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« L’Afrique belge », terre d’explorations historiques
10/06/2014

Une « pédagogie de la nuance »

A la lecture de l’ouvrage, on prendra rapidement la mesure du retour en force du passé colonial dans les questionnements d’aujourd’hui. Mais, comme l’affirme avec justesse l’un des auteurs, Patricia Van Schuylenbergh, « cet engouement dissimule mal les ambiguïtés de formes et de traitement du fait colonial qui cristallisent les clivages idéologiques et politiques et témoignent du difficile poids de ce passé » dans notre pays et ailleurs.

Catherine Lanneau abonde dans le même sens... « Dans un contexte de plus en plus marqué aujourd’hui par une tendance à l’histoire globale, transnationale et interconnectée, la réécriture du temps colonial passe aussi par la collusion, voire la confusion souvent marquée, entre l’écriture professionnelle de l’histoire, l’essai ou le pamphlet journalistique, la fiction non romanesque, le roman, le récit de vie, les Mémoires personnels ou de groupes d’anciens coloniaux. Pas facile de s’y retrouver dans cette profusion où se côtoient l’apologie sans discernement et le réquisitoire virulent, qu’il s’agisse de la colonisation en général ou d’une facette de celle-ci, telle que la période léopoldienne ». Il est vrai qu’à l’heure actuelle, une sorte de mémoire expiatoire de la colonisation s’exprime largement dans les débats, comme si, après une phase de déni et de refoulement, les ex-nations colonisatrices pêchaient aujourd’hui par ce que Benjamin Stora nomme le « trop-plein de mémoires ». Gare au télescopage entre histoire et enjeux politiques et mémoriels, ceux-ci sommant celle-là de dire la vérité.

C’est donc à une véritable « pédagogie de la nuance et de la précision » que nous invitent les historiens du fait colonial. Un beau défi qu’ils relèvent avec brio tout au long de « L'Afrique belge aux XIXe et XXe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale ».

Du « génie » ...

Dans sa contribution, Patricia Van Schuylenbergh, chef du service Histoire et Politique au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, revisite tout d’abord en profondeur l’historiographie du fait colonial. Son état des lieux est éclairant.

Leopold 2On le sait, les faits de violence commis sous  Léopold II dans l’Etat indépendant du Congo (EIC) ont soulevé à l’époque de virulentes critiques nationales et internationales. Lorsque la Belgique « héritera » du Congo en 1909, l’establishment traditionnel veillera à y mettre fin en favorisant, à travers de multiples ouvrages, l’émergence d’une histoire « héroïque ». Celle-ci, note l’historienne, utilisera abondamment  - jusqu’au début des années 1950, le récit épique et auto-justificateur de la colonisation et de ses valeurs civilisatrices. Cette propagande contribuera à façonner un « esprit colonial » auprès de la population. Elle deviendra surtout l’outil d’un patriotisme national où se distingue la figure du roi génial et visionnaire qui a légué à la nation une colonie prospère.

Les années 1950 changent progressivement la donne, sous l’influence de certains travaux pionniers comme ceux – par exemple - de Jean Stengers. Le jeune professeur de l’Université libre de Bruxelles devra cependant faire face, de longues années encore, à une génération d’historiens ultra-léopoldistes et donc « très orientés » dans leur vision du passé colonial.

Après l’indépendance du Congo, en 1960, de nouvelles perspectives s’ouvrent grâce à d’éminents historiens, tels que Jean-Luc Vellut et Jan Vansina, un pionnier dans la collecte des traditions orales sur le terrain. Plusieurs écoles se développent peu à peu autour de pôles universitaires, académiques, institutionnels ou même personnels. Ainsi, par exemple, d’anciens coloniaux issus du journalisme (J. Kestergat ou J. Massoz) publient-ils leurs savoirs et expériences de terrain. On assiste aussi, avec Pierre Salmon, à la naissance de l’ethnohistoire, une discipline issue de l’anthropologie et qui postule une reconnaissance de l’histoire des sociétés sans écriture.

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