Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège


La toxicité des venins contrée par les anticorps allergiques

10/12/2013

La production d’immunoglobulines de type E (IgE), anticorps responsables des réactions allergiques, est largement considérée comme néfaste et comme la conséquence d'un dérèglement du système immunitaire. Une étude menée par Thomas Marichal, en séjour postdoctoral dans le laboratoire du Pr. Steve Galli à l’Université de Stanford, démontre que ces anticorps peuvent avoir un effet protecteur contre les effets toxiques de venin d’abeille et de vipère.
Il est dès lors possible que l'immunité allergique à l'encontre de différents venins et toxines se soit maintenue au cours de l'évolution en tant que mécanisme majeur de défense de l'hôte. Il est imaginable que, pour une partie de la population, après une première exposition au venin, les IgE permettent d’obtenir un effet bénéfique contre ce même venin en cas d’exposition ultérieure à celui-ci. Les scientifiques aimeraient maintenant identifier quels sont les facteurs qui déterminent si les IgE vont plutôt induire une réaction délétère ou protectrice.

abeilleDans les pays développés, près d’une personne sur trois est confrontée à un problème d’allergie. Et cette proportion pourrait bien passer à une personne sur deux dans les années à venir selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L'OMS classe d’ailleurs les maladies allergiques au quatrième rang des affections chroniques mondiales. Les causes exactes de la hausse du nombre d’allergies ne sont pas identifiées mais différentes raisons sont avancées pour expliquer ce développement. D’une part, la vigilance accrue des professionnels de la santé engendre une augmentation du dépistage depuis quelques années. D’autres part, notre alimentation et notre environnement ont changé. Côté nourriture, il y a une corrélation entre l’accès facilité aux produits exotiques et l’augmentation des allergies alimentaires. De plus, les produits industriels peuvent contenir des allergènes « cachés » ou des produits plus allergisants suite au processus de fabrication. En ce qui concerne les bébés, une diversification alimentaire trop précoce peut être à l’origine du développement de certaines allergies.

Côté environnement, deux coupables principaux sont montrés du doigt pour expliquer le nombre croissant d’allergies : la pollution et l’aseptisation toujours plus poussée du milieu dans lequel nous vivons. 

Un dérèglement conservé au cours de l‘évolution

La réaction allergique est considérée comme un dérèglement du système immunitaire. Il s’agit d’une réaction exagérée et non-voulue de ce dernier face à des substances étrangères à l’organisme, mais pour la plupart inoffensives. « Chez certaines personnes, le contact avec un allergène particulier (trouvés par exemple dans les pollens, les déjections d'acariens, ou une cacahuète) déclenche une réponse dite de type 2 ou Th2, c’est à dire une réponse impliquant des cellules immunitaires capables d'orchestrer la réaction allergique », explique Thomas Marichal, chercheur de l’Université de Liège actuellement en séjour postdoctoral à l’Université de Stanford en Californie (USA) dans le cadre d’une bourse Marie Curie IOF de la Commission européenne. « Les lymphocytes Th2 produisent des cytokines qui favorisent notamment la synthèse d’immunoglobulines E, les anticorps qui sont à la base de la réaction allergique. Cette réponse Th2 peut être induite par beaucoup d’allergènes différents mais les anticorps qui sont produits sont spécifiques de l’allergène qui a déclenché cette réponse », précise Thomas Marichal. Lorsqu’elles sont produites, les immunoglobulines E (IgE) circulent dans le sang puis vont se fixer majoritairement à la surface des mastocytes.

Ces cellules du système immunitaire sont présentes à de nombreux endroits de l’organisme tels que la peau, le système digestif et les voies aériennes. « Si la personne allergique est à nouveau en contact avec le même allergène, les mastocytes  libèrent une série de médiateurs comme l’histamine et les prostaglandines qui sont responsables des symptômes allergiques », reprend le chercheur.  Si les mécanismes liés aux réactions allergiques sont bien étudiés et connus, une question fondamentale reste sans réponse : pourquoi ce type de réaction – et plus précisément la production d’IgE – a-t-il été conservé au cours de l’évolution ? « Cela reste un mystère que ces anticorps qui nous rendent malades et peuvent même provoquer la mort dans des cas extrêmes se soient maintenus au fil de l’évolution », souligne Thomas Marichal.

Protection IgE
Zoom sur les allergies aux venins

Thomas Marichal a réalisé sa thèse de doctorat au sein de l’équipe de Fabrice Bureau dans l’Unité de recherche de Physiologie cellulaire et moléculaire au GIGA. « Notre objectif était de comprendre quels sont les éléments initiateurs d’une réaction de type 2 », explique le jeune chercheur. « Et nous avons fait une découverte majeure puisque nous avons montré que des dommages tissulaires étaient à l'origine de la libération de signaux de danger ensuite détectés par le système immunitaire comme puissants déclencheurs de réponse de type 2 », révèle Thomas Marichal. C’est suite à cette découverte, et dans le cadre de son séjour à l’Université de Stanford que le scientifique s’est intéressé à l’effet de certains venins, notamment celui d’abeille et d’une espèce de vipère. « Nous savons que le venin peut induire une réponse toxique dommageable pour nos tissus et ils peuvent également provoquer une réaction allergique, comme c'est le cas chez les personnes allergiques aux abeilles par exemple », poursuit le chercheur. Comme pour tout autre allergène, une personne qui a développé des IgE contre le venin d’abeille suite à une première piqûre peut être sujette à une réaction allergique néfaste en cas d’une nouvelle piqûre. « Nous avons tenté de reproduire cela avec des animaux de laboratoire auxquels nous avons injecté des doses physiologiques de venin », indique Thomas Marichal. « Nous avons observé que les souris supportaient assez bien ce premier contact avec le venin mais que celui-ci causait effectivement un dommage tissulaire, une réponse Th2 ainsi que la production d’IgE chez la plupart d’entre elles », poursuit-il. Les scientifiques ont ensuite à nouveau exposé les souris ayant développé des IgE à une dose de venin d’abeille et s’attendaient à ce que les rongeurs développent une réaction allergique à celui-ci. Surprise : ces animaux étaient en meilleure santé que ceux qui n’avaient pas développé d’anticorps contre le venin. « Ils avaient une moindre baisse de température et survivaient mieux à de plus fortes doses de venin », précise Thomas Marichal. Dans ce cas-ci, les réponses Th2 semblent donc avoir eu un effet protecteur contre le venin d’abeille plutôt qu’un effet délétère comme dans le cas des allergies.

Premières preuves de l’hypothèse des toxines

Pour vérifier l’effet protecteur potentiel des IgE contre le venin d’abeille, les chercheurs ont répété l’expérience avec des souris transgéniques de trois types : incapables de synthétiser des IgE, déficientes en récepteurs aux IgE et déficientes en mastocytes.  « Dans les trois cas la protection contre le venin d’abeille avait disparu », révèle Thomas Marichal. « Cela démontre que les IgE, connues pour être délétères et considérées comme étant le produit d’un dérèglement du système immunitaire, peuvent avoir un effet bénéfique dans la réponse de l’hôte à un allergène bien connu chez l'homme ». Ces tests ont également été effectués avec du venin d’une espèce de vipère et les mêmes résultats, le même effet protecteur, ont été obtenus.

Il s’agit là de la première preuve expérimentale d’une hypothèse controversée proposée en 1991 déjà par Margie Profet : l’hypothèse des toxines. « Margie Profet avait émis l’hypothèse que les réactions allergiques étaient des mécanismes de défense contre les toxines », explique Thomas Marichal. « Cette hypothèse avait été largement ignorée par la communauté scientifique. En effet, un autre cas de figure était déjà connu. On savait que la réponse Th2 pouvait avoir un effet bénéfique dans la défense contre les macroparasites tels que les vers intestinaux. Dès lors, beaucoup de scientifiques pensaient que toutes les allergies étaient le prix à payer pour la défense contre ces parasites », poursuit le chercheur. « Mais ici nous démontrons clairement que les IgE servent à nous défendre contre des toxines ! ».

Les scientifiques proposent un mécanisme par lequel les IgE exercent leur effet protecteur à l'encontre des deux types de venins testés. Lors d’une seconde exposition à ces derniers, les mastocytes des rongeurs sont très rapidement activés par les IgE et libèrent des substances (notamment des protéases) capables de dégrader et neutraliser les toxines présentes dans ces venins. D’où une réduction de la toxicité et, par conséquent, une augmentation de la survie des animaux.

Changer notre conception des IgE

Selon les auteurs de cette étude, publiée dans la revue Immunity(1), les réactions allergiques aigües et néfastes ne pourraient être qu'une toute petite partie d’un spectre de réactions médiées par les IgE. Dans le cas de l’allergie aux venins, il s’agirait effectivement d’un dérèglement du système immunitaire mais, pour la majorité de la population, après une première exposition au venin, les IgE permettraient d’obtenir un effet bénéfique contre les substances toxiques en cas d’exposition ultérieure à celui-ci. Cette notion est supportée par des observations cliniques montrant que seule une minorité des personnes ayant développé des IgE à l'encontre de venin d'abeille développent des réactions aiguës néfastes en cas de réexposition. piqure abeilleLes scientifiques aimeraient maintenant identifier quels sont les facteurs qui déterminent si les IgE vont plutôt induire une réaction délétère ou protectrice.

« D’un point de vue fondamental, cette découverte répond à une question essentielle liée à l'utilité et à la conservation des IgE et des réponses allergiques au cours de l'évolution. Elle représente la première évidence directe d'un rôle bénéfique et protecteur des IgE. Cela va certainement modifier la façon de penser des scientifiques par rapport aux allergies et pourrait mener, dans le futur, au développement de vaccins afin de nous protéger contre des toxines et autres menaces environnementales », conclut Thomas Marichal.

(1) Marichal Thomas*, Starkl Philipp* (* co-first authors), Reber Laurent L., Kalesnikoff Janet, Oettgen Hans C, Tsai Mindy, Metz Martin**, Galli Stephen J** (** co-corresponding authors). A beneficial role for Immunoglobulin E in Host Defense Against Honeybee Venom, Immunity (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.immuni.2013.10.005.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_355038/fr/la-toxicite-des-venins-contree-par-les-anticorps-allergiques?part=1&printView=true - 28 mars 2024