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L’ambition climatique de l’Europe est aussi socio-économique

Carte blanche publiée dans L’Echo - 19 mar. 2014 

Les objectifs climatiques et énergétiques de la Commission européenne sont trop faibles. Inquiets, plusieurs chefs d’entreprises et académiques demandent à notre Premier ministre de plaider, lors du Conseil européen, pour une politique climat-énergie bien plus ambitieuse.

Le typhon Haiyan aux Philippines, des scènes dramatiques au Royaume Uni suite à d’impressionnantes inondations ou encore d’historiques et mortelles chutes de neige à Tokyo. Les phénomènes climatiques extrêmes n’ont pas épargné notre planète ces derniers mois. Généralement, la prudence retient les scientifiques de les lier au seul réchauffement climatique.

Le dernier rapport du prestigieux MET Office britannique, lui, relève pourtant cette possible causalité. En octobre, le GIEC affirmait, avec 95% de certitude, que le réchauffement climatique était provoqué par l’Homme. Qu’attendons-nous pour réagir? Les conséquences économiques, humaines et écologiques de ces catastrophes ne sont-elles pas suffisamment importantes?

Nous, chefs d’entreprise et académiques, ne pouvons qu’être très préoccupés par les objectifs climatiques et énergétiques 2030 particulièrement faibles que la Commission européenne va mettre sur la table du Conseil européen ces 20 et 21 mars. Nous attendons du Premier Ministre Elio Di Rupo, qu’il défende une position bien plus ambitieuse que l’actuelle proposition de la Commission. Il en va non seulement du futur de notre climat mais aussi, et nous sommes bien placés pour le savoir, du positionnement compétitif de l’Europe quant à la création d’emplois que l’on sait non-délocalisables et sur des marchés d’avenir tels que le renouvelable.

Objectif: une réduction des émissions de 50%

Pour la plupart des scientifiques, l’Europe doit impérativement diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 95% en 2050(1). Elle y parviendra uniquement si, en guise d’étape intermédiaire, elle se fixe un objectif minimum de 50% d’émissions pour 2030. Or, en ce moment, la Commission ne propose qu’une réduction des émissions de 40% pour 2030. C’est insuffisant.

Si nous voulons atteindre nos objectifs, nous devrons également miser sur les stratégies énergétiques et, en premier lieu, sur l’efficacité énergétique dont tout le monde souligne le potentiel, principalement dans les bâtiments et les transports. Bon nombre d’entreprises, même énergivores, ont déjà montré la voie à suivre en réduisant leurs émissions de plus de 50%. Signe que cela est bel et bien possible.

Les énergies renouvelables, avec une politique de subsides intelligente et un prix de la tonne CO2 réaliste, représentent une partie essentielle de la solution. Freiner leur croissance au risque de casser des filières qui ont mis du temps à se mettre en place serait une erreur considérable. L’Europe se dit favorable à une part renouvelable de 27% minimum en 2030. Mais cet objectif devrait être atteint sans trop d’efforts! Dès lors, pourquoi ne pas faire preuve d’ambition en plaçant la barre à 45% d’énergies renouvelables? Cela nous semblerait bien plus pertinent.

Sur le plan socio-économique, certains prétendent qu’en adoptant une politique climat-énergie ambitieuse, l’Europe, qui serait seule à se fixer des objectifs dignes de ce nom (cela reste à prouver), se tirerait une balle dans le pied par rapport aux autres puissances économiques. Et qu’elle déforcerait davantage son industrie, par la hausse du coût de l’énergie alors engendrée.

Entre 300000 et 1250000 emplois

Bien sûr, la transition énergétique ne se fera pas sans investissements. Ceux-ci seront nécessaires pour permettre à nos économies de bénéficier de l’indépendance d’approvisionnement et de faibles coûts d’exploitation des énergies renouvelables.

N’oublions pas non plus que la compétitivité de l’économie européenne n’est, le plus souvent, que peu déterminée par les prix de l’énergie: ces derniers ne représentent, en moyenne, qu’1,6% des revenus de 92% des industries.

Par ailleurs, pour les secteurs plus énergivores (dont certains en Belgique), des dispositions européennes existent. Celles-ci ont, de facto, fortement réduit les fameuses “fuites de carbone”, désignant les entreprises qui quitteraient l’Europe à cause des normes de CO2.

 

(1) Pour la plupart des scientifiques, l’Europe doit impérativement diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 95% en 2050.

 

Ambition climat europe
En revanche, selon l’étude d’impact de la Commission européenne, le message est clair et porteur d’espoir: une politique ambitieuse en matière d’énergies renouvelables assurerait une plus grande autonomie énergétique de l’Union. Même si les estimations diffèrent en fonction des hypothèses considérées, elle créerait également entre 300 000 et 1 250 000 emplois.

Nous voulons aussi nous inscrire en faux sur le fait que l’Europe est la seule à prendre des mesures énergétiques: en termes d’énergies renouvelables, par exemple, plus de 130 pays se sont déjà fixé des objectifs chiffrés. Jadis leader énergétique, l’Europe a vu son statut se fragiliser. L’Inde et la Chine, notamment, ont adopté des normes d’efficacité énergétique plus élevées que l’Europe lors de récents investissements dans l’industrie du ciment.

Par ailleurs, faut-il rappeler qu’en tant que citoyens du monde et parents, il en va de notre responsabilité morale et éthique vis-à-vis des citoyens fragilisés d’aujourd’hui et des générations futures de prendre la mesure des défis que le changement climatique pose à l’Humanité et de tout faire pour les relever?

Le Conseil européen, qui se réunit ces jeudi et vendredi à Bruxelles en présence d’Elio Di Rupo, doit poser un geste fort. L’urgence climatique impose des objectifs 2030 ambitieux et calculés pour être contraignants. Sans quoi, nous laisserons filer des opportunités de création d’emplois et de nouvelles sources de compétitivité porteuses d’innovation et d’efficacité pour l’ensemble de la société.

Nous, chefs d’entreprise et académiques, ne pouvons qu’être très préoccupés par les objectifs climatiques et énergétiques 2030 particulièrement faibles que la Commission européenne va mettre sur la table du Conseil européen ces 20 et 21 mars.


Grégor Chapelle (Actiris)
Francois de Borchgraeve (Kois Invest)
Etienne de Callataÿ (Chief Economist Banque DeGroof)
Philippe de Woot (Professeur Emerite Louvain Business School)
Eric Domb (Pairi Daiza)
Marc du Bois (Spadel)
Isabelle Ferreras (Professeur UCL)
Jean-François Gosse (Innovity)
Olivier Lefebvre (Past NYSE Euronext Director)
Laurent Minguet (EVS)
Pierre Mottet (IBA)
Philippe Maystadt (président honoraire de la BEI et président de microStart)
Pierre Ozer (Chercheur ULG)
Frédéric Rouvez (Exki)
Jean-Noel Tilman (Tilman)
Augustin Wigny (Cameleon)




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