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Le développement des organismes sous le contrôle de SIRT1

09/06/2011

La voie de signalisation Notch est l’un des grandes voies de signalisation intervenant dans le développement des organismes vivants. Sa régulation est primordiale pour que chaque être vivant voit le jour avec « ce qu’il faut où il faut ». En collaboration avec des chercheurs de la Goethe University de Francfort, Franck Dequiedt a mis au jour un nouveau mécanisme de contrôle du signal Notch.

Un organisme est, par définition, un ensemble d’éléments composant une structure fonctionnelle. En biologie, un organisme désigne l’ensemble des cellules, des tissus, des organes qui composent un être vivant. C’est l’interaction entre ces multiples éléments, mais également la réaction de ces éléments à des stimulations extérieures, qui permet aux organismes de vivre et de survivre. Bien que très complexe et encore loin d’être totalement connu et compris, le développement des organismes supérieurs reposerait sur quelques voies principales de signalisations qui le gouvernent. Celles-ci consistent en une série de réactions en cascade déclenchée par un stimulus et permettant la transmission d’un signal au sein d’une cellule ou d’une cellule à l’autre. Parmi elles, on compte la voie de signalisation Notch.

« Ce sont ces voies, telles que Notch, Homeobox ou Wnt, qui font qu’un organisme va se développer pour former tel ou tel animal. Elles jouent beaucoup de rôles différents et sont impliquées dans l’organogenèse au cours de plusieurs stades du développement », précise Franck Dequiedt, chercheur qualifié FNRS à la Faculté de Gembloux Agro-Bio-Tech et au GIGA de l’ULg. Mais comment seules quelques voies de signalisation ont-elles pu donner naissance à la grande diversité des organismes que la Terre a pu voir défiler ? « Ces voies doivent être flexibles et dépendre du contexte pour pouvoir aboutir à une telle biodiversité », poursuit Franck Dequiedt. D’où l’intérêt de comprendre comment ces voies sont modulées et contrôlées.

L’ubiquitine, pas seul maître à bord

Depuis quelques années, la recherche sur la voie de signalisation Notch connaît un nouvel essor. Les scientifiques ont en effet découvert que celle-ci intervient dans la spécification des cellules souches mais aussi qu’une dérégulation de cette voie peut entraîner l’apparition de cancers. De manière très résumée, la voie Notch se déroule comme suit : Notch est un récepteur transmembranaire qui est activé par deux grandes familles de ligands. Ces ligands se lient au niveau de la partie extracellulaire du récepteur Notch ce qui provoque le clivage de la partie intracellulaire du récepteur. UbiquitineCette dernière, appelée NICD (Notch intracellular domain), migre alors au sein du cytoplasme de la cellule et pénètre dans le noyau. Là, le NICD va activer l’expression de gènes impliqués dans le développement des organismes.

Au cours de sa migration de la membrane au noyau de la cellule, la stabilité du NICD est contrôlée, c'est-à-dire que la cellule peut ou non le dégrader. « Cette protéine peut être marquée par une autre protéine, l’ubiquitine, qui indique à une machinerie spécialisée de dégradation, le protéasome de dégrader le NICD par protéolyse. Cela permet à la cellule de contrôler l’intensité et la durée du signal Notch », indique Franck Dequiedt.

En collaboration avec une équipe de l’Institut de régénération cardiovasculaire et du département de cardiologie de la Goethe University de Francfort, dirigée par Michael Potente, Franck Dequiedt a mis au jour une autre voie permettant à la cellule de contrôler les niveaux de NICD et donc la force et la durée du signal Notch. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Nature (1).

Quand SIRT1 s’en mêle

« Nous avons travaillé ensemble pour cette étude car elle concerne la « rencontre » de deux protéines importante : Notch et SIRT1 », explique le chercheur qualifié. « Au sein de notre laboratoire, nous travaillons sur les enzymes appelées "histones désacétylases" et SIRT1 fait partie de ces enzymes », précise Franck Dequiedt. Ainsi, SIRT1 enlève des groupements acétyles (CH3-CO-) qui sont greffés sur des protéines. Selon qu’elle est acétylée ou non, une protéine présente des propriétés différentes. « Pour la première fois, nous avons montré que le NICD était une protéine acétylée qui était désacétylée par SIRT1 », révèle Franck Dequiedt. Dès lors, lorsque les niveaux de SIRT1 sont modifiés, cela se répercute automatiquement sur les niveaux de NICD dans la cellule. « Plus NICD est acétylée, plus elle est stable et inversement », indique le scientifique. « On peut donc dire que SIRT1 contrôle la stabilité de NICD »

Autre observation faite par les chercheurs liégeois : il existe une compétition entre ubiquitination et acétylation. « Si l’on favorise l’acétylation du NICD en diminuant les niveaux de SIRT1, on défavorise son ubiquitination, ce qui entraîne une meilleure stabilité du NICD », explique Franck Dequiedt. Et à l’inverse : plus le niveau de SIRT1 augmente, plus NICD sera instable. Son action sur l’expression des gènes impliqués dans le développement de l’organisme sera donc réduite. En résumé donc, si les niveaux de SIRT1 sont élevés dans la cellule, cela entraîne une diminution de l’intensité et de la durée du signal Notch alors que si ces niveaux sont bas, ce signal sera plus long.

Notch et la formation de nouveaux vaisseaux

Afin d’apporter des preuves plus concrètes du lien entre SIRT1 et la voie de signalisation Notch, les chercheurs ont choisi de démontrer que ces mécanismes fonctionnent au sein du système vasculaire, un des grands systèmes contrôlés par la voie de signalisation Notch. « Nous avons travaillé sur ce qu’on appelle la "tip cell differenciation" »,filipodia et sera ainsi à l’origine d’un nouvel embranchement vasculaire qui va croître de manière directionnelle » précise Franck Dequiedt. L’émergence de nouveaux branchements vasculaires se fait à partir de troncs vasculaires existants. « Une cellule va bourgeonner, envoyer des , explique le chercheur. Au sein de ce nouveau petit vaisseau en croissance, toutes les cellules ne sont pas équivalentes. Il y a ce que l’on appelle la cellule de tête (« tip cell ») et les cellules suiveuses (« stalk cells »). « Une cellule dirige la croissance du vaisseau au sommet et les autres suivent. La cellule de tête bourgeonne et crée de nouveaux branchements alors que les cellules suiveuses forment le tronc du nouveau vaisseau », continue Franck Dequiedt. Mais quel rapport avec la voie de signalisation Notch ? La spécification cellule de tête/cellules suiveuses dépend précisément de cette voie de signalisation ! En effet, la cellule de tête fabrique la protéine DLL4 (Delta-like 4 protein) qui est un ligand du récepteur Notch. Une fois libérée par la cellule de tête, cette protéine va activer le récepteur Notch des autres cellules leur indiquant ainsi qu’elles doivent se comporter comme des cellules suiveuses. En conséquence, une diminution de la voie Notch, augmente le nombre de cellules se conduisant comme des tip cells, se qui augmente le nombre de branchements et aboutit à un réseau vasculaire plus dense.

Cap sur la rétine des souris et sur la queue des poissons zèbres

Franck Dequiedt et ses collaborateurs en Allemagne ont pu observer les effets d’une modulation du signal Notch via SIRT1 sur le branchement du système vasculaire, in vitro, mais également in vivo. « Lorsque l’on met des cellules endothéliales en culture sur un substrat, on peut voir si elles forment un réseau vasculaire plus ou moins branché en fonction de la force du signal Notch », indique Franck Dequiedt. « In vivo, on peut également observer cela au niveau du développement du système vasculaire de la rétine de souris après leur naissance »,  poursuit-il. Le patron formé par ce système vasculaire étant très bien conservé d’une souris à l’autre, il est aisé d’observer les différences causées par une perturbation de la voie de signalisation Notch.

zebre souris« Chez les souris sur lesquelles nous avions spécifiquement inactivé SIRT1 au niveau des cellules endothéliales, nous avons observé un réseau vasculaire de la rétine avec moins de branchement et de bourgeonnement, un système beaucoup plus simple », explique le scientifique. En effet, en inactivant SIRT1, les chercheurs ont favorisé l’acétylation de NICD et donc sa stabilité. Il en découle une intensité et durée du signal Notch importante et donc une diminution du nombre de cellule de tête prêtes à développer de nouveaux branchements vasculaires…CQFD !

Le même effet a été observé sur le développement du réseau vasculaire au niveau de la queue des poissons zèbres. « Les animaux que nous utilisons sont transparents au début de leur vie et constituent donc un modèle idéal pour observer des modifications de leur développement. Lorsqu’on inhibe SIRT1, on s’aperçoit que la croissance du réseau vasculaire de leur région caudale est réduite », indique Franck Dequiedt.  Ces expériences confirment donc l’action de la protéine SIRT1 sur la voie de signalisation Notch lors de l’angiogenèse. Qu’en est-il de l’effet de cette histone désacétylase dans le développement d’autres tissus sous l’influence du signal Notch ? « Nous avons déjà observé la même régulation au niveau du développement des cellules musculaires », répond Franck Dequiedt. Le mécanisme de contrôle de l’intensité et de la durée du signal Notch par SIRT1, décrit récemment dans la revue Nature, serait donc un mécanisme généralisable à l’ensemble des tissus dont le développement dépend de la voie de signalisation Notch. 

(1). Virginia Guarani, Gianluca Deflorian, Claudio A. Franco, Marcus Krüger, Li-Kun Phng, Katie Bentley, Louise Toussaint, Franck Dequiedt, Raul Mostoslavsky, Mirko H.H. Schmidt, Barbara Zimmermann, Ralf P. Brandes, Marina Mione, Christoph H. Westphal1, Thomas Braun, Andreas M. Zeiher, Holger Gerhardt, Stefanie Dimmeler, Michael Potente. Acetylation-dependent regulation of endothelial Notch signalling by the SIRT1 deacetylase. DOI: 10.1038/nature09917.


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