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A la recherche de marqueurs biologiques et radiologiques de l’instabilité des anévrismes

04/12/2013

L’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) est une pathologie fréquente concernant 4 % de la population âgée de plus de 65 ans. Sa dangerosité, liée à sa rupture,  est actuellement estimée en fonction de son diamètre, alors que pourtant de gros anévrismes peuvent ne jamais se rompre et que, inversement, il n’est pas rare d’assister à la rupture d’anévrismes de petite taille. Des équipes du CHU (Service de Chirurgie cardio-vasculaire, Service de Médecine Nucléaire) et de l’Université de Liège (Laboratoire de Biologie des Tissus Conjonctifs, GIGA)  sont sur la piste de marqueurs prédictifs de l’instabilité des anévrismes abdominaux.

anévrisme aorte abdominale thoraciqueDans l’esprit de la plupart d’entre nous, le terme anévrisme (ou anévrysme) est immanquablement associé à la notion de rupture et à une issue le plus souvent fatale pour le patient. Ce type de décès est particulièrement marquant étant donné son caractère brutal, puisque la lente évolution de la maladie avant la rupture demeure le plus souvent asymptomatique. La distinction entre la formation de l’anévrisme et sa rupture n’est pas toujours clairement ressentie et comprise par les non spécialistes.

L’anévrisme est une dilatation localisée et irréversible de la paroi d’une artère. L’apparition de cette pathologie est favorisée par certains facteurs tels que l’hypertension artérielle ou le tabagisme notamment. La rupture de l’anévrisme, et donc de la paroi artérielle, provoque un saignement très abondant, voire incontrôlable. Selon la localisation et le type de vaisseau sanguin concerné, cette rupture peut engendrer rapidement la mort du patient. 

Dans 95% des cas, la localisation des anévrismes se situe au niveau de l’aorte abdominale. « Cette pathologie n’est pas rare puisqu’elle touche 4% de la population âgée de plus de 65 ans. Il est par ailleurs inévitable que, avec le vieillissement progressif de la population, le nombre d’anévrismes détectés ne cessera de croitre », explique le Professeur Natzi Sakalihasan, du Service de Chirurgie cardio-vasculaire du CHU de Liège dirigé par Jean-Olivier Defraigne. L’anévrisme de l’aorte peut être dépisté au moyen d’une simple échographie.  Toutefois, en raison de son caractère bien souvent asymptomatique, il arrive fréquemment qu’on ne le détecte pas avant sa rupture. « La rupture est fatale dans 60 à 85% des cas, le plus souvent même avant admission du patient en milieu hospitalier », souligne le Professeur Sakalihasan.

Identifier les anévrismes dangereux

Chez l’homme, le diamètre normal de l’aorte abdominale est de 18 à 22 millimètres. « Lorsqu’on atteint un diamètre de 30 millimètres et plus, on considère que la dilatation est pathologique», indique Natzi Sakalihasan. On préconise alors de revoir régulièrement le patient afin de surveiller l’évolution de l’expansion de son anévrisme. Dans la pratique médicale actuelle, une intervention chirurgicale est recommandée lorsque le diamètre de l’anévrisme est de 55 millimètres, en partant du principe que plus celui-ci grandit, plus les risques de ruptures sont élevés.

Anevrisme 80mm« Mais tous les gros anévrismes ne se rompent pas, alors qu’on assiste parfois à la rupture de petits anévrismes », souligne Natzi Sakalihasan. « De plus, chez les patients âgés, une opération chirurgicale peut parfois causer plus de tort que de bien ».  Tenant compte de ces arguments, le Professeur Sakalihasan se penche depuis plus de 25 ans sur la définition de critères qui permettraient de cerner une croissance  anormale et, surtout, d’évaluer les risques de rupture. « Nous tentons de trouver le moyen d’identifier les anévrismes potentiellement dangereux », précise le Professeur. Pour ce faire, ce dernier travaille en collaboration étroite avec le Laboratoire de Biologie des Tissus Conjonctifs (LBTC) du GIGA de l’Université de Liège, dirigé par le Professeur Alain Colige et le Service de Médecine Nucléaire dirigé par le Professeur Roland Hustinx.

Les tissus conjonctifs constituent la majorité de la masse de notre corps et sont impliqués notamment dans des fonctions de soutien, de protection et de nutrition des organes. Ils sont constitués de cellules dispersées dans une trame de molécules formant des fibres, dont l’élastine et les collagènes par exemple, formant une « matrice » extracellulaire. « Les gros vaisseaux sanguins, dont l’aorte, sont essentiellement constitués par deux couches de tissus conjonctifs de composition différente. Cette organisation est à l’origine de la résistance mécanique et de l’élasticité des parois artérielles, deux propriétés fondamentales pour s’adapter aux contraintes et déformations liées au passage du sang à chaque battement de cœur », indique le Professeur Colige.

Un scanner efficace mais très coûteux

Lors de précédentes études, les équipes de Natzi Sakalihasan et d’Alain Colige se sont, entre autres, penchées sur les protéines de la matrice extracellulaire des parois aortiques : l’élastine et le collagène, responsables respectivement de l’élasticité et de la résistance mécanique des tissus conjonctifs. « De manière simplifiée, on pourrait dire que la dégradation de l’élastine mène à l’apparition de l’anévrisme et que sa rupture est plus particulièrement liée à la destruction du collagène », résume Natzi Sakalihasan. Les chercheurs avaient déjà montré une corrélation entre l’instabilité de l’anévrisme et la présence des MMP-9 et -2, des enzymes qui participent à la dégradation de l’élastine et des collagènes. 

Une autre étude, menée en 2002 par les équipes du CHU et du CHC de Liège, a révélé que le recours à la méthode d’imagerie médicale PET-CT (Positron emission tomography - computed tomography) était efficace pour déceler les anévrismes enclins à la rupture. « Ce type de scanner utilise un analogue du glucose marqué radioactivement comme traceur permettant de repérer les zones de forte activité métabolique, dont les foyers inflammatoires », explique Natzi Sakalihasan. « Comme l’anévrisme de l’aorte abdominale peut être considéré comme une maladie inflammatoire chronique, nous avons eu l’idée de soumettre les patients à un examen par PET-CT », précise-t-il. Les chercheurs ont ainsi pu constater que les anévrismes possédant une activité métabolique  importante avaient de plus grandes chances de se rompre. Cette méthode pourrait dès lors permettre aux médecins de juger si une opération chirurgicale s’impose, indépendamment de la taille de l’anévrisme. Mais cette solution n’est pas accessible à tous : « Tous les hôpitaux ne sont pas équipés d’un PET-CT et l’examen est relativement onéreux », indique Natzi Sakalihasan.

À la recherche de marqueurs circulant dans le sang

Dans le cadre d’une nouvelle étude récemment publiée dans the Journal of Nuclear Medicine (1), Natzi Sakalihasan, Roland Hustinx et Alain Colige se sont intéressés aux cellules et molécules associées aux zones de forte activité métabolique des anévrismes de l’aorte abdominale. L’objectif de ces travaux était d’identifier des biomarqueurs circulants qui traduiraient la présence d’un anévrisme instable. « Pour la présente étude, explique Alain Colige, nous avons eu l’occasion de comparer des échantillons humains issus de patients dont le PET-CT était négatif ou positif. Chez ces derniers, nous avons analysé les composants de la paroi aortique à la fois au niveau de zones de forte activité métabolique et au niveau de zones plus calmes ». Travailler sur ces différents types d’échantillon devait permettre aux chercheurs de mettre le doigt sur les cellules et molécules qui sont susceptibles de causer la rupture de l’anévrisme.

Audrey Courtois et Betty Nusgens, respectivement doctorante et collaboratrice au LBTC, ont ainsi analysé la variation d’abondance d’ARNs messagers afin de déterminer s’il y avait une corrélation entre les résultats obtenus par la technique d’imagerie (PET-CT) et la présence de molécules spécifiques dans les échantillons de parois aortique prélevés au niveau des zones à forte activité métabolique de l’anévrisme. « Nous voulions voir si certaines molécules sont davantage exprimées dans ces zones et si leur présence peut servir de marqueur de la dangerosité de l’anévrisme», reprend Alain Colige.
L’analyse des échantillons a ainsi permis aux chercheurs de confirmer la présence de gros infiltrats de cellules inflammatoires là où l’activité métabolique était particulièrement élevée, mais aussi d’identifier les enzymes produites par ces cellules et responsables de la dégradation de la paroi aortique. 

Bientôt un dépistage systématique à Liège

Les analyses de l’équipe d’Alain Colige ont aussi montré que l’expression de certains gènes liés au remodelage et à l’entretien de la paroi aortique est différente dans les zones à forte activité métabolique de l’anévrisme. De plus, des changements au niveau de la structure et composition de la paroi du vaisseau sanguin ont été mis au jour. « Dans ces zones, il y a  par exemple une perte de cellules musculaires lisses, responsables de l’activité mécanique du vaisseau sanguin.  Par ailleurs, une partie du collagène présent dans cette zone n’est pas typique des parois vasculaires mais plutôt des cartilages ! », soulignent les chercheurs. Si la signification exacte de ces changements reste inconnue aujourd’hui, les auteurs de cette étude soupçonnent fortement qu’ils participent à fragiliser la paroi aortique avant la rupture.

Illustration anevrisme aorteEn ce qui concerne les marqueurs de dangerosité des anévrismes de l’aorte abdominale, les scientifiques ont mis le doigt sur des candidats potentiels. Ces travaux feront l’objet d’une prochaine publication…

En parallèle à ces travaux de recherche, le Professeur Natzi Sakalihasan lancera prochainement une campagne de dépistage systématique de l’AAA à l’échelle de la population liégeoise avec la collaboration du Service de chirurgie Cardio-vasculaire du CHU de Liège et l’Aneurysmal Pathology Foundation (APF) qui supporte le coût de cette initiative. À cet effet, une équipe médicale itinérante parcourra bientôt les communes de la Province de Liège.

(1) Audrey Courtois, Betty V. Nusgens, Roland Hustinx, Gauthier Namur, Pierre Gomez, Joan Somja, Jean-Olivier Defraigne, Philippe Delvenne, Jean-Baptiste Michel, Alain C. Colige and Natzi Sakalihasan.18F-FDG Uptake Assessed by PET/CT in Abdominal Aortic Aneurysms Is Associated with Cellular and Molecular Alterations Prefacing Wall Deterioration and Rupture. J Nucl Med. 2013 Oct;54(10):1740-1747. Epub 2013 Sep 5.


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