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Aliments contaminés au furane : quels risques ?

29/11/2013

Le furane se forme lors de la cuisson des aliments et est reconnu comme probablement cancérigène par l’Organisation mondiale de la Santé. Le café et les petits pots pour bébés sont les aliments qui en contiennent le plus car préparés en milieux clos. Si cela peut soulever des inquiétudes, les travaux de chercheurs de l’Université de Liège montrent que les risques pour la population belge sont limités.

capsulesCe que nous mangeons à un impact direct sur notre santé. La sécurité alimentaire, et plus particulièrement la sécurité sanitaire des aliments, est aujourd’hui l’un des grands défis sociétaux identifiés à l’échelle européenne et mondiale. Car, bien que nous ayons la liberté du choix des aliments que nous consommons, leur composition exacte - et donc la présence éventuelle de produits nocifs - échappe à monsieur et madame Tout-le-monde. Heureusement, les autorités veillent et s’appuient sur les résultats obtenus par les scientifiques pour établir des normes à respecter afin de protéger le consommateur de potentiels effets néfastes de certains produits.

Les contaminants liés aux processus de transformation font partie de ces composants « fantômes » dont le consommateur ignore bien souvent la présence dans les denrées alimentaires les plus communes. Il s’agit de toute substance indésirable et nuisible formée lors de la préparation des aliments. C’est suite à la découverte d’acrylamide dans la nourriture en 2002 que ce type de contaminant a commencé à être surveillé et étudié. L’acrylamide se forme naturellement dans certains aliments que l’on rissole ou que l’on frit tels que les chips, les frites mais aussi les biscuits, les céréales et le pain. Depuis sa découverte, cette substance a été classée comme « probablement cancérigène pour l’homme » par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Il existe aujourd’hui des valeurs indicatives pour l’acrylamide fixées par l’Union Européenne pour divers aliments.

Le café et les petits pots pour bébés, champions de la teneur en furane

Pour le furane, autre contaminant lié aux processus de transformation, aucune réglementation n’a été établie à ce jour. Bien qu’il soit aussi classé comme probablement cancérigène par le CIRC, les autorités attendent des résultats scientifiques supplémentaires pour se prononcer sur des valeurs à ne pas dépasser dans les denrées alimentaires. Les premières études sur le furane datent de 2004-2005 et des chercheurs de l’ULg se penchent sur la question depuis 2008. Dans le cadre de sa thèse de doctorat (1), financée par le Service Public Fédéral Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, Georges Scholl avait pour mission de déterminer le niveau de contamination des denrées alimentaires en Belgique ainsi que le niveau d’exposition au furane des adultes, enfants et bébés de notre pays.

Le furane est une petite molécule qui se forme lors des processus de chauffe de la nourriture, comme la cuisson ou la stérilisation. On le retrouve ainsi dans les aliments préemballés ayant subi un traitement thermique, comme certains contenus de boîtes de conserve métalliques et de bocaux en verre mais aussi les plats préparés sous vide à réchauffer.  Les deux aliments champions pour leur teneur en furane sont le café torréfié et les petits pots pour bébés ! « Les purées et compotes pour bébés sont produites en vase clos pour éviter que des bactéries puissent s’y développer », explique Georges Scholl, responsable de la Cellule Contaminants au Centre de Recherche Analytique et Technologique (CART) de l’ULg. 

Cette méthode de production ne permet pas l’élimination du furane, molécule très volatile, formé lors du traitement thermique de ces aliments. « De manière générale, tout ce qui est cuit et rôti contient de fortes doses de furane et tout ce qui est emballé avant ou rapidement après avoir été chauffé présente les plus hauts niveaux de ce contaminant », poursuit Georges Scholl.

Une substance narcotique et génotoxique

Sa place sur la liste des molécules probablement cancérigènes pour l’homme, le furane la doit à ses effets observés sur des rats. « Les rats exposés au furane développent des cancers, notamment des cholangiocarcinomes et des cancers du foie », précise Georges Scholl.  « À très forte dose, le furane est narcotique et à plus faible dose il est génotoxique », continue le chercheur. Par faible dose, le scientifique entend les quantités de furane ingérées lors de la consommation normale et à long terme de divers aliments « contaminés ». En réalité, ce n’est pas la molécule de furane elle-même qui pose problème mais les produits qui découlent de sa dégradation au niveau du foie.

Pour évaluer l’exposition de la population belge au furane, Georges Scholl, supervisé par les Professeurs Gauthier Eppe et, Edwin De Pauw (CART) et le Professeur Claude Saegerman (Unité de Recherche en Epidémiologie et Analyse de Risques appliquées aux sciences vétérinaires, UREAR-ULg), a développé des méthodes analytiques permettant de mesurer de très faibles niveaux de furane. Les scientifiques ont également réalisé un véritable plan d’échantillonnage des denrées alimentaires à travers toute la Belgique. « Nous avons testé plus de 500 échantillons récoltés entre la côte belge et Arlon pour définir les niveaux de furane dans les différents types d’aliments », indique Georges Scholl. « Et à l’aide de données de consommation, on a pu déterminer le niveau d’exposition moyen des Belges ». Selon les résultats obtenus, celui-ci est légèrement plus élevé que le niveau d’exposition moyen européen.

Les petits pots pour bébés n’ont pas la cote en Belgique

Petit potGlobalement, les résultats de ces investigations sont plutôt rassurants. En ce qui concerne les adultes, les chercheurs ont classé les citoyens belges en trois catégories liées à la quantité de furane ingérée : à haut risque, à peu de risque et à risque discutable. « L’analyse de nos données révèle qu’en Belgique personne ne se trouve dans la catégorie à haut risque, environ 10% de la population se trouve dans la catégorie à peu de risque et 90% dans la catégorie où le risque est discutable », explique Georges Scholl. Cette étude montre également que la consommation de café contribue fortement à l’exposition et au risque de contamination au furane. Rien d’étonnant puisque cet aliment, grandement consommé en Belgique, est celui qui contient le plus de furane. Boire quotidiennement une tasse de café de plus ou de moins peut faire monter ou baisser de 20% la quantité de furane ingérée sur la journée !

Du côté des enfants, les chercheurs ont mis en évidence que ce sont les groupes d’aliments les plus consommés qui sont aussi ceux qui contiennent le plus de furane. « Par exemple, le jus d’orange en carton ou en bouteille contient beaucoup de furane », révèle Georges Scholl. JusEnfin, en ce qui concerne les petits pots pour bébé, même s’ils sont relativement contaminés, ils contribuent étonnamment peu à l’exposition des tout-petits à cette molécule. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les Belges sont très traditionnels quand il s’agit de nourrir leurs bébés. En effet, selon les chiffres de Kind en Gezin (équivalent de l’ONE en Flandre), les parents n’ont recours aux petits pots que pour un repas sur trois. « Les personnes en Belgique qui nourrissent leur enfant uniquement avec des petits pots sont très rares », ajoute Georges Scholl.

Changer nos habitudes de préparation des aliments

Ces conclusions ont permis de montrer que la situation en Belgique n’est pas alarmante. « Mais il faut continuer de surveiller la contamination au furane des aliments pour contenir les risques potentiels. Il ne faut pas fermer les yeux sur ces contaminants », souligne Georges Scholl. Au-delà des résultats obtenus lors de cette étude, les chercheurs ont transmis des recommandations au SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement. « Il est difficile d’agir au niveau de la production industrielle des aliments mais on peut travailler sur les habitudes de préparations de ceux-ci », explique le scientifique. « Le furane étant très volatil, il suffit de bien secouer ou remuer les aliments à l’air libre avant de les ingérer pour qu’une part importante de ce contaminant soit éliminée ».  Il est donc préférable de réchauffer les aliments concernés dans une casserole plutôt qu’au micro-onde par exemple.

Aujourd’hui, les chercheurs liégeois aimeraient poursuivre cette étude en examinant la formation et l’élimination du furane in situ lors de processus de cuisson des aliments mais également d’étudier les autres voies d’exposition à ces molécules volatiles par inhalation et respiration lors de la consommation de denrées contaminées.  Ceci permettrait d’affiner l’exposition au furane par la population et de donner des recommandations pour en limiter l’exposition.

Illu Furane

Voir également la vidéo ULg.TV :

Sommes-nous en train d'empoisonner nos bébés ?

Les petits pots pour bébé contiennent-ils une molécule potentiellement cancérigène ? George Scholl note sa présence dans plusieurs pans de notre alimentation.

(1) Belgian population exposed to furan: from analytical developments to risk assessment, Georges Scholl, thèse de doctorat, 2013.


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