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La fièvre de l’or : une histoire millénaire

17/12/2013

Fin 2012, la production minière mondiale d’or était estimée à près de 174.000 tonnes, soit l’équivalent d’un cube de 20 mètres de côté ou encore de deux piscines olympiques. La mise au jour de ces richesses est entachée de guerres, fourberies et invasions meurtrières. Depuis toujours, l’or séduit et fascine, poussant les hommes aux pires atrocités par cupidité. Comment expliquer cet étonnant pouvoir d’attraction du métal jaune ? En parcourant plus de huit millénaires d’exploitations minières, Pierre J. Goossens tente de nous éclairer dans un ouvrage paru aux presses universitaires de Liège.

COVER PJ GossensFigure bien connue du secteur minier international, Pierre J. Goossens, chargé de cours honoraire à la faculté des sciences appliquées, était sûrement l’un des mieux placés pour écrire un livre(1) retraçant l’histoire de l’or. Fort d’une impressionnante carrière de plus de 45 ans, ce consultant en géologie minière s’est beaucoup intéressé à l’or et a toujours été passionné par le métal doré. Son travail de consultant le mène à étudier les mines, qu’elles soient d’or, de cuivre ou de zinc. Ses clients – des compagnies minières, la Banque Mondiale et diverses institutions financières européennes – s’adressent principalement à lui afin d’étudier le potentiel minier de certaines régions, d’apprécier la rentabilité économique d’un projet ou encore d’en évaluer le code minier. Sa fonction le conduit aux quatre coins du monde, du nord-est de la Sibérie au sud du Chili, en passant par l’Afrique et l’Asie. Basé sur ses lectures, son expérience, sa connaissance inégalable du terrain, sa participation à plusieurs projets de recherche mais aussi sur la découverte d’un gisement d’or au Mali avec son équipe, cet ouvrage est une véritable « mine d’or » en matière d’informations sur le métal précieux. Pierre J. Goossens y retrace l’histoire de l’or, de ses origines, il y a 8 millénaires, à aujourd’hui. Toutes les périodes et les civilisations sont passées au peigne fin. L’ouvrage nous livre également de précieux renseignements sur les différentes techniques d’extraction d’or mais aussi un aperçu quantitatif de sa production au fil des siècles.

L’inaltérable attrait de l’or

La cupidité de l’homme pour l’or remonte à la nuit des temps. Sa couleur jaune dorée, sa rareté, son caractère indestructible, son poids important mais aussi sa malléabilité (d’une pépite, on peut faire une très mince feuille de quelques microns d’épaisseur) lui procurent un pouvoir d’attraction sans pareil. Depuis toujours, l’or est source de convoitises et provoque guerres et invasions, en dépit de son caractère superflu dans la vie de l’homme. Aujourd’hui, le métal jaune éclatant est devenu une valeur refuge contre l’inflation. Objet de thésaurisation, il remplace les monnaies et leur instabilité face aux désastres financiers de ces dernières décennies.

Les premières traces historiques d’or proviennent de Bulgarie et datent d’il y a huit millénaires mais la fascination pour l’or est bien plus ancienne. « J’ai recherché des sources d’exploitation minière qui remontent à huit millénaires mais je ne suis pas arrivé aux plus anciennes, explique Pierre J. Goossens. Les premières traces que nous avons de l’or sont essentiellement des ornements trouvés dans des sépultures. L’or a donc déjà été martelé et travaillé par des orfèvres qui en connaissaient les caractéristiques. Mais déjà bien avant que l’or ne soit travaillé, il existait sans doute déjà un attrait de l’homme pour ce métal. Il suffisait qu’un chasseur se promène le long d’une rivière à la poursuite de gibiers pour que son attention soit attirée par des galets d’or brillant à la lumière du jour. Il y a fort à parier qu’il allait alors offrir cet or brillant comme le soleil aux chamanes et aux divinités.»

L’or des divinités devient plus tard celui des rois. Durant plusieurs millénaires, il reste l’attribut des grandes puissances et des classes dominantes, avant de se démocratiser sous le règne de Crésus, roi de Lydie (entre -561 et -547). Crésus crée la première monnaie à partir d’un alliage naturel d’or et d’argent (l’électrum), tels qu’on les trouvait dans la rivière Pactole, au nom éloquent. A cette époque, le commerce entre les différents pays est intense. Le royaume de Lydie se situe à la croisée de grands chemins et le troc y est pratique courante. Jusqu’alors, les bœufs sont la principale monnaie d’échange pour les commerçants et voyageurs. Inutile de dire que la mise en circulation de la monnaie en or représente un gain important en matière de transport et de malléabilité. Les premières pièces restent marquées d’une tête de bœuf, à l’effigie de l’ancienne unité d’échange. L’or quitte ainsi pour la première fois la possession des rois pour être utilisé par les commerçants.

Forty niner FRBien plus tard, l’or se démocratise une seconde fois. En 1848, de l’or est découvert en Californie. Près de 2,5 millions de personnes venues du monde entier se ruent alors vers les Etats-Unis dans le but d’y faire fortune. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, ce ne sont pas des états ou des entités qui cherchent l’or mais des hommes. Ces hommes pleins d’espoir – des Chinois, des Russes et des Européens – s’organisent en coopératives pour travailler. Ils récupèrent l’or pour eux-mêmes, et non pour d’autres. L’or appartient à celui qui le découvre.

Malgré ce pouvoir d’attraction historique, la quête de l’or n’a pas toujours eu le succès qu’elle remporte actuellement. Il y a seulement quelques décennies, l’exploitation des gisements était rarement rentable. « A l’époque où j’entame ma carrière en 1965, on ne cherche pas d’or, confirme Pierre J. Goossens. Le prix de l’or est fixé par les Etats à 35$ l’once (soit les 31,1 g). Les méthodes d’analyse pour l’or sont rares et chers. On estime qu’il existe suffisamment d’or dans le monde ainsi que de mines qui en produisent ».

Ce n’est qu’à partir du début des années 1970 qu’est inventée, aux Etats-Unis, une méthode facile et bon marché d’analyse de l’or, l’absorption atomique. Lorsque les Etats-Unis abandonnent l’étalon-or en 1971, le marché se libéralise et le prix de l’or augmente de manière significative. Il atteint une moyenne annuelle de 800$ l’once, en 1980. Dans le même temps, le prix des autres méthodes, nécessaires à l’analyse de l’or, diminue. La conjonction de ces différents facteurs pousse les compagnies, mais aussi les individus isolés, à se lancer à la quête du métal noble. De nombreuses mines abandonnées au Canada, en Australie ou aux Etats-Unis réouvrent leurs portes, dotées d’un nouveau potentiel. Au cours du XXe siècle et au début du XXIe siècle, la production minière d’or explose.

Une histoire pas toujours dorée

« Rechercher de l’or, c’est un peu comme rechercher une aiguille dans une botte de foin » compare Pierre J. Goossens. Dans la plupart des exploitations, quelques particules d’or sont dispersées dans une roche de plusieurs tonnes. L’investissement pour les mettre au jour est donc considérable et doit être contrebalancé par les bénéfices. Quelques grammes d’or suffisent cependant à rentabiliser une fouille. « Dans les exploitations à ciel ouvert, un gramme d’or dans une tonne de roche, cela reste rentable » indique l’expert. Quand l’or est sous-terrain, son coût est plus prohibitif. Un gisement doit contenir au moins 5 ou 6 grammes d’or par tonne de roche pour être exploité, ce qui reste très peu en comparaison avec certaines mines dans lesquelles sont enfouis près de 50 grammes d’or/tonne. Pour libérer l’or qu’elle renferme, la roche est généralement broyée, avant d’être astreinte à différentes méthodes chimiques. Le mercure a notamment la propriété d’isoler l’or incrusté dans la roche.

L’inconvénient de ces techniques chimiques est qu’elles laissent derrière elles des résidus contenant des produits nocifs. Ceux-ci sont canalisés dans un étang, souvent artificiel, protégé par des digues afin que les produits chimiques n’affectent pas les nappes phréatiques. En pratique, des sociétés peu sérieuses négligent parfois ces éléments. Les digues laissent alors s’échapper les produits toxiques qui se déversent dans les rivières. En Roumanie, il y a quelques années, la rupture des digues avait provoqué une véritable catastrophe environnementale. Les eaux souillées avaient atteint le Danube. Un accident similaire avait également affecté la Guyana.

Sur les milliers de mines en exploitation, seuls ces deux cas de pollution extrême sont connus de l’expert minier. Le problème peut selon lui être contrôlé si l’on y attache le financement nécessaire. Néanmoins, dans l’esprit des populations locales, la peur de la pollution est réelle, freinant parfois les fouilles, en dépit des avantages considérables d’une mine pour l’économie locale. Les revenus d’une mine d’or à travers la fiscalité rapportent beaucoup au pays. Malheureusement, la corruption des gouvernements est souvent telle que l’argent ne profite en général pas à la population.

Outre le danger environnemental, l’exploitation des mines constitue également une véritable menace sanitaire. L’orpaillage – ou la recherche d’or « non organisée », en dehors des grosses compagnies minières – existe depuis des milliers d’années, avant même que les chercheurs ne s’organisent en sociétés minières. Il est aujourd’hui toujours très répandu. Des millions de personnes y sont employées dans le monde entier. Cette pratique incontrôlable - dès qu’il y a de l’or, les gens sont hors contrôle - a toujours été dangereuse, non seulement parce que les parois des trous menacent régulièrement de s’effondrer mais aussi et surtout d’un point de vue sanitaire. « Quand une personne trouve une paillette d’or, elle ne peut pas garder ça pour elle. Elle appelle ses voisins, qui eux-mêmes ramènent une meute de personnes sur un très petit territoire. Ils s’organisent entre eux pour rechercher l’or en se répartissant les tâches. Certains creusent le trou, d’autres remontent les seaux, tandis que les femmes cassent les cailloux à l’aide de petits marteaux. Une fois l’or trouvé, d’autres personnes affluent telles des vautours, offrant de l’argent aux chercheurs. Les orpailleurs les plus malins rentrent alors chez eux pour aider leur famille. Mais la plupart des malheureux qui ont peiné dans la chaleur et la poussière achètent de l’alcool et « s’offrent » une femme. On a constaté que ces camps d’orpailleurs étaient un chancre d’infection de sida. A cela s’ajoutent toutes les maladies causées par la poussière et la malnutrition. Finalement, les personnes qui gagnent de l’argent ne sont pas les orpailleurs mais bien les acheteurs d’or ainsi que les vendeurs de bière et d’eau, usant de prix prohibitifs. »

En dépit de ces dangers évidents, l’orpaillage est à l’origine de nombreuses découvertes. En général, les orpailleurs travaillent le sol jusqu’à une profondeur moyenne de 30 mètres, après quoi ils souffrent de problèmes d’aération et abandonnent. Aidées d’un matériel plus pointu et d’un équipement adapté, les compagnies privées reprennent alors les recherches, descendant jusqu’à 100 voire 200 mètres de profondeur. Attirées par les zones où se pratique l’orpaillage, ces sociétés attendent que les orpailleurs achèvent la fouille en surface pour reprendre les recherches en profondeur, ce qui leur a déjà permis de tomber sur de véritables trésors.

Orpailleurs Kapoeta
L’or belge : une réalité ?

Plusieurs zones sont connues pour être riches en or : la cordillère andine, l’Afrique occidentale, les anciennes ceintures volcaniques d’Australie, d’Afrique du Sud, d’Inde ou du Canada. Le potentiel aurifère de la Belgique passe pour sa part plus inaperçu… Et pourtant ! Pierre J. Goossens est convaincu de l’importance des ressources d’or belges : « En Belgique, on devrait s’attacher à la présence d’or. L’or belge existe mais personne n’y a jamais prêté grande attention. Certains endroits en Belgique sont pleins de promesses mais on ne s’y intéresse pas car on a perdu la tradition. Lorsqu’on évoque les exploitations minières, la plupart des gens pensent d’abord aux mines de charbon, dans lesquelles les enfants de 12 ans passaient des heures, et dont les parents revenaient tout noirs avant de dépenser leur argent à boire. C’est Germinal de Zola. On a oublié que les mines sont devenues propres. Beaucoup de mines utilisent aujourd’hui des robots, et non plus des hommes. En Irlande, les mines sont invisibles dans le paysage. Seul transparaît, au milieu des prairies remplies de vaches, un monticule avec une porte bétonnée par laquelle passent les camions. En Belgique, tout comme en France, la population a peur des mines, qui ont la réputation de polluer ou de créer des problèmes. Mais, lorsqu’un état comme le nôtre a besoin de nouvelles industries, le gouvernement devrait penser à la richesse présente dans le sous-sol : non seulement l’or mais aussi le zinc, l’argent et le plomb, tous présents en quantités extrêmement importantes. »

En attendant la mise au jour de cet eldorado belge, la quête du métal précieux a encore de beaux jours devant elle. La quantité d’or découverte dans les mines identifiées est estimée à 100.000 tonnes. En outre, nombreux sont les territoires susceptibles de renfermer des trésors et nul ne peut encore évaluer le potentiel aurifère des fonds marins. Affaire à suivre donc !

(1) Pierre J. Goossens, "L'or à travers les âges. Une histoire pas toujours dorée", Presses Universitaires de Liège, Collection Essai, 2013.


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