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Ces signaux GPS qui font fausse route

10/02/2014

Deux chercheurs de l’Université de Liège ont mis au point un système de monitoring en temps réel permettant aux utilisateurs de GPS d’évaluer la niveau de précision de leurs mesures. En effet, le positionnement de haute précision est affecté par la variabilité ionosphérique à grande et petite échelle. Ces irrégularités ionosphériques ont été caractérisées et il est désormais possible de prévoir leur occurrence au niveau des régions de latitude moyenne. Les chercheurs liégeois ont même développé un système d’alertes par e-mail : il suffit de s’inscrire sur leur site et dès que les irrégularités atteignent un certain niveau, un mail est envoyé automatiquement à tous les utilisateurs (les géomètres par exemple) enregistrés sur le site. Ceux-ci sont ainsi prévenus du peu de fiabilité éventuelle de leurs mesures.

Quand on parle de GPS, on pense forcément à celui intégré dans notre voiture ou dans notre smartphone et qui est utilisé pour nous guider. Mais ce n’est pas la seule utilité. En effet, ce système de positionnement (ou plutôt devrait-on dire GNSS) s’avère être un outil précieux dans des domaines exigeant des mesures de distances très précises tels que la géophysique (volcanologie, séismologie, etc.), le génie civil ou même l’agriculture.

GPS haute précision

Petites erreurs… mais grandes conséquences

Dans le cadre des applications citées ci-dessus, les mouvements à détecter sont de l’ordre du centimètre, ce qui correspond au niveau de précision que les GPS sophistiqués permettent d’atteindre à l’heure actuelle, grâce à des réseaux d’observation et des traitements mathématiques bien adaptés. Or, il arrive que la précision des mesures est, dans certains cas, hors tolérance, avec des valeurs pouvant atteindre plus d’un mètre. Seulement voilà, les utilisateurs professionnels ne sont que rarement informés des imprécisions liées à leurs appareils. Les travaux de recherches de Gilles Wautelet et René Warnant, respectivement assistant et professeur à l’unité de géomatique-géodésie et GNSS de l’université de Liège, devraient leur permettre une compréhension plus accessible. Et devraient éviter à l’avenir certains désagréments, comme le souligne Gilles Wautelet, l’auteur principal de ces recherches : « Si on effectue du monitoring de ponts ou de structures civiles et qu’on a plusieurs décimètres dans la vue alors que nominalement on travaille au centimètre, effectivement il va y avoir un gros problème. De même, quand on est géomètre, qu’on est censé garantir une précision centimétrique et qu’on se retrouve finalement à 15-20 cm de la précision attendue, évidemment on ne répond plus au cahier des charges ». En plus du cadre théorique de l’étude, les deux chercheurs ont donc souhaité prendre en compte l’importance pratique du problème en se plaçant du point de vue des utilisateurs.

Quand les codes ne sont pas en phase

Réfraction ionosphériqueLes mesures effectuées sur le signal GPS sont affectées par différentes sources d’erreurs qui peuvent être classifiées suivant qu’elles sont liées aux satellites, aux récepteurs ou à la propagation du signal dans l’atmosphère terrestre. C’est sur cette dernière source d’erreur que se sont penchés les deux chercheurs.

Les signaux GPS sont en quelque sorte des messages transportés via des ondes électromagnétiques, comme les ondes radio. Dans le vide, un signal radio voyage à la vitesse de la lumière (300.000 km/s). Ce n’est pas le cas dans l’atmosphère terrestre qui perturbe la propagation du signal, lequel subit l’effet de la réfraction atmosphérique à deux niveaux : dans la troposphère (on parle de réfraction troposphérique) et dans l’ionosphère (on parle de réfraction ionosphérique). En d’autres mots, explique Gilles Wautelet,  « l’onde qui porte le signal parcourt la distance entre le satellite et la station à la surface terrestre. En traversant l’atmosphère terrestre, la vitesse de l’onde est un peu plus faible ou un peu plus rapide que la vitesse de la lumière (1). Au total, le retard (ou l'avance) subi par le signal GPS est de l'ordre de plusieurs dizaines de nanosecondes, qui, traduites en unités de longueur, équivalent à plusieurs mètres ». Ce retard ou cette avance dépend en fait de la nature du message (code ou phase) ainsi que de la couche atmosphérique traversée (troposphère ou ionosphère). Ainsi, la réfraction troposphérique se traduit par un retard, à la fois sur les codes et sur les phases, relativement petit et stable : 2,4 mètres. Par contre, la réfraction ionosphérique est de signe contraire pour les codes et les phases. Les codes sont alors ralentis et les phases accélérées. L’ordre de grandeur du délai, quant à lui, se traduit par une erreur sur la distance beaucoup plus variable : entre 1 et 50 mètres. C’est pourquoi la variabilité ionosphérique constitue la principale source d’erreur sur la précision des GPS.

Une des manières de s’affranchir de ces erreurs réside dans la modélisation. « Si les modèles troposphériques permettent de s’affranchir d’une bonne partie de la réfraction troposphérique, les modèles ionosphériques sont, eux, beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre et ne représentent qu’une partie de la réalité », commente Gilles Wautelet. Selon René Warnant, « l’étude de ces irrégularités dans l’ionosphère est plus qu’essentielle car ces dernières sont à l’origine d’importantes erreurs dans les mesures de positions effectuées à l’aide de GPS ».

L’ionosphère : terrain d’affrontement entre ondes et électrons

Pour comprendre comment un signal GPS peut interagir avec l’ionosphère, il faut se rappeler que la composition de celle-ci résulte de deux processus complexes. Premièrement, il existe un processus d’ionisation qui est initié par les radiations provenant de l’espace, principalement des rayons solaires ultraviolets et des rayons X. Les photons (particules lumineuses) compris dans ces rayonnements contiennent assez d’énergie pour arracher les électrons (charge négative) des atomes neutres et des gaz atmosphériques. Certains électrons libres sont alors capturés par des ions positifs selon un second processus appelé recombinaison. Il en résulte une compétition permanente entre les processus d’ionisation et de recombinaison, déterminant ainsi la densité électronique globale de l’ionosphère. La concentration en électrons  varie donc à tout moment et dépend de deux facteurs principaux : d’une part, la densité des atomes et molécules neutres (le processus de recombinaison est moins prononcé à des hautes altitudes car la pression y est très faible) et, d’autre part, la quantité de rayonnement solaire reçu de l’espace. Si le gradient de pression (qui est régi par une loi physique dépendant de l’altitude) demeure stable et régulier, c’est loin d’être le cas pour le rayonnement solaire. En effet, les variations diurnes (jour/nuit) et saisonnières (été/hiver) ainsi que l’activité solaire (éruptions solaires, cycles de 11 ans, etc.) vont modifier considérablement la concentration électronique, et par conséquent la propagation des ondes électromagnétiques, y compris les signaux GPS.

C’est sur ce postulat que Gilles Wautelet a fondé ses recherches : « l'objectif de mon travail est de modéliser les irrégularités de ce qu’on appelle le TEC ou Contenu Electronique Total, qui est l’intégrale de la concentration électronique le long du trajet satellite-station, ou plus précisément d'identifier les comportements récurrents ainsi que l'amplitude de ces irrégularités en fonction de la saison, l'heure locale ou encore l'activité solaire ». Par ailleurs, il convient de définir précisément ce qu’on considère par « irrégularité ». Il existe différents types d’irrégularités selon l’endroit où l’on se trouve sur Terre, comme le témoigne le jeune chercheur : « on est relativement chanceux en Europe, sous nos latitudes moyennes. Finalement, on n’observe que très peu d’irrégularités extrêmes comme c’est le cas à l’équateur magnétique ou aux pôles. Et la situation est différente selon qu’on se situe dans l’hémisphère nord ou sud, ou même au Japon et aux Etats-Unis alors que la latitude est là aussi moyenne. On a, en Europe, une variabilité moyenne qui se manifeste principalement sous la forme de Traveling Ionospheric Disturbances (TID’s), ces ondes itinérantes qui se propagent dans l’ionosphère ». Les orages géomagnétiques (tempêtes solaires) constituent un autre type d’irrégularités importantes. Ainsi, des éjections de masse coronale, dirigées vers la Terre, interagissent avec le champ géomagnétique, ce qui se traduit alors en variabilité dans l’ionosphère. Cette variabilité, bien que plus importante que celle due aux TID’s, est toutefois beaucoup moins fréquente.

champ magnétiqueS’il est possible de prédire les effets d’une tempête solaire plusieurs heures à l’avance grâce à des satellites imageurs capables de détecter les nuages ionisés, c’est en revanche beaucoup plus compliqué pour les TID’s : « il s’agit d’observations faites sur plusieurs années. On sait que les TID’s sont généralement observées en automne et en hiver, et ce aux alentours de midi. On peut donc prédire des TID’s uniquement sur une base climatologique, grâce à un certain caractère récurrent. Évidemment cela ne se vérifie pas tous les jours. Pour l’instant, il est possible de prévoir leur occurrence avec une certaine précision, mais pas encore leur source », explique Gilles Wautelet.

De son côté, René Warnant est très satisfait de l’étude menée à partir des stations GPS installées sur le territoire belge et dont les données brutes ont été traitées par un logiciel développé à l’ULg : « il s’agit de la première étude statistique complète des différents types d’irrégularités ionosphériques affectant le GPS pour les latitudes moyennes en Europe. L’étude couvre une période de 10 ans (ndlr : de 2002 à 2011), ce qui représente pratiquement la durée d’un cycle solaire (environ 11 ans). Ce point est important car le « comportement » des irrégularités ionosphériques dépend de l’activité solaire ».

Résultats de l’étude

Cette recherche a permis d’apporter plusieurs précisions (2). Tout d’abord, il ressort que les irrégularités sont observées dans maximum 9 % du temps, ce qui implique qu’elles ne sont pas fréquemment observées, même durant les périodes de forte activité solaire. Ensuite, les irrégularités ionosphériques ont été divisées en deux grandes catégories : celles qui sont liées aux événements spatiaux (Space Weather, notées SW) et celles qui surviennent "en temps normal" (notées « quiet-time »). Même si les irrégularités SW sont responsables des plus grandes fluctuations du TEC, leur contribution oscille entre 0 (minimum solaire) et 25 % (maximum solaire) du nombre total annuel. Par conséquent, l’étude des taux de présence et l'analyse d'amplitude ont été axés sur les irrégularités « en temps normal », qui constituent la majeure partie des irrégularités détectées à des latitudes moyennes. Ces dernières ont été classées en deux groupes, notés « Winter Daytime » (WD) et « Summer Nightime » (SN). Alors que les WD sont responsables de près de 75 % des irrégularités annuelles « en temps normal », les SN sont assez rares (moins de 10 %). L’analyse a également révélé que l’amplitude des irrégularités WD est proportionnelle au TEC. Par contre, l’amplitude des irrégularités SN semble être corrélée négativement avec le TEC,  les valeurs les plus élevées étant généralement observées pendant des périodes de faible activité solaire. Compte tenu de ces taux d’occurrence et des caractéristiques des amplitudes, il semblerait que les irrégularités WD correspondent à des TID’s diurnes, parfois désignées comme des TID’s « classiques ». L'origine physique des irrégularités SN est en revanche plus difficile à établir.

Et donc, pratiquement ?


A l'heure actuelle, il faut savoir que le modèle que l'on peut dériver de cette étude n'est implémenté ni dans les récepteurs, ni dans les logiciels de traitement GNSS. Cette opération deviendra réalisable seulement à partir du moment où les causes des irrégularités pourront être établies avec certitude.

En attendant, l’unité de géomatique de l’ULg propose gratuitement un monitoring en temps réel (disponible sur le site web : www.gnss-ulg.be) de l’état de l’ionosphère et qui mesure son impact sur le positionnement de haute précision au sein de tout le réseau de stations GPS en Belgique, soit une soixantaine de stations de référence. Ce monitoring s’accompagne d’une démarche pro-active : « On sait bien que les géomètres suivent des formations pour être toujours à jour. L’idée est donc de venir dans ces assemblées et de leur proposer cette aide à la planification, ou en tout cas à la vérification de leurs mesures par GPS. Ils peuvent donc vérifier l’intégrité de leurs mesures en observant les conditions ionosphériques au moment de leurs relevés sur le terrain », explique Gilles Wautelet. Et afin de ne louper aucune perturbation, un système d’alertes par e-mail a été prévu : « il suffit juste de s’inscrire sur notre site. Dès que les irrégularités atteignent un certain niveau, un mail est automatiquement envoyé à tous les utilisateurs enregistrés sur notre site. Il y a évidemment un petit temps de latence, le temps qu’on traite les données », précise le spécialiste en géodésie.

Impact erreur ionospherque


Il convient dès lors à l'utilisateur, en cas de dégradation des conditions ionosphériques visibles sur le site web, de prendre la décision adéquate : retourner lever sur le terrain si l'erreur ionosphérique est trop importante ou garder ses mesures, tout en connaissant de manière approchée la part d'imprécision imputée à la variabilité ionosphérique. « Il lui sera toutefois peu judicieux de "corriger" ses mesures sur base de notre diagnostic car ce dernier ne reflète que les conditions ionosphériques rencontrées par les stations que nous avons traitées, et non celle de l'utilisateur sur le terrain », spécifie Gilles Wautelet. En effet, les erreurs de position figurant sur le site ne peuvent pas être simplement appliquées telles quelles à tout utilisateur sur le terrain ; chaque environnement de mesure est unique, avec sa propre configuration de satellites dans le ciel de l'utilisateur et ses propres erreurs dues à l'environnement proche. Le chercheur de l’ULg compare ce problème à un cas plus parlant : « C'est un peu comme si on voulait connaître avec précision la vitesse du vent dans le fond d’une vallée en ne connaissant que la vitesse du vent dans une localité hors de celle-ci. Si on peut effectivement obtenir une bonne approximation de cette vitesse, on n’obtiendra en aucun cas la valeur exacte dans notre vallée : on sait que les effets locaux comme la topographie ou le couvert végétal influent significativement sur la vitesse du vent. Ce qui est observé à un point A n'est donc pas applicable directement à un point B, que ce soit pour la vitesse du vent ou pour l'ionosphère. »

Moins d’incertitudes, plus de précision

A défaut de ne pouvoir corriger directement les imprécisions sur chaque appareil, cette étude vise donc à avertir les utilisateurs de GPS de l’occurrence et de l’amplitude des irrégularités ionosphériques ainsi que de leur impact sur le positionnement de haute précision. Il est désormais possible de mesurer et de quantifier cette variabilité, mais il demeure difficile de la prévoir. Néanmoins, les recherches futures devraient s’orienter vers une meilleure connaissance des phénomènes physiques à l’origine de ces irrégularités, ce qui permettrait d’établir une meilleure prévision. Gilles Wautelet se veut confiant : « le prochain objectif est adapter la méthodologie actuelle, qoccurence irregularités ionosphériquesui est bien définie à 30 secondes d’intervalle, à des données à 1 seconde d’intervalle. On va donc avoir 30 fois plus de données, ce qui nous permettra d’obtenir un spectre d’irrégularités beaucoup plus précis, notamment au niveau des basses et hautes latitudes, où les variations ionosphériques sont très importantes et très rapide ».

Pour obtenir de telles données, les chercheurs peuvent compter sur l’arrivée d’autres GNSS sur le marché. « De nouveaux systèmes de positionnement sont en cours de développement comme, par exemple, le système européen Galileo (Lire Galiléo, un "GPS" européen) qui offrira un meilleur niveau de précision que le GPS. Galileo émet un signal de plus (ndlr : trois signaux au lieu de deux pour le GPS) et ces signaux sont, par ailleurs, plus précis. A l’heure actuelle, nous étudions l’influence des irrégularités ionosphériques sur tous ces nouveaux signaux », conclut René Warnant.

(1) Rappelons que dans un milieu donné, une particule ou un signal peut aller plus vite que la lumière dans ce milieu. Il ne s’agit donc pas d’un dépassement de la vitesse c de la lumière dans le vide !

(2) « Climatological study of ionospheric irregularities over the European mid-latitude sector with GPS ». Journal of Geodesy. DOI : 10.1007/s00190-013-0678-4


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_358355/fr/ces-signaux-gps-qui-font-fausse-route?part=2&printView=true - 19 avril 2024