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Ejaculation précoce : la « bibliothérapie »
17/06/2014

Question culturelle

Ejaculation précocePhilippe Kempeneers relativise : « La majorité des hommes considère éjaculer trop rapidement, en comparaison avec leur volonté. Objectivement, les durées moyennes de pénétration se situent entre 5 et 7 minutes (de l’intromission à l’éjaculation) ; or, lorsqu’ils sont interrogés, les hommes – européens et américains tout au moins –considèrent plutôt comme ‘normale’ une durée de 10 à 13 minutes ! Il y a donc un décalage entre les capacités biologiques de ce qui est un réflexe, et les aspirations socioculturelles. » Est-ce pour cela que l’éjaculation précoce est devenue la plainte la plus répandue dans les pays occidentaux ?

Ce qui est sûr, c’est que ce genre de points de repères subjectifs compliquent l’établissement des chiffres de prévalence : ils vont, selon les études, de 10 à 50% ! Outre le fait que la définition du trouble peut varier selon les études, la culture a une influence non négligeable. Ainsi, l’enquête GSSAB (Global Study of Sexual Attitudes an Behaviors), qui porte sur environ 14.000 hommes de 40 à 80 ans, montre que 30% de ceux vivant en Asie du Sud-est affirment être régulièrement éjaculateurs précoces, contre 12% au Moyen-Orient ; en Europe occidentale, ils seraient environ 20% alors que les Occidentaux non-Européens (Américains, Canadiens, Australiens) avoisineraient les 27%. Et tout ne peut certainement pas être attribué aux quelques différences biologiques ! Par exemple, dans certaines régions d’Extrême-Orient, l’éjaculation est traditionnellement considérée comme une perte de substance vitale. De plus, d’une part, faire durer le coït n’a pas forcément une même importance dans toutes les cultures et d’autre part, le timing rapporté n’est pas lié à la souffrance ressentie. Prenons le cas du Moyen-Orient, et de la Turquie : on y relève une durée du coït inférieure à celle dans certains pays d’Europe occidentale (selon les études, entre 3.7 et 4.4 minutes, contre 7.6 et 10 minutes au Royaume-Uni, par exemple) ; néanmoins, l’enquête GSSAB montre que c’est là que l’on retrouve le moins d’hommes qui s’en plaignent… L’une des explications serait que la culture moyen-Orientale valoriserait moins la pénétration prolongée et le coït. Peut-être la gestuelle érotique y est-elle plus riche, plus diversifiée...

Peut-on y voir aussi l’influence de l’augmentation de la pornographie, qui met en scène des pénétrations qui durent de très, très longues minutes ? « Nous n’avons pas suffisamment de recul par rapport à cette influence, en termes statistiques, précise Philippe Kempeneers. On peut cependant tenter d’y répondre à travers les études menées sur la culture érotique. Dans les années 40, la fameuse étude Kinsey montrait que la durée moyenne, à l’époque, de la pénétration était d’environ 2 minutes ; aujourd’hui, elle est de 5 à 7 minutes. Mais il y a eu beaucoup d’autres événements qui pourraient aussi avoir eu une influence, comme la révolution sexuelle chez les femmes, qui seraient devenues peut-être plus exigeantes ? Dans certains discours religieux particulièrement prégnants au XIXème siècle, les relations sexuelles avaient pour unique but la reproduction, sinon, c’était de la fornication vouée au diable. D’ailleurs, dans la bonne bourgeoisie, la femme ‘bien’ ne jouissait pas ! Dans ce cadre-là, puisqu’il n’y avait pas de recherche du plaisir, l’expression d’une frustration féminine n’avait guère de chances d’être perçue comme légitime, et un coït bref ne posait guère problème pour autant qu’il y ait éjaculation intravaginale. Fin des années 60 et début des années 70, le plaisir a été placé au centre des aspirations, notamment chez les femmes. Mais la norme est restée axée sur le coït, tout en hyper-valorisant l’épanouissement sexuel. Considérons par exemple les films tous publics, lorsqu’il y a une scène d’amour, quel est l’accomplissement ultime ? Le coït ! Et si possible avec orgasme simultané, ce qui est loin d’être la norme ! On le voit aussi dans les termes couramment utilisés pour désigner les activités sexuelles : les ‘préliminaires’ sont une sorte d’apéritif avant un plat principal, le coït ; et ce que l’on appelle un rapport sexuel ‘complet’ est celui qui implique une éjaculation dans le vagin… »

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