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Du chant des oiseaux aux maladies neurodégénératives
27/01/2014

L'indispensable chant qui muscle le cerveau

Dernier point dans l'étude: on suspectait depuis pas mal de temps que le fait de chanter en lui-même induisait une croissance de ces régions du cerveau. Un peu comme l'athlète qui fait des exercices se muscle les jambes, ici, en exécutant de façon répétée un comportement, on se musclerait le cerveau via addition de nouveaux neurones et augmentation de la complexité de leurs connexions. En effet, la testostérone induit une croissance en volume de ces noyaux du chant -qui est associée à une neurogenèse extrêmement active.

La démonstration est faite: mettre de la testostérone dans l'aire préoptique augmente la fréquence des chants et la taille des noyaux HVC. Il y a pratiquement un doublement de leur volume chez les oiseaux qui ont de la testostérone dans l'aire préoptique, exactement comme ceux qui l'ont en systémique. Tout ceci prouve l'importance essentielle de l'activité de chant. Les chercheurs se sont rendus en effet compte que le nombre de chants produits était corrélé à la taille des noyaux, observée en fin d'expérience.

"Ce sont des arguments très forts démontrant quasiment que le fait de chanter lui-même augmente le volume de ces noyaux contrôlant le chant", conclut le neurobiologiste. Les deux équipes ont pu démontrer qu'il ne s'agissait pas d'un effet direct de la testostérone parce que la testostérone implantée dans l'aire préoptique est incapable d'atteindre directement les noyaux du chant: en effet, cette hormone n'était pas dosable dans la circulation générale. De plus, la testostérone étant implantée unilatéralement dans l'aire préoptique, les chercheurs n'ont observé aucun effet du côté de l'aire préoptique non implantée. Et, il n'y a pas non plus de connexion nerveuse directe entre l'aire préoptique et le noyau du chant, HVC.

On sait aussi que le fait de chanter induit la sécrétion d'un neurotransmetteur, le BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor - Facteur neurotrophique dérivé du cerveau), une neurotrophine qui contrôle la plasticité neuronale, la croissance neuronale, etc. Or, le BDNF augmente la taille des noyaux du chant. On peut donc faire l'hypothèse suivante: la testostérone induit la motivation à chanter, chanter induit la synthèse de BDNF et BDNF induit la croissance des noyaux.

Sonogramme

Et dans le cerveau de l'homme chanteur?

Comme expliqué plus haut, ces recherches sur le canari n'ont, dans un premier temps, pas été prises au sérieux. Casser un dogme ne va pas de soi et Fernando Nottebohm a dû faire beaucoup d'études pour convaincre les scientifiques qu'il y avait vraiment de nouveaux neurones. "Il a pu le démontrer, commente Jacques Balthazart, et du coup les chercheurs ont recommencé à investiguer le phénomène chez les mammifères. Ils se sont rendu compte que cela existait aussi chez eux, à un degré moindre, parce que le canari remplace grosso modo 1% de ses neurones/jour dans cette zone du cerveau, alors que l'homme n'en remplace que 1,75%/an dans une région limitée du cerveau, l’hippocampe! Ce n'est pas la même chose, mais c'est malgré tout présent. Et cela a une fonction importante dans les problèmes de consolidation de la mémoire, de réaction au stress... On pense maintenant qu'un certain nombre de traitements de la dépression agissent en modulant la neurogenèse et en ramenant de nouveaux neurones dans certaines zones du cerveau par exemple".

Les raisons pour étudier ces phénomènes ne manquent donc pas et le canari est devenu un modèle de recherche biomédicale parce que la neurogenèse y est extrêmement visible et plus facile à étudier. L'espoir étant de pouvoir transposer les mécanismes observés chez lui à l'homme. "A très long terme, observe Jacques Balthazart, l'idée c'est que si on arrivait à créer une neurogenèse ou à favoriser une neurogenèse plus importante dans le cerveau humain, on pourrait contrer, voire guérir les maladies neurodégénératives ou arriver à avoir une réparation, partielle au moins, de lésions traumatiques cérébrales".

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