, le fragment 16K-PRL pourrait avoir un gros avantage avec ses effets à la fois antiangiogènes et thrombolytiques. Car comme le précise la chercheuse « beaucoup de traitements de tumeur par thérapie antiangiogène provoquent des problèmes de thrombose chez les patients ».  Utiliser un antiangiogène qui a également un effet thrombolytique pourrait donc permettre de passer outre ces effets secondaires. « Mais, à ce stade, ceci n’est encore qu’une hypothèse… », souligne Ingrid Struman.

Une des prochaines étapes de cette recherche est de voir si le fragment 16K-PRL est naturellement présent pour réguler la formation des caillots sanguins. Le rôle physiologique de 16K-PRL est encore mal connu au jour d’aujourd’hui. Une étude montre que la PRL est synthétisée et clivée en 16k-PRL par la rétine et que ces molécules jouent un rôle dans la prévention de l’angiogenèse au niveau de la rétine. C’est le seul rôle physiologique de 16K-PRL démontré jusqu’à présent. Outre ce rôle physiologique, diverses études ont révélé que 16K-PRL était associé aux effets observés dans certaines pathologies. C’est notamment le cas dans la cardiomyopathie du peripartum où l’excès de 16K-PRL au niveau du cœur joue un rôle important dans le développement de cette maladie. (lire l’article « Dépister la cardiomyopathie du peripartum »).

Double fonction prolactine 16K 2

(1) Khalid Bajou, Stephanie Herkenne, Victor L Thijssen, Salvino D'Amico, Ngoc-Quynh-Nhu Nguyen, Ann Bouché, Sébastien Tabruyn, Mohammed Srahna, Jean-Yves Carabin, Olivier Nivelles, Cécile Paques, Ivo Cornelissen, Michelle Lion,  Agnès Noel, Ann Gils, Stefan Vinckier, Paul J Declerck, Arjan W Griffioen, Mieke Dewerchin, Joseph A Martial, Peter Carmeliet & Ingrid Struman. PAI-1 mediates the antiangiogenic and profibrinolytic effects of 16K prolactin. Nature Medicine (2014) doi:10.1038/nm.3552


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