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Le Siège de Dijon en 1513

10/01/2014

À l'occasion du 500e anniversaire du Siège de Dijon et du raccrochage, après restauration, de la tapisserie illustrative du Siège au Musée des Beaux-Arts de Dijon, Alain Marchandisse et Jonathan Dumont, historiens de l’Université de Liège, ont participé à l'écriture et à la direction de l'ouvrage 1513, l'année terrible-Le Siège de Dijon. Ambitieux, tant dans la diversité des supports visuels mobilisés que par la qualité des textes scientifiques produits, ce beau livre offre au lecteur un décryptage multi facette d'un évènement précurseur des conflits européens jusqu’à notre époque.

COVER 1513 DijonLe paysage patrimonial dijonnais se compose de plusieurs témoignages historiques concourant à faire persister le souvenir du Siège qu'a connu la ville de Dijon en 1513. Des noms de rue rappelant ceux d'illustres personnages aux vestiges archéologiques exhumés lors de travaux de réfection, de la vierge miraculeuse perçue comme la sauveuse de la ville jusqu'à la tapisserie relatant ce moment charnière de l'histoire de France, toutes ces traces du passé en témoignent même si elles ne restent souvent perceptibles qu'en toile de fond. La réouverture des anciennes salles du Musée des Beaux-Arts de Dijon renfermant certains de ces trésors historiques, couplée à l'anniversaire commémoratif du Siège, constituait donc un cadre propice pour replonger au cœur de cet évènement et faire redécouvrir aux habitants un fragment de leur héritage.

Le Siège de Dijon, s'il témoigne avant tout d'une vaste entreprise militaire, présente la particularité de pouvoir être décrit à travers diverses sources et étudié selon diverses approches notamment économique, politique, sociale, religieuse et artistique. Il peut à la fois faire l'objet d'une analyse classique de la part des historiens grâce aux nombreuses sources d'archives collectées mais il peut aussi être abordé à travers des matériaux plus éclectiques tels que des traces archéologiques, des peintures, des plans de l'ancienne ville, des sculptures etc. Cette perspective d'une approche pluridisciplinaire a incité Laurent Vissière de l'Université de Paris Sorbonne, à produire un ouvrage (1) racontant le Siège de Dijon en tant qu'histoire totale et s'adressant aussi bien à l'amateur intéressé qu'à l'érudit. Désireux de s'entourer de scientifiques renommés, il a fait appel à Alain Marchandisse, spécialiste de l'histoire étendue des pays bourguignons et à Jonathan Dumont, spécialiste des Guerres d'Italie, tous deux chercheurs de Transitions. Département de recherches sur le Moyen Âge tardif et la première Modernité à l'Université de Liège, afin d'apporter leur éclairage quant au sous-bassement historique de l'évènement. Leurs compétences respectives justifient leur implication dans ce projet dont l'ambition est de s'emparer d'un fait militaire non plus en le considérant comme un fait isolé, mais au prisme de différentes disciplines. «Le Siège de Dijon se prêtait vraiment bien à montrer ce que l'on peut faire d'un évènement militaire dès lors que l'on décide de ne pas s'enferrer dans une histoire de bataille classique et de montrer que l'on peut participer d'une approche beaucoup plus contemporaine en le replaçant dans un contexte plus large», confie Alain Marchandisse.

Au cœur des Guerres d'Italie

Au croisement entre les Guerres d'Italie et la succession de la Bourgogne après la mort de Charles le Téméraire en 1477, le Siège de Dijon traduit un moment de l'histoire où les grandes nations européennes – la France, la Suisse, le Saint-Empire romain germanique et l'Espagne – s'affrontent pour étendre leur territoire et imposer leur suprématie. Même si Dijon n'est pas la seule ville qui voit ses remparts attaqués, elle se démarque des autres villes médiévales assiégées car elle reflète un moment symptomatique d'une Europe des États en guerre. Autrement dit, ce moment qui s'avère être un des premiers conflits européens, est annonciateur des guerres européennes des 16e et au 17e siècle, avec la Guerre de Trente ans notamment.

À la fin du 15e siècle, le potentiel économique et artistique de l'Italie fait l'objet de nombreuses convoitises. Les Français ambitionnent de s'en emparer pour en faire une chasse gardée et édifier une "France-Italie". Le roi de France Charles VIII avait déjà tenté d'annexer certains États tels que le Royaume de Naples, mais sa conquête s'était très vite soldée par un échec et une retraite en France. En 1499, son successeur, Louis XII reprend les opérations. Il s'empare du Duché de Milan avec l'aide des Vénitiens, puis du Royaume de Naples quelques temps après. Cette mainmise française est très mal perçue par le Pape mais également par des puissances telles que l'Espagne, le Saint-Empire et l'Angleterre. Ceux-ci répondent à cette menace par une coalition contre la France dans une Sainte Ligue. Ils s'allient pour la déstabiliser non seulement sur le territoire italien mais aussi sur ses autres frontières. En 1512, les Français se voient forcés de fuir l'Italie et de se replier sur leurs terres. Le répit est de courte durée puisqu'un an plus tard, ils sont attaqués à la fois dans le Nord du royaume par les Anglais et les Impériaux et sur la face Est, en Bourgogne, par ces mêmes Impériaux aidés des Suisses et des Franc-comtois. Ces derniers, restés le sujets des héritiés de la maison de Bourgogne, les Habsbourg, s'impliquent dans la bataille car ils possèdent une partie de la Bourgogne, la Franche Comté, mais désirent en récupérer la seconde partie, le Duché de Bourgogne, tombé aux mains des Français à la mort de Charles le Téméraire.

Siège de dijon

«En tant que capitale régionale du duché de Bourgogne, Dijon est importante car c'est la ville qu'il faut symboliquement abattre si l'on veut faire tomber le pouvoir français», assure Alain Marchandisse. Et Jonathan Dumont de renchérir: « Le Siège de Dijon résulte de plusieurs choses: une volonté de créer une France-Italie dans le giron du pouvoir royal français, une volonté pour les Français qui se sont réinstallés dans le duché de Bourgogne, resté pendant longtemps bourguignon, de renforcer leur emprise encore instable et fragile. Le roi de France avait conscience que malgré le retour du pouvoir royal, certaines personnes parmi les élites étaient nostalgiques de l'époque des Ducs de Bourgogne et qu'un discours évoquant l'indépendance ou le retour de la Bourgogne aux héritiers du Duc pouvait faire pencher la balance de l'autre côté. Et enfin, une volonté pour les ennemis de profiter de la fragilité du royaume de France pour lui porter le coup de grâce qui le fera tomber.»

Ses talents de négociateur et de fin stratège ont permis au gouverneur de Dijon, Louis II de La Tremouille, de sauver la ville et plus généralement la France d'un sort funeste. En organisant la résistance de la cité, en soutenant psychologiquement et moralement les troupes et, surtout, en faisant prévaloir un sens de la diplomatie inégalable à l'égard de ses ennemis, il parvient à négocier le retrait des belligérants et plus particulièrement des troupes suisses à qui il promet des compensations financières faramineuses.

La tapisserie de 1514: un instantané du Siège

Procession Dijon

Les deux chercheurs de l'ULg ont essentiellement participé à l'écriture de l'ouvrage à travers trois chapitres qui brossent de façon contextuelle plus de trente ans d'histoire, depuis la mort de Charles Le Téméraire jusqu'à l'époque du Siège en le restituant dans sa dimension politique et diplomatique. Le reste du volume aborde cet évènement militaire sous d'autres aspects à partir d'une tapisserie réalisée un an après les faits par une confrérie de l'Église de Notre-Dame afin de commémorer et de commenter l'issue favorable du Siège. Exposée au Musée des Beaux-Arts de la ville de Dijon, cette œuvre livre une vue d'ensemble de la vie sociale, politique, économique, religieuse et même culturelle des Dijonnais au moment précis des faits.

Source informative majeure sur le plan géographique et historique ainsi que sur les mœurs et coutumes des protagonistes de la ville aux cent clochers, la tapisserie s'est imposée aux yeux des intervenants de l'ouvrage comme la trame narrative à partir de laquelle de nombreux points de vue pouvaient être développés. La pluralité des éléments figurés dans l'œuvre a conforté les spécialistes dans leur conviction que le Siège de Dijon – même s'il reste avant tout une affaire militaire – doit nécessairement être abordé comme une histoire totale en la replaçant dans un contexte global déterminé par une multitude de paramètres. «Nous avons voulu produire une histoire militaire contemporaine où on ne va pas simplement compter les boulets et les hommes mais où on étudie l'évènement par tous les biais possibles et inimaginables et selon toutes les conséquences possibles et inimaginables. Le Siège va influencer un nombre considérable de contextes. Autour de ce fait se crée notamment une tradition religieuse médiévale. La ville instaure un anniversaire pour la levée du Siège. La vierge qui a été associée à cette levée devient particulièrement estimée du peuple et célébrée à travers des processions dans les rues de Dijon», explique Alain Marchandisse.

À la conquête du grand public

Les auteurs dont l'implication dans l'ouvrage a nécessité un travail de longue haleine n'ont pas lésiné sur les moyens pour produire un livre d'art fournissant des images d'une grande qualité visuelle. Dès sa conception, ce bel objet a été pensé en termes d'interdisciplinarité mais surtout de façon à concilier savoirs scientifiques de haut niveau et accès au plus grand nombre. L'ouvrage, accordant la part belle à l'image et s'appuyant sur une bibliographie étendue, explore à travers des textes aérés et bien illustrés une dimension à la fois scientifique et pédagogique. Il met en perspective des documents de diverses natures notamment des reconstitutions informatiques, des images d'archives ou encore des photographies actuelles de la ville. 1513 L'année Terrible. Le Siège de Dijon est donc à mettre entre toutes les mains sans aucune retenue.

(1) Vissière, Laurent; Marchandisse, Alain; Dumont, Jonathan (Eds.) 1513. L’année terrible. Le siège de Dijon ; Faton, Dijon, 2013.


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