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Aux sources de l’Union européenne

09/05/2014

Un demi-siècle de construction européenne est abordé dans ce livre (1) qui remonte le fil des textes du traité de Lisbonne (2007) au traité de Rome (1957) en passant par Nice (2001), Amsterdam (1997), Maastricht (1992) et l’Acte unique européen (1986). Un voyage dans le temps qui commence donc dans la capitale portugaise, reprenant l’ensemble des articles du traité sur l’Union européenne (TUE) et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), pour s’achever dans la capitale italienne où l’aventure européenne a débuté il y a plus de cinquante ans. «Le but poursuivi dans ce guide est de faire comprendre aux étudiants de Science politique les origines d’une règle et son évolution à travers le temps», explique Quentin Michel, professeur à la Faculté de Droit et de Science politique de l’Université de Liège et directeur de l’Unité d’Etudes européennes. «Nous avons compilé l’ensemble des articles et sommes remontés jusqu’au premier traité qui a fondé l’Union en 1957, en prenant le traité de Lisbonne comme point de départ d’une recherche qui consistait à identifier l’origine d’un article dans les versions précédentes des traités et à mettre en exergue les éventuelles modifications qu’il a subies au fil du temps.»
 
Cover ROME LISBONNE okPas plus que Rome, l’Union européenne ne s’est pas faite en un jour. Et le processus entamé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est loin d’être achevé d’autant que le nombre de pays ayant rejoint l’Union a considérablement augmenté ces dernières années accroissant la complexité du fonctionnement des institutions européennes. «On ne fonctionne pas à 28 comme à 6», confirme Quentin Michel, professeur à la Faculté de Droit et de Science politique de l’Université de Liège et directeur de l’Unité d’Etudes européennes. «Cela a un impact évident. Ne fût-ce que pour de simples dispositions pratiques. Quand les représentants des six pays fondateurs (l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas) se réunissaient, vous pouviez effectuer un tour de table avec une prise de parole de deux minutes pour chaque intervenant et en moins d’un quart d’heure, c’était fini. Aujourd’hui, le même tour de table nécessite une heure. En outre, parallèlement à l’augmentation du nombre d’intervenants, les langues se sont multipliées. Autant dire que les choses ne se sont pas simplifiées au fil du temps. Au départ, l’Union européenne a été pensée pour fonctionner au maximum avec 15 Etats membres, personne n’imaginait alors qu’elle en compterait presque le double aujourd’hui.»

En 1957, les premières langues officielles et de travail de l’Union européenne étaient au nombre de quatre (l’allemand, le français, l’italien et le néerlandais) ; elles sont actuellement au nombre de 24. Si dans la pratique, l’anglais, le français et l’allemand sont principalement utilisés comme langues procédurales, il faut avouer que la maison Europe s’apparente quelque peu et quelques fois à une tour de Babel. Conscients de cette réalité – une complexité croissante et un risque de blocage – les Etats membres affichent une volonté commune de simplifier le fonctionnement de l’ensemble des institutions européennes. Si l’on excepte le traité Euratom, l’Europe d’aujourd’hui est fondée sur le traité de Lisbonne qui a modifié le traité sur l’Union européenne (Maastricht, 1992) et le traité instituant la Communauté Européenne (Rome, 1957). Le premier a gardé son nom (TUE en abrégé) ; le second est devenu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Sans surprise, le second se taille la part du gâteau juridique avec pas moins de 358 articles pour 55 au premier. Au total le traité de Lisbonne comprend donc un peu plus de 400 articles contre 248 dans le traité de Rome. Le nombre d’articles n’a pas seulement augmenté mais a également évolué dans la lettre et dans l’esprit.  

De l’Europe économique à l’Europe politique

L’analyse article par article des traités européens et de manière chronologique inversée éclaire non seulement l’évolution des textes mais également le contexte dans lequel ils ont été pensés et rédigés. Au-delà de l’aspect purement juridique et pratique, l’étude attentive des modifications successives permet d’appréhender l’évolution de la société européenne tout au long de ces dernières décennies. Economique à l’origine, il apparaît que l’Europe est devenue depuis le traité de Maastricht (1992) de plus en plus politique. «Le traité devient, en effet, de plus en plus politique», confirme Quentin Michel. «On se rapproche avec Lisbonne, notamment, de plus en plus d’un traité d’ordre constitutionnel.» Une Europe politique qui échappe au citoyen européen qui n’y comprend pas grand-chose et qui ne s’y intéresse guère si ce n’est pour se plaindre, souvent à l’instar de son gouvernement et de ses politiques nationaux. Que les citoyens européens ne se passionnent pas pour leurs institutions semble une évidence. Qui sait, par exemple, que la journée de l’Europe, qui célèbre la déclaration de Robert Schuman prononcée en 1950 et considérée comme le texte fondateur de la construction européenne, est fêtée le 9 mai ou que l’hymne officiel européen est l’Ode à la joie de Ludwig van Beethoven ? En revanche, que les politiques de nombreux Etats, dont certains sont parfois de fin connaisseurs et éminents spécialistes des institutions européennes, décrient ces dernières à des fins électoralistes et prononcent quelques contrevérités horripile quelque peu Quentin Michel.

«Contrairement à ce que l’on entend encore souvent, ce n’est pas la Commission qui détient le pouvoir au niveau européen mais bien le Conseil. Or le Conseil rassemble les chefs d’Etats et de gouvernement des Etats membres. En d’autres termes, ce sont les Etats qui décident du choix d’une politique au niveau européen. Politique mise en œuvre par la Commission sous l’œil du Parlement et du Conseil. Les institutions européennes sont, à l’exception du Parlement dans les mains des Etats, c’est pourquoi il est faux et malhonnête de faire porter à celles-ci les responsabilités des orientations politiques de l’Union.» Des orientations politiques qui sont encore souvent empreintes de choix nationaux. «C’est l’une des raisons, par exemple, pour laquelle nous avons 28 commissaires européens, soit un commissaire par Etat membre. La Commission n’a nul besoin d’autant de commissaires mais les Etats membres pensent que le fait de disposer d’un représentant au sein de la Commission leur permettra de jouer un rôle. Dans la réalité, ce rôle est assez limité. Si un commissaire décide de jouer trop fortement la carte de l’Etat dont il ressort, il est clair qu’il va se mettre à dos les 27 autres commissaires et obtenir à l’arrivée un résultat contre-productif.»

Une base d’analyse

drapeaux-UECompilation des textes de dispositions européennes, l’ouvrage a pour objet de fournir aux étudiants ainsi qu’aux personnes intéressées par la construction européenne une base d’analyse de l’évolution des différents articles au fil des traités. D’un point de vue pratique, chaque article du traité de Lisbonne (2007) est comparé aux versions précédentes et les modifications éventuelles (ajout, suppression, remplacement, etc.) sont clairement indiquées. En outre, au début du livre figure un tableau qui permet de se retrouver plus facilement dans l’évolution d’un article ainsi que dans sa numérotation qui peut ne pas être la même selon les différentes versions des traités. Ce tableau sert également de table des matières. Véritable travail de bénédictin, cet ouvrage offre une approche originale de la construction de l’Union européenne dans laquelle s’inscrit en filigrane l’histoire de l’évolution économique, politique et sociale de l’Europe depuis Rome jusqu’à Lisbonne. Une histoire qui est loin d’être achevée et dont les prochains chapitres restent à écrire par les 28 Etats qui composent aujourd’hui l’Union européenne.

(1) Quentin Michel (sous la direction de), «De Lisbonne à Rome. Evolution article par article des traités institutionnels de l’Union européenne», European Studies Unit, Presses universitaires de Liège


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