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Maladies mentales : sur les traces d'un lointain passé
14/02/2014

C'est aussi à ces temps chaotiques et sanglants que se référait Albert Demaret quand il parlait des psychopathes en ces termes : « En temps de paix, on les enferme ; en temps de guerre, on compte sur eux et on les couvre de décorations... » En effet, lorsqu'on est débarqué en 1944 sur les plages de Normandie ou appelé à investir le bastion de Ben Laden, sans doute vaut-il mieux souffrir de traits psychopathiques agrémentés d'une dose de paranoïa plutôt qu'être animé par un sentiment de bienveillance.

Selon Jérôme Englebert, un fonctionnement légèrement psychopathique est également un atout, d'un point de vue strictement individuel, dans le milieu des affaires, voire dans le milieu professionnel en général. À ses yeux, certains rouages moralement discutables de notre société favorisent des comportements où l'on considère les subordonnés comme des objets qui permettent à la société d'évoluer dans le sens prescrit par la quête du profit.

Mais refermons cette parenthèse pour nous centrer de nouveau sur le syndrome maniaco-dépressif. Quelle serait la dimension adaptative des épisodes de profonde dépression qui en composent l'une des deux facettes ? Plusieurs hypothèses ont été émises. « L'une d'elles est d'assimiler ce "creux de la vague" à une forme de protection. Ce qui pourrait éveiller l'idée des animaux qui hibernent, qui se terrent durant la mauvaise saison pour en ressortir plein de vitalité », commente Valérie Follet, psychologue clinicienne qui a réalisé avec Jérôme Englebert la réédition du livre de Demaret. Une autre hypothèse, dont le principal artisan est John Price, psychiatre britannique d'Oxford, suggère que la dépression serait adaptative parce qu'elle permet de se retirer du « combat social » quand, ayant évalué ses chances de le gagner, on estime ne pas être capable d'en sortir vainqueur - mieux vaut se tenir à l'écart lorsque le coût social est trop élevé.

L'aile brisée

À présent, observons un pluvier, échassier dont une des caractéristiques est de nicher au sol. Un prédateur ou un humain s'approche. Plutôt que de fuir à toute vapeur, l'oiseau feint d'avoir l'aile brisée et au moment où le danger se précise, il décolle pour se poser quelques mètres plus loin. Le prédateur s'imagine être face à une proie facile, un oiseau incapable de voler correctement. Mais à chaque fois qu'il se rapproche, le pluvier fait mine d'être handicapé, puis s'envole un peu plus loin. Des études ont montré que, de la sorte, il lui arrivait de conduire le prédateur à plusieurs kilomètres du point de départ de la traque.

PluvierMais à quoi rime ce comportement bien connu des éthologues et des ornithologues ? La conséquence qu'il induit est éclairante : en se glissant dans le sillage du pluvier, le prédateur s'éloigne progressivement du nid et de la progéniture qu'il abrite. « Dans une logique fonctionnelle, ce comportement est prodigieux, dit Jérôme Englebert. Quand l'oiseau s'envole et finit par disparaître, il a réussi à assurer sa survie et celle de sa descendance. » Et d'ajouter : « Certains auteurs y voient la preuve d'une intention chez l'animal. Je ne partage pas cet avis. Bien que ce comportement ait une fonction très évidente, la question de l'intention volontaire reste entière. »

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