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Pulsations en rayons X

10/07/2014

Une équipe d’astrophysiciens, dont Yaël Nazé, chercheuse qualifiée FRS-FNRS en astrophysique à l’Université de Liège,  a observé pour la première fois des pulsations en rayons X d’une étoile massive. La pulsation est monopériodique et est similaire à celle observée aux longueurs d’ondes  visibles. Un comportement jusqu’alors inconnu qui ne faisait pas partie des prévisions théoriques pour ce type d’étoile. Cette découverte ouvre une nouvelle porte dans l’étude des étoiles massives, et chamboule les connaissances théoriques de ces colosses de l’espace. A l’origine de ces pulsations, les vents stellaires, d’une extrême puissance. Pour le reste, c’est l’inconnue. La quête des clés de compréhension des étoiles massives continue.  

constellation du grand chienLes étoiles massives comptent parmi les objets les plus surprenants à étudier et cachent encore bon nombre de secrets. Pourquoi ? Simplement parce qu’elles ne sont pas proches, mais situées à des milliers d’années-lumière, et qu’elles sont peu nombreuses. Lors de la formation des étoiles, beaucoup d’étoiles plus petites sont en effet créées pour une seule étoile massive. En plus, leur espérance de vie est presque « fugace » puisqu’elle ne s’élève qu’à quelques millions d’années. Là où notre Soleil, pour la comparaison, a depuis longtemps soufflé sa quatre milliardième bougie et se porte encore comme un charme. Une courte vie qui s’explique par le fait qu’elles brûlent la chandelle par les deux bouts, et pas qu’un peu. Elles ont en effet une luminosité de 100 000 à un million de fois plus élevée que celle du Soleil. Cette luminosité dépend de l’intensité des réactions nucléaires de  fusion de l’hydrogène au cœur de l’étoile. Cette phase de fusion d’hydrogène se produit durant plus de 90% de la vie d’une étoile. Certes, ces étoiles sont 10 à 100 fois plus massives que le Soleil et elles ont donc 10 à 100 fois plus d’hydrogène, mais elles le consument 100 000 à un million de fois plus vite, d'où leur faible durée de vie.

Tant qu’elles brillent, ces étoiles sont donc visibles de très loin, et c’est une aubaine puisqu’elles ne se trouvent pas dans le voisinage. Elles sont également très énergétiques. La majeure partie de leurs émissions lumineuses se font dans l’ultraviolet (UV), à des longueurs d’ondes qui génèrent des vents puissants (lire « Les ultraviolets et la matière en mouvement » ci-dessous). Aux UV viennent s’ajouter les rayons X, davantage encore porteurs d’énergie, et qui représentent un dix-millionième de l’émission lumineuse. Ce qui ne semble pas énorme, mais à ces échelles-là, cela signifie que les étoiles les plus grosses émettent l’équivalent d’un dixième de la luminosité solaire rien qu’en rayons X, ce qui est important. Cette émission lumineuse énergétique a un impact important sur l’environnement de ces étoiles, notamment en le chauffant grâce aux UVs ou en le sculptant au gré des vents stellaires. Enfin, quand elles meurent, les étoiles massives explosent en supernovae et finissent en étoiles à neutrons ou en trous noirs. Beaucoup de phénomènes de grande envergure sont donc causés par leur présence. Mais leur éloignement, et le fait que la mode scientifique actuelle privilégie exoplanètes ou confins de l’univers, les rend encore méconnues à bien des égards.

Une étude qui mène à une découverte inattendue

Parmi ces étoiles massives se trouve Xi1 CMa, une étoile de type spectral B, soit la deuxième en fonction de la température. Nichée dans la constellation du Grand Chien, à 1400 années-lumière de la Terre, elle n’en reste pas moins visible à l’œil nu. C’est sur elle que plusieurs chercheurs, dont Yaël Nazé, chercheuse qualifiée FRS-FNRS en astrophysique à l’Université de Liège, ont porté leur attention. « Nous nous sommes intéressés à cette étoile car elle est très magnétique, explique la chercheuse. 5000 fois plus que le champ magnétique global du Soleil et 10 000 fois plus que celui de la Terre, ce qui est énorme. » Ça fait longtemps qu’on pense que les étoiles massives ont des champs magnétiques, mais leur signature n’a pu être détectée qu’à partir de 2002, grâce à l'avènement d'instruments très sensibles. Une autre propriété des étoiles massives est la présence de vents stellaires, qui sont bien plus puissants que le vent solaire. Ils brassent des centaines de milliards de fois plus de matière, et peuvent atteindre des vitesses avoisinant cinq millions de kilomètres à l’heure, dix fois plus que la vitesse moyenne du vent solaire. « A titre de comparaison, ce « petit » vent solaire est déjà suffisant pour arracher les atmosphères de certaines planètes (Mars, Vénus), et on n'ose alors imaginer l'effet des vents des étoiles massives. »

« Dans les prédictions théoriques, nous pensions que ce champ magnétique puissant sur Xi1 CMa influençait les vents. Que, partant des deux hémisphères de l’étoile, ils seraient contraints de suivre les lignes de champ, et d'entrer en collision au niveau de l’équateur. Et à une telle vitesse, avec autant de matière, cette collision devait être énorme, et générer beaucoup d’énergie, donc de lumière X. Une signature facilement identifiable que nous voulions observer pour vérifier nos hypothèses d’influence du champ magnétique sur les vents stellaires. » L’équipe a donc obtenu un temps d’observation via le télescope de l’ESA XMM-Newton, en orbite autour de la Terre depuis 1999, et pour info, testé au Centre Spatial de Liège (l'ULg était également impliquée dans la construction d’un de ses instruments). Pendant 29 heures, XMM-Newton a pointé ses miroirs dans la direction de Xi1 CMa. « Une fois nos données récoltées, je devais analyser la courbe de lumière X, soit la variation d'intensité lumineuse de l’étoile durant l'observation. Et j’ai directement vu qu’il y avait une variation périodique, anormale et totalement différente de ce qu’on avait prévu : une pulsation lumineuse périodiquement stable. C’était aussi étonnant qu’inédit pour une étoile massive. »

Un nouveau phénomène à identifier

XMM-Newton Xi1CMa pulsesL’émission lumineuse des étoiles massives varie, y compris dans les rayons X, ce n’est pas extraordinaire. Que cette variation soit périodique ne l’est pas plus. Cette périodicité a pu notamment être observée notamment au sein de systèmes composés de deux étoiles orbitant l’une autour de l’autre, et dont les vents entraient en collision (Lire l’article « Le vent stellaire livre ses secrets »). « Mais dans le cas présent, nuance Yaël Nazé, l’étoile est toute seule. Et sa pulsation est presque parfaitement sinusoïdale. » Une surprise supplémentaire devait attendre la chercheuse. Quand elle détermine la période de pulsation des rayons X, qui est cinq heures, ce qui correspond à la période de pulsation de la lumière dans le visible. « L’étoile a donc une seule période de pulsation, quelle que soit la longueur d’onde observée. Une fois de plus, c’est un phénomène qu’on n’a jamais observé. Ainsi, d’autres étoiles massives pulsantes avaient déjà été observées, mais on n'avait détecté aucune variation de leur émission X ! » Cerise sur le gâteau, les variations aux longueurs d’ondes X sont le fruit d’émission d’une très haute énergie, la plus difficile à produire. « Et typiquement, l’émission de haute énergie est assez réduite par rapport aux émissions dans les autres couleurs de la lumière. Pourtant, dans le cas présent, l’amplitude des variations est plus faible dans le domaine visible que dans les rayons X. Le phénomène responsable génère donc une plus grande émission à haute énergie, ce qui n'est pas habituel. »

En observant Xi1 CMa, les chercheurs n’ont donc pas trouvé ce qu’ils attendaient, mais ils ont trouvé mieux : un nouveau phénomène ! Son origine vient probablement de la propulsion des vents en surface. « Mais pour le moment, on ne sait pas ce que c’est. On est tout au début de l’identification d’un tout nouveau phénomène dont on ne comprend pas les causes. On va continuer d’observer l’étoile à d’autres longueurs d’ondes, développer de nouveaux modèles, pour tenter de comprendre pourquoi on a cette pulsation-là. Je pense notamment qu’il faudra coupler deux modèles, celui qui tient compte de l’oscillation de la surface, et l’autre qui tient compte des vents stellaires, dont le comportement est lié à ces variations lumineuses. »

La lumière à l’origine des vents

Dans le visible comme en rayons X, les variations lumineuses sont liées à la surface de l’étoile, qui pulse un peu à la manière de la peau d’un tambour. Ces pulsations sont le fruit de la propagation de la lumière à l’intérieur de l’astre. Il s’y trouve des zones qui jouent des rôles de moteurs, qui propagent la lumière tout en poussant la matière vers la surface en un mouvement d'aller-retour, ce qui crée les variations lumineuses observées. « On a donc une surface qui varie en intensité lumineuse, et on a ces vents, très puissants et très instables. Si ces vents sont si forts, si rapides, et brassent autant de matière arrachée à la surface de l’étoile, c’est parce qu’ils sont poussés par la lumière UV, abondante dans le spectre de Xi1 CMa. Ça veut dire qu’il y a une connexion entre les vents et la lumière émise en surface. Donc si au départ la surface bouge, on peut imaginer qu’elle va influencer les conditions qui poussent les vents. Ces vents étant très instables, ces variations peuvent rapidement avoir un impact important, créer des chocs, des collisions, donc conduire à l'émission de rayons X. Mais pour vérifier cela, il nous faut de nouveaux modèles. »

Les ultraviolets et la matière en mouvement

Xi1CMa XRay imageComment la lumière peut-elle pousser la matière ? Il faut avant tout savoir que plus la longueur d’onde est courte (UV, rayons X, rayons Gamma…), plus elle est énergétique La lumière ultraviolette intense émise par les étoiles massives est absorbée par les métaux. « Mais attention, en astronomie, s’amuse la chercheuse, nous avons une vision assez simple de la composition de la matière. Il n’y a dans l’espace que trois « éléments » : l’hydrogène, l’hélium, et... les métaux. » Lorsque les ions métalliques absorbent les rayons UV, les électrons en orbite autour de leur noyau vont s’éloigner de celui-ci. « L'ion se trouve alors dans ce qu’on appelle l’état excité, qui ne dure pas très longtemps. » Quand il reprend son état naturel, l’ion réémet de la lumière. Si la lumière initiale ne vient que d’une seule direction (radiale, depuis le centre de l'étoile), la réémission, elle, se fait dans toutes les directions. La force résultant de cette différence entre absorption et réémission génère une impulsion pour l’ion, qui se met en mouvement. Le schéma se répète inlassablement, générant un vent puissant.

« Globalement, les ions sont poussés vers l’avant. Un tout petit peu, mais comme ils sont beaucoup et qu’ils partagent ce qu’ils gagnent comme énergie, la matière est poussée de plus en plus fortement. » C'est ce processus très efficace qui explique que les vents des étoiles massives atteignent des vitesses et des taux de perte de masse énormes comparé au vent solaire.. L'important est donc l’intensité lumineuse, et la proportion de rayonnement UV dans celle-ci. Le Soleil n’émet que très peu d'UVs, là où les étoiles massives ont un rayonnement qui comprend plus de 90% d’UV, et le vent solaire n'a donc rien à voir avec celui des étoiles massives (il s'agit en fait simplement de gaz chaud en expansion, pas de matière poussée par l'ultraviolet).

Vers une modification de la connaissance des vents stellaires

Pour en revenir à Xi1 CMa, l’équipe scientifique est aujourd’hui face à un tout nouveau phénomène. « Nous pensons que les rayons X observés ici sont générés par le vent.  Mais pourquoi cette pulsation domine-t-elle ? On ne sait pas. Quelle influence a le champ magnétique de l’étoile ? On ne sait pas. » Xi1 CMa était déjà une étoile massive peu banale. Des champs magnétiques forts, seuls quelques pourcents des étoiles massives en possèdent. Pour tout dire, elles ne devraient même pas en avoir du tout, car elles ne possèdent pas de mouvements sous la surface pouvant générer les champs magnétiques à la manière d'une dynamo. « Celles qui en sont pourvues ont probablement un champ magnétique fossile, qui viendrait du tout début de leur vie, peut-être même des débuts de leur formation. »  Xi1 CMa est en outre une étoile pulsante, ce qui signifie que ses oscillations en surface sont visibles depuis la Terre. Et de telles étoiles, qui combinent cette triple particularité (massive, magnétique, pulsante), la chercheuse n’en connaît que deux autres. « C’était donc déjà un objet exceptionnel. Mais cette pulsation en rayons X rend Xi1 CMa encore plus intéressante. Nous ne connaissions aucun autre cas d’étoile présentant une pulsation X. »
 
Quelle que soit la nature de Xi1 CMa, elle a titillé la curiosité de la communauté scientifique. Les dernières observations à son sujet ont fait l’objet d’une publication dans Nature Comms, et seront présentées dans plusieurs colloques. « Et puis, je discute avec d’autres collègues pour envisager de nouvelles observations et des modélisations. Mais ça va seulement se lancer tout doucement. On est au tout début du projet, il ne faut pas être trop impatient. »


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