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Les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale

18/12/2013

L’ « Arche de Zoé » qui vole au secours de soi-disant orphelins tchadiens, « Opération villages roumains » et « Causes communes » qui apportent de l’aide aux peuples de l’Europe de l’Est qui sortent du communisme et bien d’autres initiatives gérées par de « simples citoyens » : un ouvrage de Gautier Pirotte et Julie Godin publié aux Presses universitaires de Liège analyse les projets de coopération internationale mis sur pied par des collectifs non reconnus, non agréés par les gouvernements. Un phénomène peu étudié et pourtant en plein développement : la seule Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique compte 620 de ces Initiatives Populaires de Solidarité Internationale (IPSI). Bien davantage que d’ONG….

Enfant AfriqueAutomne 2007. Un scandale éclate dans le monde de l’humanitaire. Eric Breteau, pompier à Argenteuil et ses compagnons de l’organisation « Arche de Zoé » sont arrêtés à Abéché par les autorités tchadiennes alors qu’ils s’apprêtent à s’envoler pour la France accompagnés de 103 enfants présentés comme orphelins, victimes forcément innocentes de la guerre au Darfour. Le projet de rapatriement  échoue et l’association se voit accusée « d’escroquerie », « d’enlèvement de mineurs », « d’exercice illicite de l'activité d'intermédiaire en adoption de mineurs ». On se souviendra de la saga judiciaire de N’Djamena à Paris avec la participation des présidents français et tchadien. Pour leur défense, on dira que l’Arche ne faisait que reproduire jusqu’à la caricature le schéma de l’humanitaire « sans frontières » initiés trente ans plus tôt au Biafra par les futurs fondateurs de Médecins Sans Frontières. Au centre de ce schéma : la « victime » à qui des praticiens et non des bureaucrates se doivent d’apporter un secours aussi rapide qu’efficace. La légitimité de l’intervention est surtout puisée dans l’innocence de la victime authentifiée par des récits médiatiques et qui agit comme un ressort puissant de l’intervention humanitaire auprès de l’opinion publique. Dans ce canevas d’intervention, le respect des droits de la victime l’emporte sur celui du cadre légal de l’Etat où l’on intervient. Ce « devoir d’ingérence »  dans les affaires d’autrui s’accompagne d’une défense jalouse de son autonomie vis-à-vis de son propre état. L’Arche de Zoé adopte ces règles du « sans frontiérisme » mais l’expédition humanitaire tourne au  fiasco puis au règlement de compte : l’« Arche des Zozos » animée par les « Pieds nickelés de l’aide humanitaire » serait l’expression d’un « néocolonialisme compassionnel ».

Ces vives réactions semblaient indiquer que quelque chose avait changé dans le domaine de la coopération internationale. Au-delà de la dénonciation des « maladresses » ou des duperies des responsables de l’Arche de Zoé, le scandale qui avait éclaté signifiait aussi que l’insertion de nouveaux opérateurs dans le domaine de la coopération internationale d’aujourd’hui, même en adoptant les archétypes habituels de l’aide internationale, n’allait pas de soi.

Ce fait divers, particulièrement interpellant en ce qu’il dévoilait des acteurs peu connus de l’action humanitaire en mettant le doigt sur des dérives particulièrement graves a démontré que le monde de la coopération internationale est en pleine mutation.

Mais il y avait eu un autre événement, moins interpellant mais très significatif lui aussi. Gautier Pirotte, professeur à l’Institut des Sciences Humaines et Sociales de l’Université de Liège, s’en explique : « Notre enquête nous entraîne dans les abords de la Gare du midi à Bruxelles où nous écoutons, fascinés, Paul Hermant retracer l’aventure de « l’Opération Villages Roumains ». Il nous relate la réunion nocturne du 22 décembre 1988 où il rassemble à son domicile un groupe d’amis photographes, journalistes ou encore architectes afin de réfléchir à des actions de sensibilisation de l’opinion publique contre le « plan de systématisation » du Conducator. Le récit se pose sur les activités de sensibilisation à l’échelon communal des édiles et de leurs administrés afin de développer une solidarité de proximité entre nos villes et villages belges (puis européens) et les villages roumains menacés de destruction. Puis vient la « Révolution » de décembre 1989 : la satisfaction du devoir accompli  et l’excitation d’une nouvelle ère mais aussi la pagaille, le débordement du mouvement par sa base populaire et le charroi automobile de 1990  traversant toute l’Europe et apportant vivres, vêtements, médicaments, jouets à un peuple roumain forcément meurtri par un régime aussi absurde que cruel. Mais il n’y eut pas qu’O.V.R. : il y eut aussi « Causes Communes » (et la mobilisation des communes dans le conflit en ex-Yougoslavie), les « Parcours Citoyens »  ou encore « Le Quotidien des électeurs ». Ce qui ne devait être que la réception d’un témoignage d’une épopée humanitaire s’est révélé au final le rappel d’un truisme pourtant oublié : la solidarité, c’est aussi l’affaire de gens ordinaires ».

COVER IPSIL’ouvrage Les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale (1) porte sur un objet à la fois très populaire mais mal ou peu connu : les Initiatives populaires de solidarité internationale (IPSI), soit des projets de coopération internationale mis sur pied par des collectifs non reconnus, non agréés par les gouvernements. Ces initiatives se distinguent des organisations non gouvernementales (ONG), partenaires « habituels » de l’Etat fédéral, comme actrices de l’aide bilatérale indirecte. 620 IPSI ont été identifiées en Belgique francophone. C’est bien plus que le nombre d’ONG agréées pour ce même espace. Et pourtant, ces IPSI reçoivent peu d’attention des médias (nationaux) et encore moins du monde scientifique, comme si cet objet manquait de la noblesse la plus élémentaire. Le questionnement qui s’inscrit en fil rouge de cet ouvrage est le suivant : dans le contexte actuel de la coopération au développement, marqué par une incitation permanente à l’efficacité et à la professionnalisation, que peuvent apporter les Initiatives populaires de solidarité internationale créées et gérées par de « simples citoyens », dont l’absence de reconnaissance institutionnelle a tôt fait de les cataloguer « d’amateurs » ? En d’autres termes: quel est l’apport de ces IPSI dans le champ de la coopération actuelle ? Cet ouvrage a donc pour objectif principal d’attirer l’attention du lecteur sur ces prétendus « petits » opérateurs de l’aide internationale, sur ces « simples citoyens » qui initient des activités de solidarité au bénéfice d’un « Autre lointain ».

Exprimer sa solidarité : du devoir postcolonial au droit post-moderne ?

L’engagement solidaire de « simples » citoyens pour un Autre lointain n’est pas un phénomène neuf.
Mais l’acuité de l’intérêt porté aux IPSI s’explique surtout par l’évolution des sociétés contemporaines où, d’une part, ce citoyen est coincé entre une multitude de flux de natures diverses le poussant à s’ouvrir au monde et à ses souffrances, à ses conflits, à ses menaces. D’autre part, un ensemble de facteurs semble indiquer l’avènement d’un individu hyper-individualiste, narcissique et replié dans sa sphère privée, vivant une vie remplie d’expériences où les sensations remplacent l’engagement et les sentiments à long terme. Un demi-siècle après la fin de l’ère coloniale et la mise en place des formes modernes de coopération, on peut s’interroger légitimement sur le renouvellement de l’engagement du citoyen pour cet Autre lointain.  

Julie Godin, aspirante FRS-FNRS au service de socio-anthropologie du développement de l’Université de Liège,  s’en explique : « Nous avons constaté que ce n’est pas vraiment la communication globalisée qui joue ici un grand rôle dans l’engagement des ipsieurs mais plutôt la « bonne vieille recette » de la mise en contact direct (en « face à face ») entre un potentiel bénéficiaire et un éventuel fournisseur d’aide, à l’occasion d’un séjour dans un pays du Sud notamment. Les motivations semblent avoir changé et le fardeau du péché colonial n’est peut-être plus tellement ressenti parmi les ipsieurs, notamment chez les plus jeunes d’entre eux assez faiblement sensibilisés aujourd’hui aux affres de la période coloniale. La solidarité internationale n’est peut-être plus avant tout un devoir mené au nom de principes moraux et de la réparation d’une faute mais bien un droit assuré à tout un chacun et revendiqué par ce « simple » citoyen en quête d’épanouissement personnel et de sensations nouvelles ».

Une première cartographie des IPSI en Belgique francophone

Les auteurs proposent un ouvrage dont la première partie fournit le cadre général d’analyse en proposant des pistes de réflexion sur les enjeux que soulève l’existence de ces initiatives dans le domaine de la coopération internationale actuelle et présente un état de la situation des IPSI en Belgique francophone  en réalisant une première cartographie de ces initiatives. La seconde partie approfondit les pistes de réflexion énoncées en donnant la parole aux acteurs de la coopération. Les quatre chapitres constituent les actes d’une journée d’étude organisée à l’Université de Liège le 20 avril 2012 où plus de 80 participants, issus principalement du monde de la coopération internationale belge, ont pu échanger leurs idées sur les IPSI à partir des résultats de l’enquête conduite par Julie Godin et d’expériences observées principalement en France et aux Pays-Bas. Tant dans  la table ronde que dans les trois ateliers, il s’agissait d’amener les acteurs à se questionner sur les enjeux de la reconnaissance institutionnelle et de l’injonction à la professionnalisation pour ces initiatives ainsi que sur les rapports entre les IPSI et les ONG agréées pour arriver à cerner l’importance de ces prétendus « petits opérateurs » de l’aide dans la coopération internationale contemporaine.   

Les IPSI ?

Par ce terme et son acronyme « IPSI », les auteurs désignent  les activités de solidarité internationale organisées et initiées par des hommes et des femmes en dehors de toute intention étatique et mercantile au sein de groupes plus ou moins formalisés et ne bénéficiant ni d’un agrément ni d’un co-financement des pouvoirs publics pour mener à bien leurs projets. Ces hommes et femmes présentent des profils socio-professionnels divers mais un égal intérêt pour l’action de solidarité conduite ici, dans notre pays (récolte de fonds, sensibilisation, etc.) et là-bas, « en partenariat » avec des bénéficiaires situés au-delà de nos frontières. Il s’agit d’initiatives de « simples citoyens », ce qui exclut de cette catégorie les pratiques solidaires conduites par des institutions ou des organisations (écoles, universités, syndicats, mutuelles, etc.).

Le chiffre avancé par les chercheurs est de 620 IPSI actives en régions wallonne et bruxelloise et il semble relativement fiable. C'est sur cette base qu’ils ont mené leur enquête et c'est à ces 620 organisations qu'ils ont adressé un questionnaire. In fine, ce sont les responsables de 171 IPSI (équitablement réparties sur les cinq provinces wallonnes et la Région de Bruxelles-Capitale) qui y ont participé, un taux de réponse satisfaisant de 28%.

Il est important de noter que 67% des répondants assument la fonction de président de l’association, les autres remplissant un rôle de secrétaire, de trésorier ou de vice-président. Par ailleurs, 74% des répondants sont à l’origine de l’IPSI qu’ils représentent dans le cadre de l’enquête, ce qui n’est pas sans suggérer l’idée d’une forte personnification de l’association dont l’image se confond avec ses créateurs.

Une injonction de professionnalisme face à une revendication humaine

Sur le plan international, alors que l’on s’approche du bilan des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), l’injonction à plus d’efficacité et de professionnalisme de la part des opérateurs de l’aide n’a jamais été aussi grande. La Belgique n’échappe pas à cette situation et connaît également ses propres transformations : actualisation de la loi sur la coopération internationale belge, réforme du cofinancement des acteurs non gouvernementaux ou encore débats autour des compétences usurpées remettant en cause l’existence même de certains acteurs de l’aide. L’insistance régulière sur l’importance de définir la légitimité des acteurs de la coopération sur une approche « qualité » peut donc se comprendre à partir d’une réflexion sur une aide obnubilée par sa gestion axée sur les résultats et ses indicateurs – souvent quantitatifs – « objectivement vérifiables », par l’obsession de la vérification, du contrôle et de la transparence aboutissant à une accumulation de paperasserie et à des relations d’aide déshumanisées par des projets standardisés. Les IPSI l’ont souligné à plusieurs reprises : la coopération est avant tout une affaire d’humains, conduite à petite échelle, des actions non pas faites de « résultats » mais de « réussites » et d’« échecs », des joies et des déceptions que vient adoucir un principe de convivialité.

Le droit du citoyen à la solidarité internationale

« Ce qui nous préoccupe ici », affirment les chercheurs,  « c’est cette insistance permanente sur l’efficacité de cette aide et l’injonction à plus de professionnalisme (des opérateurs, de leurs méthodes, de leurs outils, etc.) ». Il semble dès lors émerger, dans ce contexte, un débat sur la manière d’exprimer ce droit à la solidarité internationale. Ce « simple » citoyen doit-il, au nom de la course à l’efficacité, déléguer la mise en œuvre de ce droit à une organisation ayant pignon sur rue et étant reconnue par les pouvoirs publics comme organisation fiable et sérieuse ? Ou bien ce citoyen peut-il mettre en œuvre lui-même ce droit à la faveur de projets dont il Cooperationaurait le contrôle direct de la (co)définition à la (co-)exécution sur le terrain en partenariat avec les populations locales ? En clair, la mise en œuvre de cette solidarité internationale doit-elle être réservée à un groupe de plus en plus réduit d’opérateurs ? Selon nous, la limitation de l’expression concrète du droit à la solidarité internationale à quelques acteurs légitimés par les pouvoirs publics participerait d’un combat perdu d’avance et ce, en dépit de l’incantation bien connue à renforcer l’impact et l’efficacité de l’aide en limitant son saupoudrage, en promouvant l’action d’acteurs (hyper)qualifiés  dans le champ de la coopération.

En partant du principe que les Initiatives populaires de solidarité internationale n’ont jamais cessé d’exister, on considèrera que les Organisations Non Gouvernementales agréées, actrices légitimes de l’aide (publique) belge au développement sont issues de ce vivier associatif. Elles y ont fourbi leurs premières armes, connu leurs premières réussites et leurs premières déceptions. Elles ont tenté d’innover, de créer, de (ré) inventer des pratiques solidaires. Ne pas prendre en considération l’existence des IPSI sous prétexte d’amateurisme et de dérive sentimentale de l’aide serait se couper de ce vivier d’où émergeront de nouvelles pratiques solidaires, de nouveaux projets, de nouveaux acteurs.

Les IPSI, un rôle complémentaire aux ONG

La force d’innovation des IPSI réside dans leur capacité à prendre en charge la gestion d’un problème identifié par ou avec leurs partenaires au Sud mais non ou insuffisamment pris en considération par les projets et programmes des ONG agréées. Négliger les IPSI, c’est oblitérer à la fois cette capacité d’innovation et, en bout de compte, le rôle complémentaire que jouent ces structures dans le champ de la coopération internationale. Enfin, le contexte actuel offre un terreau important favorisant le renouvellement de l’engagement citoyen pour un Autre lointain. S’opposer aux IPSI, c’est s’attaquer à une lame de fond qui dépasse largement le simple cadre de la coopération Nord/Sud.

L’intérêt renouvelé pour les initiatives citoyennes ou populaires en faveur de la solidarité internationale provient ainsi du challenge que l’existence-même de ces IPSI pose au modèle de coopération non gouvernementale belge. L’idéologie libérale mais aussi les attaques incessantes dont l’appareil d’Etat fait régulièrement l’objet quant à son train de vie ainsi que la nécessité « évidente » de mener des politiques d’austérité budgétaire en cette période de crise interminable, semblent alimenter un terreau favorable au Do It Yourself si bon marché et à la responsabilisation/valorisation de l’initiative privée, que ce soit dans le domaine de la coopération internationale ou au-delà. Les IPSI nous forcent ainsi à réfléchir à la redéfinition du lien entre l’initiative privée en matière de solidarité internationale et l’Etat qui se cristallisait  jusque-là autour des mécanismes d’agrément.

Depuis l’avènement, dans le domaine de la coopération internationale belge, des ONG et, corollairement, la mise en place puis les réformes successives des mécanismes de co-financement et d’agrément, le modèle reposait sur une polarisation de l’aide non gouvernementale vers… l’Etat. L’importance des fonds publics dans les budgets des ONG belges (surtout francophones)  est témoin de l’importance vitale du mécanisme de co-financement pour la pointe de la pyramide associative de la solidarité internationale. La reconnaissance publique via l’obtention de l’agrément ONG agit comme le principal agent de légitimation de l’action non gouvernementale. L’agrément ne sert pas seulement à se faire identifier comme partenaire de l’Aide au Développement belge mais autorise également son titulaire à se considérer comme un acteur professionnel. Au-delà de cet agrément, point de salut. Tout se passe un peu comme si aujourd’hui, il était impossible d’être à la fois un acteur professionnel de l’aide non gouvernementale sans disposer de l’agrément qui n’est, en soi, que la reconnaissance par le gouvernement d’une possibilité de financement. Une liaison évidente est ainsi apparue entre le financement public, la reconnaissance institutionnelle, le contrôle public et le niveau de professionnalisme.Win-Win

En les prenant pour des objets d’étude en tant que telles, les IPSI soulèvent bien des questions et forcent à redéfinir les lignes de force de notre coopération non gouvernementale. L’Etat (du gouvernement fédéral aux entités fédérées) est-il le seul agent de légitimation des acteurs de la coopération non gouvernementale ? Peut-on être professionnel de l’aide sans reconnaissance ni contrôle des pouvoirs publics ? Les organisations de la société civile ne doivent-elles pas chercher à s’autonomiser en veillant à définir des critères propres de professionnalisme voire créer leurs propres mécanismes de contrôle ?

Low Cost, Slow Aid ?

Slow livingNon ou peu reconnues par les pouvoirs publics, les IPSI, mobilisent principalement des fonds privés et locaux. Les montants ne sont pas colossaux mais suffisent régulièrement à soutenir des projets de petite taille conduits sur une base bénévole. Cela suffit à considérer les ipsieurs comme des développeurs « aux pieds nus », des « petits » opérateurs sans grands moyens. L’allusion à une aide « low cost », « à bas prix », vient facilement à l’esprit avec toute la connotation péjorative que l’on retrouve dans les critiques fréquemment formulées à l’égard des opérateurs économiques de ce modèle de production. Cette liaison n’est pas si simpliste. Le low cost est d’abord un modèle qui part des besoins du consommateur, pour le redéfinir dans le sens d’une simplification à l’extrême. Chaque produit et service sont repensés pour être « mis à nu », « découpés », « dépouillés » de leurs fonctions annexes jusqu’à n’en retenir que la fonction essentielle, celle qui satisfait un besoin minimal. A cet égard, le low cost peut être appréhendé comme un retour à la fonctionnalité première des produits, fonctionnalité dont les producteurs se sont souvent éloignés au cours du temps en multipliant les options et accessoires. Contraintes par la faiblesse des moyens mobilisables, les IPSI ont tendance à réduire la voilure et à simplifier leur offre de développement au maximum. Bien entendu, il s’agit moins d’une « stratégie » mise sur pied par les IPSI pour venir « capter des parts de marché » de l’aide internationale aux ONG agréées que d’une nécessité devenant progressivement une vertu. Les IPSI proposeraient des projets de développement centrés sur l’essentiel : la satisfaction de besoins non couverts ni par l’Etat, ni par le système économique, ni par les agences d’aide instituées.

En pointant la nécessité de replacer l’humain et ses besoins dans les rapports de coopération, en privilégiant une approche « qualité » au détriment d’indicateurs abstraits et de l’impérieuse recherche d’efficacité dont seraient obsédés les opérateurs institués de l’aide internationale, les initiateurs populaires de solidarité internationale se rapprocheraient des mouvements « Slow Life » déclinés sous différentes formes (Slow Food, Slow Media, Slow Research, Slow Education, Slow Parenting, Slow Love, etc.) qui revendiquent le droit à…la lenteur dans un monde en pleine accélération afin de retrouver du sens aux actes, de la convivialité dans les relations sociales, de la qualité dans les biens et les services produits. Les mouvements « Slow » forment aujourd’hui une constellation hétéroclite d’acteurs et de pratiques sociales certes variés mais partageant un ensemble de traits communs : le respect du rythme propre à chaque moment, le refus de la tyrannie, de l’immédiat, du « tout, tout de suite », le droit de se poser ou encore celui de privilégier la qualité à la quantité et de dénoncer la société de consommation de masse.

Les IPSI, acteurs de modernité dans l’aide internationale ?

Bien entendu, il conviendrait de mener une étude plus approfondie auprès des ipsieurs pour confirmer cette hypothèse et il n’est pas certain que tous les ipsieurs se reconnaitront dans les différentes dimensions des mouvements « Slow ». Jusqu’à présent, les ipsieurs rencontrés ne se sont pas particulièrement distingués par le développement d’un discours critique à l’égard de la société de consommation de masse. Les auteurs se contenteront d’émettre cette hypothèse qu’une partie non négligeable des ipsieurs, tout en partageant les objectifs et discours dominants du secteur de la coopération (importance du partenariat, de l’appropriation, recherche du renforcement des capacités des partenaires…), revendiquent une façon de faire du développement  autrement, c’est-à-dire qui ne se limite pas à une approche managériale de l’aide et à ses outils, qui ne vise pas l’obtention immédiate de résultats mais plutôt l’établissement de liens sociaux durables allant au-delà des rapports contractuels entre fournisseurs d’aide et bénéficiaires. C’est sans doute là que résident la complémentarité et l’apport essentiel des IPSI à la coopération belge au développement et qui, bien loin des clichés les identifiant à des structures surannées animées par des acteurs hors cadres, leur offre toute leur modernité.

Gautier Pirotte & Julie Godin, Coopération au développement. Enquête sur les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale, Presses Universitaires de Liège, Collection Essai, 2013.


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