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Les métastases au foie, un terrain propice pour la thérapie ciblée

13/11/2013

Les métastases jouent un rôle important dans les décès dus au cancer. Le foie est un des trois organes que les métastases de nombreux cancers colonisent. L’étude des métastases hépatiques est donc stratégique en vue de développer de nouveaux traitements anticancéreux, notamment des thérapies ciblées. Malheureusement, les tumeurs hébergent une population cellulaire hétérogène qui est capable de survivre aux traitements. Mais des chercheurs de l’Université de Liège ont récemment démontré que cette hétérogénéité ne se traduit pas forcément au niveau des protéines présentes dans les cellules cancéreuses. Ils sont également parvenus à identifier deux cibles potentielles au niveau des métastases hépatiques de cancer du colon.

Le cancer du colon ou cancer colorectal est un des cancers les plus fréquents qui touche à la fois les hommes et les femmes. Sur 7,6 millions de décès par cancer dans le monde en 2008, plus de 600.000 d’entre eux sont survenus suite à un cancer du colon selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L’une des caractéristiques du cancer est la prolifération anormalement rapide et incontrôlée des cellules qui peuvent alors se disperser dans d’autres organes du corps humain. Ces métastases sont la cause principale de décès par cancer. 


Lorsqu’il est diagnostiqué, le cancer du colon a déjà développé des métastases qui dans 20 à 30% des cas ont envahi le foie. « Quand la tumeur traverse les parois du colon pour se disperser, le foie est le premier organe où on retrouve des métastases. Les métastases au foie sont également fréquentes dans les cas de cancers du sein, des poumons , du pancréas et de nombreux autres cancers », explique Andrei Turtoi, Chargé de recherches F.R.S.-FNRS au Laboratoire de Recherche sur les Métastases (LRM) du GIGA-Cancer à l’ULg. Le foie est donc un élément clé pour l’étude des métastases.

Etapes cancer Colon

Quand la chirurgie ne suffit pas

Tant qu’il ne développe pas de métastases, le cancer du colon se soigne. Par contre lorsque les métastases atteignent le foie, seulement 30% des patients sont opérables. Alors que cette minorité se porte mieux (25% survivent 5 ans), 95% des patients non opérables meurent dans les 5 ans. « Pour 70% des patients qui présentent des métastases dans le foie la chirurgie n’est même pas une option » souligne Andrei Turtoi. « C’est pourquoi les scientifiques tentent de trouver d’autres types de traitement contre les métastases et en particulier celles du foie », poursuit-il. Aujourd’hui, beaucoup d’espoirs reposent sur la thérapie ciblée. Ce terme désigne les médicaments qui agissent spécifiquement sur une protéine ou un mécanisme impliqué dans le développement de la tumeur. Théoriquement, ces composés tuent les cellules cancéreuses mais ne causent pas de tort aux cellules saines, contrairement à la chimiothérapie ou à la radiothérapie qui causent souvent des dommages collatéraux limitant la possibilité d’augmenter les doses pour tenter de venir à bout du cancer. « Le principe de base de la thérapie ciblée est qu’elle dépend directement des protéines présentes dans la tumeur. Dans un type de thérapie ciblée, ces protéines doivent être facilement accessibles afin que les anticorps ou les conjugués anticorps-médicaments puissent les atteindre et s’y lier», précise le spécialiste. Les protéines cibles choisies sont donc généralement des protéines que l’on retrouve à la surface des cellules cancéreuses.

Passer des gènes aux protéines

« Il y a un immense besoin de thérapies nouvelles, autres que la chirurgie, pour soigner les patients atteints de métastases hépatiques. Si on trouve une thérapie efficace contre les métastases du foie, on pourrait diminuer la grande mortalité qui y est liée », indique Andrei Turtoi. « Les thérapies ciblées développées jusqu’ici ne fonctionnent que dans un premier temps et ensuite la tumeur reprend le dessus », indique le chercheur. C’est dans ce contexte, et suite à ces constatations, que Andrei Turtoi et ses collègues du LRM se sont intéressés aux métastases hépatiques du cancer du colon. La tumeur et les métastases sont très hétérogènes en termes de populations cellulaires. Or les thérapies ciblées visent souvent une petite population de cellules au sein de la tumeur. « Ainsi on tue une partie des cellules mais les autres populations de cellules cancéreuses échappent au traitement. Comme dans la théorie de l’évolution de Darwin, cela engendre une pression de sélection sur l’un ou l’autre type cellulaire. Les cellules cancéreuses qui survivent prennent l’avantage et continuent de faire grossir la tumeur et ses métastases », explique Andrei Turtoi. 


De nombreuses études ont démontré l’hétérogénéité génétique du cancer du colon mais les chercheurs liégeois voulaient savoir si cette hétérogénéité s’observe également à l’échelle des protéines. « Les cellules cancéreuses présentent différents types de mutations et il est donc difficile de savoir ce que l’on peut cibler et comment », poursuit le chercheur.  « Mais on ne cible pas les gènes, on cible des protéines », rappelle Andrei Turtoi.

Une hétérogénéité des protéines organisée

Pour analyser les protéines présentes au niveau des métastases hépatiques du cancer du colon, les scientifiques ont travaillé en collaboration avec le Département de Chirurgie abdominale du CHU de Liège et avec les Laboratoires de Spectrométrie de Masse et de Pathologie expérimentale du GIGA. « Nous avons eu l’opportunité d’étudier des métastases de foie provenant de carcinomes colorectaux humains. Grâce à la technique spécifique de spectrométrie de masse, nous avons pu passer au crible les métastases à la recherche de différents peptides présents. Avec cette technique on a l’avantage de ne pas devoir disséquer et donc de ne pas perturber la tumeur », précise Andrei Turtoi.  


Les résultats de ces travaux, publiés dans la revue Hepatology(1), montrent que les métastases hépatiques présentent des motifs d’hétérogénéité au niveau protéomique, même si cette hétérogénéité est organisée. « Les peptides sont distribués selon des zones et ces zones sont très similaires d‘un patient à l’autre », révèle le scientifique. Les tumeurs sont donc moins hétérogènes d’un point de vue phénotypique que ce à quoi on aurait pu s’attendre au vu de leur hétérogénéité génétique. « Bien que Les cellules cancéreuses soient porteuses de différentes mutations, il semble qu’elles se comportent de la même manière », explique Andrei Turtoi. La distribution en zones s’expliquerait entre autre par le fait que des facteurs environnementaux au sein de la cellule, comme l’oxygène ou la disponibilité en nutriments, favorisent un certain phénotype. « C’est une très bonne nouvelle pour la thérapie ciblée car on peut imaginer cibler les cellules d’une même zone ensemble puisqu’elles ont le même phénotype », poursuit Andrei Turtoi.

Deux cibles prometteuses pour de nouvelles thérapies

Après avoir mis ces zones en évidence, les chercheurs ont disséqué les tumeurs pour identifier les protéines qui y sont présentes. « Nous avons isolé sélectivement les protéines de la surface des cellules cancéreuses et de la matrice. Elles sont accessibles et représentent le premier interface entre la tumeur et son environnement et constituent donc de bonnes cibles d’un point de vue thérapeutique », explique Andrei Turtoi. L’identification de ces protéines a conduit les scientifiques vers différentes protéines déjà utilisées en clinique comme cible pour la thérapie contre le cancer. Ces données peuvent maintenant être utilisées pour optimiser le protocole. Ils ont également identifié 2 protéines originales qui sont particulièrement intéressantes : LTBP2 et TGFBI. En effet, ces deux protéines pourraient être de très bons marqueurs étant donné qu’elles sont exprimées par les cellules de la plupart des zones identifiées dans les métastases hépatiques du cancer du colon. À ce stade Andrei Turtoi et ses collègues ont trouvé les anticorps qui ciblent ces deux protéines. La prochaine étape est de tester les effets de ces anticorps sur un modèle murin de cancer colorectal.

Outre les nouvelles perspectives pour la thérapie ciblée contre le cancer du colon, ces travaux démontrent à quel point il est important d’étudier les tumeurs sous leur angle protéomique et pas uniquement sous leur angle génétique. « Ce sont les protéines qui déterminent le phénotype. Etudier les tumeurs en s’intéressant à leur phénotype plutôt qu’à leur génétique permettra d’ouvrir des boulevards vers de nouveaux traitements thérapeutiques », conclut Andrei Turtoi.

Métastases foie Cancer colon

Les images PET utilisées dans cette figure ont été générées par le Département d'Imagerie Nucléaire du CHU de Liège du Prof. Roland Hustinx. Les images tomographiques des rongeurs ont été obtenues avec le support du Prof. Alain Vanderplasschen du Laboratoire d'Immunologie/Vaccinologie de la faculté de Médecine vétérinaire de l'Ulg.

(1) Andrei Turtoi, Arnaud Blomme, Delphine Debois, Joan Somja, David Delvaux, Georgios Patsos, Emmanuel Di Valentin, Olivier Peulen, Eugène Nzaramba Mutijima, Edwin De Pauw, Philippe Delvenne, Olivier Detry and Vincent Castronovo. Organized Proteomic Heterogeneity in Colorectal Cancer Liver Metastases and Implications for Therapies. Hepatology. 2013 Jul 6. doi: 10.1002/hep.26608


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