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Maladies mentales : sur les traces d'un lointain passé
14/02/2014

Une dimension adaptative

L'optique d'Albert Demaret demeure d'une brûlante actualité. Longtemps considéré comme la « bible » de la psychiatrie américaine et, partant, mondiale, le Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Desorders (DSM) n'est-il pas aujourd'hui au centre de vives polémiques, d'autant que, selon ses détracteurs de plus en plus nombreux, il est truffé de contradictions et ancré dans la zone d'influence du lobby pharmaceutique ? « Certes, les cliniciens utilisent et se réfèrent à ce manuel de psychiatrie, mais si l'on pense que l'explication de la maladie mentale s'y trouve, qu'elle émane d'un savoir unique et absolu où le patient est réduit à quelques symptômes, on se trompe », déclare Jérôme Englebert.

En 1966, Albert Demaret, alors âgé de 33 ans, annonçait la couleur : il ambitionnait en effet de « fonder une réflexion sur une psychopathologie générale plus ou moins commune à l'homme et aux animaux. » Entendons-nous bien. Dans son esprit, il ne s'agissait pas d'en venir à traiter d'éventuelles (et toujours hypothétiques) affections psychiatriques chez l'animal. Il n'était pas question non plus de nier le poids de l'hérédité, de la biologie, du milieu social, de l'environnement ou des antécédents (le passé) dans les troubles mentaux rencontrés chez l'être humain. À travers une approche éthologique et de recontextualisation évolutionniste, l'objectif est au contraire de proposer une grille de lecture de ces pathologies qui soit originale et s'inscrive dans une relation de complémentarité avec les connaissances issues de la psychologie systémique, de la philosophie, de la recherche fondamentale, des sciences neurocognitives, etc.

Dans sa préface à la première édition de Éthologie et psychiatrie, Paul Sivadon résume l'idée fondatrice de l'œuvre d'Albert Demaret. « L'hypothèse consiste à attribuer à tel ou tel comportement humain inexplicable par les conditions actuelles d'existence, la signification d'une persistance ou d'une résurgence d'un comportement ayant eu, dans le lointain passé des hominiens et des espèces qui les ont précédés, une valeur d'adaptation aux conditions d'existence de l'époque, donc une valeur de survie. »

Autrement dit, des comportements jugés a priori totalement inadaptés de nos jours recèleraient une dimension adaptative enracinée dans notre hérédité ancestrale. Fruit de la « logique évolutionniste » et du « jeu » d'analogies bâties sur l'observation fine à laquelle Albert Demaret soumettait les comportements de l'animal et de l'homme, cette conclusion balise une voie innovante, révolutionnaire même, dans la conception et la prise en charge de la maladie psychiatrique. « En effet, dans cette approche, la symptomatologie, souvent grave, parfois catastrophique, est revisitée, commente Jérôme Englebert. Le clinicien est donc appelé à voir la personne en face de lui sous un jour nouveau. »

Altruisme alimentaire

Dans l'hypothèse défendue par Albert Demaret, la symptomatologie médicale serait secondaire par rapport à une autre composante venue de la nuit des temps, d'une époque où le comportement dysfonctionnel observé aujourd'hui avait une valeur adaptative indéniable. Dans son livre, il développe en particulier deux grands modèles : ceux de l'anorexie mentale et du trouble maniaco-dépressif.

Maladie mentale

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