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OUFTI-1 : bientôt prêt pour l’espace !

25/11/2013

Dans un an et demi, les radio-amateurs devraient disposer pour leurs communications et connexions en mode numérique d’un « CubeSat » liégeois. Ce relais expérimental autour de la Terre a reçu le nom d’OUFTI-1. Un terme populaire du wallon liégeois qui exprime une exclamation, mêlée d’étonnement, mais est aussi l’acronyme de Orbital Utility for Telecommunication Innovations. Outil pédagogique de l’enseignement supérieur, le nano-satellite est le résultat de travaux d’étudiants, ingénieurs et chercheurs à l’Université de Liège et dans des Hautes Ecoles liégeoises.

CubeSat StructureOUFTI-1 vient de voir le jour en ambiance ultra-propre près des simulateurs Focal du Centre Spatial de Liège (CSL). Il s’agit d’un cube couvert de panneaux solaires, qui tient dans la main (volume d’1 l), pèse à peine plus qu’une boîte de sucre en morceaux (masse d’1 kg), et consomme autant d’électricité qu’une horloge électrique (puissance d’1 W). On doit son délicat accouchement - l’assemblage et l’intégration de ses composants miniaturisés - aux mains expertes et bons soins de cinq « sages femmes » : les professeurs Gaëtan Kerschen (LTAS/Université de Liège) et Jacques Verly (Institut Montefiore/Université de Liège), les ingénieurs Valery Broun (Maître assistant à l’ISIL), Nicolas Crosset et Xavier Werner (Intelsig/Institut Montefiore). Avec une télé-surveillance, depuis Singapour, d’Amandine Denis (Département d’aérospatial et mécanique/ULg) et de Jonathan Pisane, qui ont joué un rôle primordial dans la mise en œuvre du premier nano-satellite belge.

La Wallonie à la mode « Cubesat »

Sur l’ensemble du globe, depuis une dizaine d’années, on assiste à l’éclosion d’une communauté éducative autour de teams étudiants qui s’investissent dans le développement de systèmes spatiaux micro-miniaturisés. Il s’agit d’aborder au moindre coût le monde de l’espace - un environnement hostile à l’accès difficile - dans le cadre de travaux de groupe et de fin d’études. Le standard « Cubesat » répond à cette attente pédagogique. Il se réfère à un concept qui est né dans les années 1990 à l’initiative du professeur Bob Twiggs au Calpoly (California Polytechnic State University) de San Luis Obispo et à l’Université de Stanford. Ayant fait ses preuves comme instrument éducatif, ce concept s’est répandu à travers le monde.

On décline « CubeSat » en plusieurs variantes modulaires pour des missions « à bas coût » de science et de technologie. Son phénomène, désormais planétaire, compte déjà plus de 200 nano-satellites mis en orbite. Il a permis à des pays d’effectuer leurs débuts dans l’espace : c’est le cas, en Europe, du Danemark, de la Norvège, la Suisse, l’Estonie, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, l’Autriche, et, en Amérique latine, de l’Equateur. OUFTI-1 constituera une « première » spatiale pour la Belgique, grâce à Liège et à la Wallonie ! Le « CubeSat » liégeois est bien là, prêt à l’emploi. Son premier examen par les spécialistes de l’European Space Agency (ESA) est réussi. Ce qui est de bon augure pour envisager son lancement en 2015.

A l’issue d’un appel à candidats, auquel a répondu l’Université de Liège, l’ESA a en juillet dernier jugé intéressant d’inscrire OUFTI-1 parmi les missions Cubesat qu’elle envisage de lancer dans le cadre de son programme d’éducation FYS (Fly Your Satellite!). Il fallait dans de brefs délais rédiger un cahier des charges, produire une documentation volumineuse (dont une procédure d’intégration) et un manuel d’emploi et réaliser le modèle de vol, ceci de façon identique à ce qui se fait pour tout « grand » satellite. Un OUFTI-1 complètement assemblé a été présenté, le 6 novembre dernier, aux examinateurs de l’ESA dans le cadre du Test Readiness Review (TRR), étape cruciale en vue des campagnes d’essais en ambiance spatiale. Il s’agissait de voir si le « CubeSat » liégeois répondait aux exigences strictes de l’ESA et du programme FYS pour ses qualités et performances. Ils ont fait des recommandations pour garantir la fiabilité du nano-satellite. Après une série de tests fonctionnels, un autre examen ESA doit vérifier son aptitude à passer les essais sous vide dans les installations de l’European Space research & Technology Centre (ESTEC), à Noordwijk (Pays-Bas).

Six années de gestation

Complètement assemblé, le modèle de vol du « CubeSat » de Liège est l’aboutissement d’une gestation qui a duré un peu plus de six ans et mobilisé une cinquantaine d’étudiants (voir leurs photos sur le site http://www.oufti.ulg.ac.be/), dix professeurs et ingénieurs. C’est le résultat d’un investissement consenti par Belspo (Politique scientifique fédérale belge), via le programme Prodex, et l’Université de Liège pour l’acquisition d’éléments (comme la structure Cubesat), la mise au point de composants (dont des cartes électroniques entièrement « made in ULg »), des activités de promotion, la participation à des conférences internationales, à des stages de l’ESA et dans l’industrie… Première leçon de cette réalisation bien de chez nous, unique en Belgique: développer un engin spatial, même miniature, prend beaucoup de temps, exige de la bonne volonté et de patients efforts. Surtout de la part d’étudiants et chercheurs qui doivent faire leur apprentissage des défis et contraintes du spatial.

« L’idée d’une mission originale pour un CubeSat liégeois a germé le 18 septembre 2007 lors d’une communication téléphonique, qui a duré trois quarts d’heure, avec Luc Halbach, radio-amateur passionné et alors ingénieur chez Spacebel », se souvient Jacques Verly. L’initiative de réaliser un CubeSat avait été lancée dès 2005 avec le projet LEODIUM (Lancement En Orbite de Démonstrations Innovantes d’une Université Multidisciplinaire) - nom latin de la Cité Ardente – de Liège Espace, groupe de réflexion qui associe les laboratoires de l’Université et les industriels, acteurs du spatial dans la région. Le développement d’un nano-satellite était décrit comme outil de pédagogie active et de promotion publique des maîtrises en aérospatiale et en sciences spatiales, les spécialités de l’ULg pour la Communauté française de Belgique. Encore fallait-il lui trouver un objectif de portée internationale.

Mission inédite pour radio-amateurs

OUFTI-1 a l’ambition d’expérimenter dans l’espace la nouvelle technologie du protocole D-STAR (Digital-Smart Technologies for Amateur Radio). La communauté mondiale des radio-amateurs attend beaucoup de cette expérimentation d’un relais spatial de radiocommunications numériques entre radio-amateurs, avec transmission simultanée de la voix et des données numériques (GPS, fichiers, etc.), avec routage et “ roaming ” au niveau mondial, y compris via internet. Certes, pour cette mission, le nano-satellite n’a pas besoin d’une stabilisation précise sur les trois axes. Mais il a fallu miniaturiser son équipement de télécommunications, développer de nouveaux composants, améliorer son alimentation électrique, mettre au point un déploiement robuste et efficace d’antennes, réaliser un ensemble de grande fiabilité. Sans dépasser la masse de 1,3 kg au lancement.

OUFTI inside2L’autre leçon d’OUFTI-1 est sa dimension liégeoise : l’apprentissage à des systèmes spatiaux a nécessité la coopération entre ingénieurs civils (ULg, UCL) et industriels (Institut Gramme/HELMo, Service électronique de HEPL/ISIL, HEPL/Rennequin Sualem-INPRES). Les promoteurs du « CubeSat » liégeois ont tenu à privilégier le « par et pour les étudiants ». C’est pourquoi son développement a pris beaucoup de temps, même en ayant Amandine Denis comme chef de projet pour assurer le suivi entre les étudiants des années académiques successives. D’ores et déjà, l’Institut Montefiore de l’ULg a aménagé un local en centre de contrôle pour satellites. Il s’est équipé d’une station de réception et émission des signaux de satellites radio-amateurs. Cette station permettra notamment d'envoyer les télécommandes à OUFTI-1 et d'en recevoir la télémétrie. Cette station est complétée par un relais de radiocommunication D-STAR dont les émetteurs/récepteurs sont installés dans les greniers du Poste Central de Commande du campus du Sart Tilman de l'ULg et dont les antennes sont visible sur le toit de ce dernier. Ce relais D-STAR, connecté à l'Internet, fut le 1er du genre en Belgique. Par ailleurs, durant six ans, des travaux de fin d’études, des thèses de doctorat ont servi à miniaturiser et développer des composants efficaces qui résistent aux rigueurs de l’environnement spatial (différences de températures, flux de radiations) après ceux du lancement (chocs, vibrations).

Un stimulant de vocations et d’innovations

CubeSat Observation2

Avec ce premier « CubeSat », les professeurs Gaëtan Kerschen et Jacques Verly, sur qui repose l’avenir des nano-satellites à Liège, se plaisent à reconnaître le côté stimulant de matière grise et la dimension enthousiaste d’innover. Mais, reconnaissent-ils, « l’ultime étape de la finalisation du nano-satellite n’est pratiquement possible qu’avec une petite équipe d’ingénieurs et techniciens qui peuvent faire face aux multiples problèmes de dernière minute ». Du côté de la Faculté des Sciences Appliquées, on se met à croire en la satellisation d’OUFTI-1 au début de 2015. A ce jour, son lanceur n’est pas encore connu.

D’ores et déjà, et sans être sur orbite, le « CubeSat » liégeois a tenu toutes ses promesses en réussissant une double mission. D’abord, il a fait éclore des vocations chez plusieurs étudiants (Lire : Le nano-satellite des étudiants) , aujourd’hui actifs dans le secteur spatial. Il convient de mentionner trois exemples parmi les ingénieurs diplômés, qui doivent leur carrière à l’odyssée d’OUFTI-1. Philippe Ledent qui a été le premier à travailler sur l’alimentation électrique à bord d’OUFTI-1 est engagé chez le n°1 de l’industrie belge des satellites, spécialiste de l’alimentation électrique. Vincent Beukelaers, impliqué dans l’analyse de la mission D-STAR, a trouvé sa voie du côté de la Californie : il s’est investi dans la mission Phonesat de la NASA (National Aeronautics & Space Administration), et fait partie de l’équipe de la nouvelle entreprise Planet Labs qui va déployer une constellation de nano-satellites d’observation. Julien Tallineau, qui a étudié la charge utile de OUFTI-2/SIMBA, est ingénieur systèmes de satellite chez QinetiQ Space et prépare la mission Proba-3 de vol en formation de deux satellites.

Le développement d’OUFTI-1 a par ailleurs donné le coup de pouce au phénomène « CubeSat » en Belgique. D’autres projets ont pris forme. En Belgique, OUFTI-1 a donné un réel élan à des recherches et technologies innovantes.

Le savoir-faire de l’ULg est à présent sollicité pour de nouvelles missions scientifiques et technologiques qui sont financées par Belspo : 
- PICASSO (Pathfinder Instruments for Cloux & Aerosol Spaceborne Observations) de l’Institut d’Aéronomie Spatiale de Belgique doté d’un spectro-imageur d’analyse des composants chimiques de l’atmosphère depuis l’espace;
- Qarman pour le VKI (Von Karman Institute) comme démonstrateur d’étude de la rentrée atmosphérique; 
- SIMBA (Sun-Earth Imbalance) de l’Institut Royal Météorologique avec un radiomètre de haute technologie pour mesurer l’impact du rayonnement solaire sur notre Terre.

Mode en ébullition, pollution en orbite

En matière de missions « CubeSat », les idées ne manquent pas ! C’est un vent de jeunesse qui souffle sur le spatial. Ainsi des nano-satellites de 1 à 10 kg, de plus en plus complexes, prennent forme sous l’impulsion d’agences spatiales, d’organismes de recherche, d’universités ou d’instituts polytechniques. Ce sont l’Allemagne, l’Italie et le Danemark qui, en première ligne pour l’Europe, donnent le tempo au mouvement. Une famille, déjà nombreuse, ne cesse de s’agrandir dans le monde. Pour la fin de cette année, une cinquantaine de nano-satellites vont être placés sur orbite lors de deux lancements en Virginie (USA) et au Sud de la Russie. Sans conteste, le projet le plus ambitieux est QB50, premières cubeSat1avec le déploiement sur orbite basse d’une constellation internationale comprenant jusqu’à 50 Cubesats doubles. Chaque nano-satellite, conçu et réalisé par des groupes de professeurs et d’étudiants sur les cinq continents, emporte des instruments pour des mesures « in situ » de la thermosphère, entre 90 et 300 km, au-dessus de nos têtes…

On doit l’initiative QB50, avec sa réalisation, au VKI (Von Karman Institute), notamment à Jean Muylaert, son directeur. Cette constellation QB50 est la première utilisation conjointe, à l’échelle globale, de missions « low cost » avec « CubeSat » dans un cadre éducatif et à des fins scientifiques. Elle permettra de faire de la science en réseau et de valider des concepts d’expériences. Elle se heurte à la difficulté de trouver un lancement économique. Ce lancement est financé par la Commission européenne, mais il n’est plus envisagé avant 2016. Vu son faible coût et une certaine flexibilité, la technologie « CubeSat » se prête bien à une multiplication de nano-satellites spécialisés pour mener à bien des collectes spécifiques de données et des observations régulières.

Aux Etats-Unis, la NASA et le DOD (Department of Defense), et au Japon, le MEXT (Ministry of Education, Culture, Sports, Science & Technology) encouragent les universités, académies, écoles supérieures à innover avec des « CubeSats » sur orbite. Des astronautes en lancent même à partir de l’ISS (International Space Station) pour des activités spatiales d’ordre pédagogique. Des sociétés se sont développées pour commercialiser des solutions « clefs en mains » et des applications « sur mesure ». C’est le cas, aux Pays-Bas, d’ISIS (Innovation Solutions in Space) qui fournit équipements, lancements, systèmes complets… Dans la Silicon Valley, Planet Labs se prépare à déployer prochainement, d’un seul coup, sa constellation Flock-1 de 28 « Cubesats » agiles pour des prises de vues avec une résolution de 3 à 5 m, en quasi continu, de la surface terrestre.

Le monde « CubeSat » est donc en pleine ébullition (CubeSat : Pour ou contre?). Ce qui se traduit par la multiplication de nano-satellites, avec leur inquiétante prolifération… entre 200 et 400 km d’altitude. Leur dissémination pose deux problèmes pour l’avenir des activités dans l’espace : les interférences avec l’emploi de communications de plus en plus encombrées, les risques posés par la présence des épaves de nano-satellites. Team OUFTIIl faut faire en sorte que ces objets minuscules, devenus débris dans l’espace, ne constituent aucun embarras de circulation pour les autres engins spatiaux, notamment habités. Un modus vivendi a été adopté au niveau international : faire en sorte que tout « CubeSat » soit satellisé de manière à ce que sa durée de vie orbitale n’excède pas les 20 ans ! Audacieuse et ambitieuse, l’approche « CubeSat » n’est donc pas sans risques. Vu son caractère interdisciplinaire au niveau mondial, elle présente de réels atouts qui sont à la hauteur des défis à relever dans l’exploration et l’exploitation du monde de l’espace.

Lire également  : OUFTI, C'est parti!

Illus construction satellite

Comment construire un satellite

OUFTI-1, premier nano-satellite belge conçu par des étudiants de l'Université de Liège, vient de terminer sa phase d'intégration. L'occasion d'expliquer comment on construit un satellite.

Illu OUFTI pas de tir

OUFTI, sur le pas de tir

L'idée de OUFTI-1, premier nano-satellite belge mis au point par des étudiants liégeois, remonte à 2007. Il aura fallu six ans pour passer du stade de l'idée à l'assemblage du satellite. Il est aujourd'hui prêt à aller dans l'espace.

Le 6ème European Cubesat Symposium sera organisé du 10 au 12 juin 2014 par le VKI à l’Ecole Royale Militaire de Bruxelles. L’occasion de faire le point sur le développement des « CubeSats » en Europe.


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