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Préparons-nous à la hausse du niveau des mers
08/04/2014

Il y a une dizaine d’années, alors que les rapports du GIEC se montraient encore un peu hésitants, certains climatologues prévenaient déjà : il faut se préparer aux conséquences inéluctables du réchauffement climatique. Aujourd’hui, le discours des scientifiques se précise (1) : au cours de ce siècle, le niveau des océans va grimper de plusieurs dizaines de centimètres selon les différents scénarios envisagés. Si on ne fait rien, conclut une étude parue dans le magazine PNAS et à laquelle a participé Xavier Fettweis, du Laboratoire de climatologie et topo-climatologie de l’Université de Liège, des dizaines de millions de personnes seront inondées chaque année sur les zones côtières. Le coût pour la société sera exorbitant. Il est temps de penser à construire des digues.

Selon la plupart des climatologues, la question aujourd’hui n’est plus de savoir si les eaux vont monter, mais de savoir de combien de centimètres. Entre 25 et 123 cm, selon les dernières estimations du GIEC, reprises dans cette étude, parue en février 2014 dans les PNAS (2). « Cela coûtera moins cher de se préparer aux inondations que d’attendre qu’elles se produisent et de réparer les dégâts, estime Xavier Fettweis, chercheur qualifié FNRS au Laboratoire de climatologie et topo-climatologie de l’Université de Liège, coauteur de l’étude. Si nous ne réagissons pas, d’ici 2100, entre 0,2 et 4,6 % de la population mondiale seront inondés chaque année. Ces catastrophes climatiques entraîneront une perte de 1 à 10 % de la richesse mondiale. Certes, construire des digues sur toutes les côtes menacées coûtera beaucoup d’argent : entre 12 et 70 milliards de dollars en 2100. Mais, malgré les incertitudes élevées sur la hausse exacte du niveau des mers en 2100, endiguer les côtes coutera beaucoup moins cher que de ne rien faire. »

L’étude rappelle les trois facteurs qui contribuent à élever le niveau des océans. Il y a d’abord ce que les spécialistes appellent « l’expansion thermique ». Le réchauffement de la planète augmente la température de l’eau et, comme dans une casserole, l’eau qui chauffe prend plus de place. Il y a ensuite la fonte des glaciers continentaux (Alpes, Himalaya, ...). Il y a enfin la fonte des calottes de l’Antarctique et du Groenland.

Pour terminer, il est utile de préciser que la hausse du niveau des mers ne sera pas uniforme sur terre à cause notamment des courants marins qui vont empêcher les océans de se réchauffer de la même façon partout et des changements dans les champs de la gravité terrestre (isostasie) suite à la fonte des glaces.

Hausse niveau mersLe rôle du Groenland

Concernant le Groenland, l’étude des PNAS a utilisé les chiffres fournis par Xavier Fettweis. Grâce à des images satellites et à des modèles climatiques, le chercheur liégeois étudie cette immense calotte glacière (de 2 millions km2) depuis une dizaine d’années. « Depuis la fin des années 90, le Groenland perd de la glace et contribue clairement à la montée observée (~ +20cm depuis 1900) du niveau des mers , à raison de 10 à 15 % de cette augmentation. »

La calotte glacière du Groenland est un héritage d’un passé assez lointain, plusieurs millions d’années, une époque où il faisait beaucoup plus froid qu’actuellement. Elle est gigantesque (3 x la superficie de la France) puisque la glace recouvre 80 % de l’île et culmine à plus de 3000 mètres d’altitude à certains endroits ! On peut résumer la dynamique annuelle de cette île glacée au rapport entre la masse de la  neige qui tombe sur la calotte et la glace qui part dans l’océan soit sous forme d’eau fondue soit sous forme d’icebergs détachés. Si ce rapport est supérieur à 1, le glacier gagne de la masse ; si le rapport est inférieur à 1, il en perd.

Depuis l’apparition du glacier, la calotte se maintient au terme d’un équilibre entre les «entrées » et les « sorties ». L’équilibre théorique annuel s’établit à peu près à 600 gigatonnes de neige tombée (représentant environ 2mm du niveau des mers) et 600 gigatonnes de glace perdue. Mais depuis une quinzaine d’années, la balance de masse est presque chaque année négative. Le Groenland maigrit à vue d’œil, à vue d’images satellitaires en tout cas.

« L’année 2012 a été particulièrement spectaculaire de ce point de vue, précise Xavier Fettweis. La fonte à la surface de la calotte (environ 700 gigatonnes) et le détachement d’icebergs (environ 500 gigatonnes) ont été très importants. Les chutes de neige (600 gigatonnes) n’ont absolument pas compensé ces pertes. » Pas besoin d’être mathématicien comme Xavier Fettweis pour en déduire que le Groenland a perdu quelque 600 gigatonnes de glace en 2012 (1200 – 600 = 600). Le profane aura par contre un peu plus de difficultés à traduire cela en montée des océans. Xavier Fettweis fait le calcul pour nous : « les océans ont dû monter de deux  millimètres suite à la fonte du Groenland rien que pour l'année 2012. »

Un coupable nommé NAO

Pourquoi ce basculement d’équilibre au tournant des années 1990 au Groenland ? Après tout, selon les relevés de températures, le réchauffement climatique remonte au début du XXe siècle et représente une hausse de température de 0.8°C depuis 1900 alors que la température à augmenté de 3°C depuis 30 ans au Groenland

 Anomalies températures

L’explication serait à chercher du côté d’un phénomène météorologique connu sous le nom de NAO (oscillation nord atlantique). Depuis une quinzaine d’années, l’anticyclone des Açores a tendance à remonter vers le nord  en été et expose de plus en plus le Groenland à des courants d’air tropicaux. Sous l’influence de ces vents du sud anormaux, les températures estivales moyennes ont grimpé principalement au Groenland et en Terre de Baffin.  « L’année 2012 a été particulièrement chaude, explique Xavier Fettweis. Cet été-là, on a observé de la fonte à la surface de toute la  calotte, même à son sommet,, à plus de 3000 mètres d’altitude. C’est exceptionnel. » (Lire à ce sujet : Groenland: la calotte fond plus vite que prévu en surface et Futur incertain pour le calotte du Groenland).

Mais la NAO est un phénomène encore assez mal connu et on ne connait pas encore pourquoi elle varie et si les changements de circulation (augmentation de la fréquence des vents du sud) observés en Atlantique Nord depuis fin des années 1990 sont durables ou sont juste dus à la variabilité naturelle du climat. En effet, contrairement à ce qui s’est passé au cours des 15 dernières années, l'anticyclone des Açores est redescendu à sa position normale pendant l’été 2013 . « On est revenu en 2013 à des températures comparables à celles observées entre 1960 et 1990. Et le Groenland n’a  pas perdu de masse l’année dernière. Mais nous sommes bien en peine de prévoir précisément ce qui va se passer en 2014 et dans les étés suivants. »
Evolution fonte calotte

A ces aléas météorologiques, à plus long terme, s’ajoutent des incertitudes concernant la dynamique complexe d’un glacier comme celui du Groenland. Cette dynamique n’est pas encore suffisamment intégrée dans les modèles.

La fonte accélérée de ces dernières années sur l’ensemble de la calotte a eu pour effet de découvrir des couches de glaces plus profondes, plus anciennes, et donc plus sales et plus sombres que la neige fraîche. Or ces surfaces moins blanches ont un albédo plus faible que la neige, ce qui devrait accélérer encore l’effet de fonte, pour une même température. « Cette diminution de l'albédo (résultant en partie de l'activité humaine qui salit les neiges du Groenland suite à suies noires émises lorsque l'on brûle du charbon par exemple) est sous-évaluée actuellement », estime Xavier Fettweis.

Autre inconnue : dans quelle mesure les eaux de fonte à la surface de la calotte s’échappent-elles dans l’océan ? Celle qui coule le plus au bord du glacier, dans la zone dite « d’ablation » (les flancs de l’île où la masse perdue par la fonte en été est supérieure à la masse gagnée par les chutes de neige en hiver), ruisselle et finit dans l’océan. Mais l’eau qui fond au centre de la calotte, à des centaines de kilomètres du rivage, percole, se glisse dans les interstices du manteau neigeux (qui est un gruyère) et finit par regeler l’hiver suivant. Cette eau-là ne contribue pas directement à la hausse du niveau des océans. « Jusqu’à ce que la glace soit complètement saturée, relève Xavier Fettweis. A partir de ce moment-là, toute l’eau fondue ira dans l’océan. »

La forme du glacier évolue

Pour ne rien simplifier, la zone d’ablation est en train de s’étendre. Avec l’accélération de la fonte observée ces dernières années, cette zone a tendance à remonter vers le sommet de la calotte (qui grosso modo a la forme d’une colline). Ce qui contribuera à augmenter les flux d’eau de fonte vers l’océan. Dans quelle mesure ? Cela reste à déterminer.

Autre phénomène à tenir à l’œil : la forme de la calotte. Au fil des ans, la calotte a tendance à s’amincir dans la zone d’ablation ; le glacier perd de l’épaisseur sur ses flancs. Or chaque fois qu’on perd 100 mètres d’altitude, la température se réchauffe d’un degré environ, ce qui devrait contribuer à accélérer le processus de fonte dans cette zone d’ablation.

Le rôle des icebergs va aussi évoluer. On a observé une importante augmentation de la décharge d’icebergs dans l’océan au cours des années 2000. « C’est probablement lié en partie aux eaux de fonte, qui provoquent un effet lubrifiant entre la glace et le sol rocheux de l’île », explique Xavier Fettweis. Mais ce n’est  pas le seul facteur, car depuis quelques années, la décharge d’icebergs a diminué alors que la fonte des eaux sur le glacier était toujours aussi importante. Comment cela va-t-il évoluer dans les années qui viennent ? Difficile à prédire exactement car la forme des fjords dans lesquels les glaciers se déchargent semble aussi jouer un rôle important.

Cependant, à plus long terme, il se pourrait que les icebergs contribuent de moins en moins à l’augmentation du niveau des océans car si la calotte continue à se rétracter comme elle le fait actuellement, la glace finira par déserter les bords de l’île et ne plus être en contact avec la mer comme c’est le cas actuellement.

Lorsque ces données seront précisées et intégrées dans les modèles climatiques, il est probable que les chercheurs proposeront d’autres estimations concernant l’évolution du Groenland et son impact sur l’élévation du niveau des océans. « Dans ce domaine de la climatologie, plus les connaissances progressent, plus les incertitudes augmentent, constate Xavier Fettweis. D’ici quelques années, il se pourrait bien que la fourchette d’élévation des océans proposée soit plus large que celle prévue actuellement. Mais personne ne pense sérieusement que la tendance pourrait s’inverser. La montée des eaux durant le 21e siècle est inéluctable même si son évolution exacte est encore mal connue. »

(1) IPCC 2013 : Climate Change 2013: The Physical Science Basis.
http://www.climatechange2013.org/
(2) Coastal flood damage and adaptation costs under 21st century sea-level rise,

 

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