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Couper court à l’immortalité des cellules cancéreuses

07/11/2013

Un des secrets de jouvence des cellules cancéreuses est leur capacité à pouvoir garder de longs télomères. Chez les cellules saines, ces parties du génome situées aux extrémités des chromosomes raccourcissent à chaque division cellulaire. Lorsque ces télomères deviennent trop courts, la cellule arrête de proliférer de manière irréversible et entre en état de sénescence. Des chercheurs de l’Université de Liège ont découvert une enzyme qui permet aux cellules cancéreuses de maintenir la longueur  de leurs télomères. L’inhibition de cette enzyme rend ces cellules beaucoup plus sensibles aux agents de chimiothérapie.

télomèreSelon la phase du cycle dans laquelle se trouve une cellule, son ADN se présente sous différentes formes. Il passe notamment par divers niveaux de condensation et peut s’associer à des protéines autour desquelles il s’enroule. Le chromosome constitue la forme la plus compacte de l’ADN. La chromatine qui le compose correspond à l’association d’ADN et de protéines histones. Pour atteindre son plus haut niveau de condensation, l’ADN s’enroule atour des protéines histones comme du fil autour d’une bobine. Si cette structure confère une certaine stabilité au génome, notamment durant la division cellulaire, l’ADN ne peut être transcrit sous cette forme. Pour que les séquences génomiques puissent être transcrites en ARN et ensuite traduites en protéines, l’ADN doit aborder une configuration plus « souple », moins condensée, afin d’être accessible à la machinerie de transcription. C’est là que  les histones déacétylases (HDAC) entrent en jeu. « L’activité de cette famille de 18 enzymes permet d’ouvrir et de fermer la molécule d’ADN en modifiant la structure de la chromatine », explique Denis Mottet, Chercheur Qualifié F.R.S.-FNRS au Laboratoire de Recherche sur les Métastases du GIGA de l’ULg. Spécialisé dans le domaine de la cancérologie, ce dernier étudie les histones déacétylases car elles sont notamment surexprimées dans les tissus cancéreux. « Nous tentons de mettre en évidence leur rôle potentiel dans différents processus biologiques liés au développement des cancers car ces enzymes s’affichent comme des  cibles thérapeutiques prometteuses », précise-t-il.

Télomères et vieillissement cellulaire

Denis Mottet et ses collègues ont commencé leurs investigations sur les HDAC en inhibant leur activité au moyen de molécules pharmacologiques capables d’inhiber l’entiereté des 18 membres de la famille. « Mais ces enzymes sont aussi présentes dans les cellules saines et sont requises dans divers processus physiologiques . Pour éviter les effets secondaires et pour cibler certaines HDAC plus spécifiquement, nous nous sommes attelés à déterminer quels membres de cette famille d’enzymes avaient un rôle prépondérant au niveau des cellules cancéreuses », reprend le scientifique. Ainsi, depuis une dizaine d’années, Denis Mottet inhibe de manière sélective l’expression de chacune des histones déacétylases et observe les conséquences de ces manipulations sur des cellules cancéreuses en culture. « Nous nous sommes aperçus que lorsqu’on inhibe sélectivement l’histone déacétylase 5 (HDAC5), il y a une perte de prolifération et les cellules cancéreuses meurent», révèle Denis Mottet. « Ces résultats suggèrent que l’HDAC5 pourrait être une cible thérapeutique intéressante mais jusqu’ici nous ne comprenions pas précisément les mécanismes sous-jacents », poursuit-il.

Comme il s’agit d’une famille d’enzymes qui agit au niveau du repliement de la chromatine, la réflexion des scientifiques les a menés à vérifier si HDAC5 était impliquée dans la structure des télomères. Ces régions se situent à l’extrémité des chromosomes. « Les télomères sont très importants car ils protègent le chromosome de toutes sortes de choses et notamment de la fusion avec un autre chromosome. Ils participent à de nombreux processus comme par exemple le vieillissement des cellules », souligne Denis Mottet. En effet, à chaque division cellulaire, les télomères se raccourcissent et lorsqu’ils deviennent trop courts, la cellule atteint son stade de sénescence et arrête de se diviser, et ce, de manière irréversible. Les cellules cancéreuses, elles, se divisent de façon anarchique et ne vieillissent pas. « Les cellules cancéreuses possèdent des mécanismes leur permettant de maintenir la structure et la longueur de leurs télomères intactes», indique Denis Mottet. D’où l’idée que l’HDAC5 pourrait y être pour quelque chose…

raccourcissement télomèresLocaliser l’enzyme par fluorescence

Le premier objectif de cette étude était de localiser l’enzyme histone déacétylase 5 dans les cellules cancéreuses. « Si on la localise au niveau des télomères, il y a de fortes de chances qu’elle joue un rôle dans la structure de ces régions », précise Denis Mottet. Pour localiser cette enzyme, les chercheurs ont utilisé différents types de cellules cancéreuses en culture. « Nous avons fixé ces cellules et nous y avons injecté des anticorps dirigés contre l’HDAC5 que nous avons couplé avec une molécule fluorescente », explique le chercheur. « Parallèlement, nous avons utilisé une sonde, également couplée à une molécule fluorescente mais de couleur différente, qui reconnaît les télomères ». Grâce à ces techniques d’immunofluorescence et d’hybridation in situ en fluorescence (FISH), Denis Mottet et son équipe ont observé la superposition des deux couleurs fluorescentes au sein des cellules cancéreuses pourvues de longs télomères. Ce qui signifie que, dans ces cellules, HDAC5 est bien localisée au niveau des télomères.

« La seconde étape de ces recherches consistait à inhiber cette enzyme au moyen d’une technique d’interférence qui empêche son expression dans les cellules cancéreuses et qui permette de constater précisément les conséquences au niveau des télomères », continue Denis Mottet. Pour ce faire, les scientifiques ont utilisé des cellules cancéreuses présentant des télomères de longueurs variées. Résultat : « L’inhibition d’ HDAC5 provoque le raccourcissement des télomères uniquement chez les cellules cancéreuses qui avaient de longs télomères à la base », précise Denis Mottet. Les cellules aux télomères plus courts ne semblaient pas être affectées par l’absence de cette enzyme.

Mort massive des cellules cancéreuses privées d’HDAC5

« Ces résultats montrent que l’HDAC5 joue bel et bien un rôle dans le maintien de la structure des télomères des cellules cancéreuses », reprend le chercheur. Si l’inhibition de cette enzyme perturbe les télomères des cellules cancéreuses, une question évidente vient à l’esprit : les agents chimiothérapeutiques, qui attaquent la molécule d’ADN, sont ils plus efficaces quand les cellules cancéreuses ont des télomères raccourcis ?

Pour tester cette hypothèse, les scientifiques ont pris des cellules cancéreuses aux longs télomères qui s’étaient montrées résistantes aux agents utilisés en chimiothérapie. « Privées d’HDAC5, ces cellules cancéreuses sont beaucoup plus sensibles aux agents de chimiothérapie et meurent plus massivement », indique Denis Mottet. « Ces travaux nous permettent de proposer de nouvelles stratégies combinatoires prometteuses dans l’arsenal thérapeutique des cancers ». Cette étude fait l’objet d’une publication dans le journal américain FASEB (1) et, au vu de son caractère novateur et prometteur, a été sélectionnée par l’Editorial Board de cette revue comme la découverte du mois de septembre 2013.

HDAC5 Télomères
Comme Denis Mottet et ses collègues l’ont encore démontré ici, les mécanismes de contrôle des télomères dans les cellules cancéreuses représentent une piste très sérieuse en terme de thérapie contre le cancer car en réduisant la longueur des télomères, les cellules cancéreuses devraient perdre leur immortalité. Au delà de la cancérologie, les télomères étant directement liés au vieillissement des cellules, la compréhension des mécanismes impliqués dans leur structure pourrait avoir un impact important dans de nombreux domaines cliniques tels que les maladies liées au vieillissement.

(1) Clara Lopes Novo, Catherine Polese, Nicolas Matheus, Anabelle Decottignies, Arturo Londono-Vallejo, Vincent Castronovo, and Denis Mottet. A new role for histone deacetylase 5 in the maintenance of long telomeres. FASEB J, September 2013, doi:10.1096/fj.12-224204


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