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Ressources sous tension

 

Par Henri DupuisCOVER energies minerais

Bernadette Mérenne-Schoumaker signe un dossier de la Documentation française consacré aux ressources énergétiques et minérales sous tension. Une expression qui n’est pas due seulement au fait qu’elles sont non renouvelables –les seules prises en compte dans ce dossier- mais aussi au fait que les équilibres mondiaux sont en train d’être bousculés en la matière et parce que leur exploitation devra obéir à un autre modèle de développement que l’actuel. Un modèle qui tarde à se mettre en place.

Pour Bernadette Mérenne-Schoumaker, professeur émérite de géographie économique à l’Université de Liège, l’objectif de ce dossier (1) est «  de permettre de comprendre en quoi les matières premières énergétiques et minérales sont un enjeu important du XXIe siècle et, parallèlement, une clé de lecture du monde, de ses tensions et de ses défis ». Les matières premières, clé de lecture du monde ? Une évidence pour beaucoup aujourd’hui mais il est bon de se rappeler que cette clé avait perdu de son importance durant les trente glorieuses, époque d’abondance et de surconsommation. Jusqu’à ce que l’explosion de la demande et la montée des enjeux environnementaux ne viennent remettre cette insouciance en question. Une clé très actuelle donc que l’auteur se propose de détailler sous quatre aspects, lesquels vont structurer l’ouvrage : les tensions sur les marchés, la mondialisation, les nouveaux jeux géopolitiques et enfin les enjeux sociétaux et environnementaux. Précisons que l’ouvrage est divisé en deux parties : tout d’abord un dossier  général puis des exemples et précisions détaillés sur une double page, expliqués à l’aide d’une infographie très riche, claire et diversifiée, comme toujours dans cette remarquable collection.

Les tensions

Les tensions sur les marchés des matières premières non renouvelables –les seules abordées ici- sont dues à une explosion de la demande ces dernières années mais aussi aux mutations de cette demande. Côté énergie, l’auteur pointe surtout des mutations pour expliquer les tensions actuelles et futures : la poursuite de la croissance de la consommation de charbon –au coude à coude avec le pétrole, il est en passe de lui ravir la première place !- et l’essor des hydrocarbures non conventionnels. Par ceux-ci, il faut entendre les hydrocarbures dont l’exploitation ne peut se faire par un simple forage. C’est le cas bien sûr du gaz de schiste  mais aussi du pétrole extrait de schistes bitumeux ou en eau profonde. Et leur part ne cesse de croître : en 2035, il est prévu que 30% de la consommation mondiale de gaz seront assurés par des gaz non conventionnels ! Ce qui remet en cause les équilibres traditionnels : les USA, déjà premiers producteurs de gaz au détriment de la Russie seront sans doute aussi premier producteur de pétrole dès l’an prochain !

Charbon pétroleCôté minerais, l’auteur pointe surtout une diversification sans précédent. Pendant des siècles, seuls six métaux (or, argent, cuivre, étain, fer et plomb) ont réglé les relations géopolitiques et économiques mondiales. Le XXe siècle a porté ce nombre à une trentaine grâce aux progrès de la chimie industrielle. Aujourd’hui, s’ajoute une soixantaine de petits métaux dits « métaux rares » dont certains occupent des niches certes très réduites mais stratégiques par leurs usages dans l’aéronautique, les télécommunications, les armements, etc.

Quant à la mondialisation des marchés, elle peut être illustrée par l’exemple du diamant, pierre précieuse la plus vendue au monde. Au passage, rappelons que pour obtenir un diamant d’un carat (0,2 gramme), il faut tailler un diamant brut de 3 carats, lequel a nécessité l’extraction de 20 à 250 tonnes de minerais selon les mines ! Certes, la mondialisation de son commerce est acquise depuis des décennies, mais le diamant est devenu l’exemple d’une nouvelle mondialisation, orientée davantage vers les pays producteurs. Les grands centre de décision et de négoce ont dû partager le pouvoir avec des villes asiatiques ou arabes mais aussi, depuis peu, avec Gaborone, capitale du Botswana, un des gros producteurs. De Beers, le plus gros fournisseur, y a en effet transféré toutes ses activités londoniennes de tri et négoce !

Géopolitique et environnement

On le sait : les matières premières sont aussi des « matières politiques ». Entendons par là que leurs détenteurs s’en servent à des fins non seulement économiques mais aussi politiques : le rôle joué par le gaz russe dans la crise ukrainienne n’en est qu’un exemple ! Mais comme le fait remarquer Bernadette Mérenne-Schoumaker, « le caractère intrinsèquement conflictuel des ressources ne fait pas l’unanimité des chercheurs. Néanmoins, il est indéniable que la présence de ressources naturelles augmente la probabilité de déclenchement des conflits ainsi que leur durée et leur intensité, et élargit leur portée géographique. » Cela vaut bien sûr pour les exploitations actuelles mais aussi, hélas, pour les futures comme les ressources de l’Arctique et celle des océans, espaces de plus en plus prospectés.

Ces risques de conflit nous amènent directement aux enjeux sociétaux et environnementaux. Car, en ce qui concerne l’énergie et les minerais, les conflits n’éclatent pas seulement pour des questions d’appropriation, de fournitures ou de prix : ils risquent bien de refléter deux visions d’avenir. Pour Bernadette Mérenne-Schoumaker, « les récents défis relatifs aux matières premières exacerbent les tensions entre biens publics et biens privés, entre bien être collectif et intérêts particuliers ». En clair, l’avenir verra s’opposer deux conceptions : exploitation et consommation à tout va ou nouveau modèle de développement. A chacun de choisir. Mais pour cela, mieux vaut être informé et c’est le rôle d’un ouvrage comme celui-ci.

Jwaneng

(1)Energie et minerais. Des ressources sous tension. Bernadette Mérenne-Schoumaker, La documentation française, document 8098, mars-avril 2014.


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