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L’architecte et le droit

22/10/2013

Le métier d’architecte ne se limite plus à dessiner des plans. Aujourd’hui, l’architecte est devenu un véritable chef d’orchestre, soumis à de plus en plus d’obligations légales et à des responsabilités multiples. Un ouvrage passe en revue l’ensemble de ces obligations et leur importance pour l’architecte.

COVER ArchitecteDès l’introduction de leur livre «L’architecte» (1) publié chez Larcier, Jean-François et Laurent-Olivier Henrotte, chargé des cours de droit à la Faculté d’Architecture de l’Université de Liège, plantent le décor : «La profession d’architecte est de plus en plus complexe. Les exigences qui président au bon accomplissement de sa mission sont toujours plus nombreuses. Même si celle-ci devra toujours s’apprécier par rapport à l’acte de bâtir lato sensu, les connaissances de l’architecte doivent être désormais plus importantes et plus pointues qu’auparavant». L’ouvrage aborde non seulement le statut de l’architecte, qui s’apparente à un «chef d’orchestre d’un ensemble, qui s’il n’est pas maîtrisé jouera la cacophonie», mais également les obligations qui lui incombent. Après le succès rencontré par la première édition parue en 2008, cette deuxième édition poursuit l’objectif d’offrir à l’architecte une vision complète des réglementations qui encadrent la pratique de son métier. Cette nouvelle édition s’est imposée comme l’ouvrage de référence pour les architectes. Il est vrai que plus rien de conséquent n’avait été publié depuis le livre de Paul Rigaux, «L’architecte, le droit de la profession» paru aux éditions Larcier en 1975 et réactualisé en 1993. Or, l’exercice de la profession a considérablement évolué ces vingt dernières années. Une évolution qui prend parfois des allures de révolution.

(R)évolution de la profession

«L’architecte» se compose de six parties : exercice de la profession d’architecte ; le droit contractuel ; la responsabilité de l’architecte ; les autorisations administratives et l’architecte ; la protection des droits d’auteur ; la protection de la vie privée et des données à caractère personnel. «La profession a considérablement évolué ces dernières années», explique Laurent-Olivier Henrotte. «Tant en ce qui concerne les contraintes que les droits des architectes. Prenons, par exemple, le droit d’auteur qui pose de nombreuses questions. Qu’est-ce qu’une œuvre originale ? Une œuvre est-elle susceptible d’être protégée ? Dans quel cadre ? Le droit d’auteur s’applique-t-il dès la conception sur le plan ? Etc. Des questions qui, en outre, ont acquis une dimension supplémentaire avec les nouveaux moyens de communication électronique.» Cette problématique liée au droit d’auteur a été traitée dans l’ouvrage par Jean-François Henrotte dont c’est l’une des spécialités. 

La première partie du livre précise le cadre dans lequel l’architecte évolue en décrivant les conditions d’exercice de la profession, le monopole et concours obligatoire de l’architecte, l’incompatibilité d’exercice de sa profession avec celle d’entrepreneur, la nature et l’organisation de l’Ordre des architectes, les règles déontologiques ainsi que les questions relatives à la publicité. Bref, un descriptif assez complet de la réalité présente du métier. La deuxième partie aborde le droit contractuel détaillé suivant les deux volets qui le constituent : le contrat d’architecture de droit privé et le contrat d’architecture de marché public. Cette partie traite évidemment des obligations contractuelles de l’architecte mais s’attarde également sur les particularités du contrat d’architecture conclu par voie électronique. Si de nombreuses modifications à un édifice ne nécessitent pas de faire appel aux services d’un architecte, il apparaît cependant que d’année en année, le domaine de compétence de l’architecte s’étend. En outre, il est souvent préférable, même quand il n’y a pas obligation, de recourir aux services d’un professionnel. Et Laurent-Olivier Henrotte, de citer l’exemple de boxes à chevaux mal réalisés par un entrepreneur. «La présence d’un architecte assure un bon suivi des travaux et permet d’éviter de mauvaises surprises lors de l’achèvement du chantier», précise-t-il.

Responsabilité multiple et croissante

architectes«L’entrepreneur est tenu de réaliser une parfaite exécution des engagements qu’il a souscrits, de sorte qu’il doit assurer la réparation de tous les vices quelle que soit leur importance, même minime, leur incidence ou le moment de leur découverte, dès lors ‘qu’ils constituent une inadéquation ou une non-conformité si minime soit-elle de l’ouvrage réalisé ou en cours de réalisation au cahier des charges, plans, …’, sauf à démontrer que la bonne exécution des engagements est rendue impossible par la force majeure. Il en est de même de l’architecte», écrivent les auteurs en tête du premier chapitre de la troisième partie consacrée à la responsabilité de l’architecte. Cette dernière ne se limite point à la garantie décennale mais s’applique également, dans le cadre de la responsabilité contractuelle, à sa responsabilité lors de la réception de l’ouvrage. Quant à sa responsabilité extracontractuelle, elle peut également être invoquée sur base des articles 1382, 1383 et suivants du Code civil. En d’autres termes, un architecte inscrit son travail dans l’espace public et si un dommage résulte de son fait suite à une faute, il en est responsable.

C’est une tendance forte ces dernières et qui ne risque pas de faiblir : une responsabilité sans cesse croissante qui pèse sur les épaules des architectes. A l’image de nombre de métiers, l’architecture n’échappe pas à cette judiciarisation qui se développe année après année dans notre société. «Cette tendance a un double effet», pointe Laurent-Olivier Henrotte. «D’une part, on observe un accroissement dans la recherche de la responsabilité de l’architecte ; d’autre part, l’architecte va s’efforcer de chercher des solutions pour juguler une responsabilité excessive en usant de clauses contractuelles afin de se protéger. Même si on constate également qu’en la matière, certains architectes ne sont pas encore conscients de cette évolution et sont encore un peu bohèmes et artistes.» Sont également traitées dans cette troisième partie les questions liées à la responsabilité pénale de l’architecte quand, par exemple, celui-ci dirige l’exécution de travaux nécessitant l’octroi d’un permis, sans l’avoir obtenu ou sans le respecter, ainsi qu’aux troubles de voisinage.

Urbanisme et aménagement du territoire

La quatrième partie intitulée «Les autorisations administratives et l’architecte» s’intéresse aux règles relatives au droit de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire dont l’architecte ne peut s’affranchir. Des règlementations qui ne cessent d’évoluer chaque année concourant à cette complexification croissante de l’exercice de la profession. «En vertu de l’article 17 du règlement de déontologie établi par le Conseil national de l’Ordre des architectes, l’architecte ‘veille au respect des prescriptions légales et réglementaires applicables à la mission qui lui est confiée», indiquent les auteurs. «L’architecte doit ainsi s’assurer du caractère constructible du terrain, prendre connaissance de toutes les contraintes planologiques et réglementaires, diriger les demandes de ses clients en fonction des contraintes urbanistiques, veiller au respect des conditions imposées par les autorisations administratives, etc. La responsabilité de l’architecte peut être engagée en raison de divers manquements en lien avec les règles urbanistiques. Sa tâche n’est pas facilitée par les nombreuses modifications décrétales et réglementaires qui interviennent régulièrement dans les différents corps de règles régionaux.»

Contrairement à ce que l’on pourrait toutefois supposer, la majorité de litiges qui concernent les architectes ne concernent pas d’éventuels problèmes de stabilité ou des questions liées à des permis d’urbanisation (anciens permis de lotir) ou des permis de bâtir mais plus prosaïquement à des problèmes d’humidité. «La première cause de sinistre concerne, en effet, des problèmes d’étanchéité», confirme Laurent-Olivier Henrotte. «C’est pourquoi certains architectes privilégient des créations classiques et éprouvées plutôt que des créations originales où les aspects techniques sont plus complexes et plus ‘risqués’. Maintenant, ce n’est pas toujours possible car ils doivent bien entendu tenir compte des desiderata de leurs clients. Aux architectes alors d’expliquer les difficultés techniques et de jouer leur rôle de conseil.»

Droit d’auteur et vie privée

Les deux dernières parties de «L’architecte» sont consacrées à la protection des droits d’auteur et la protection de la vie privée et des données à caractère personnel. Le droit d’auteur et plus largement la question de la propriété intellectuelle sont des sujets qui reviennent régulièrement à la une. Ils concernent aussi bien des ouvrages d’art tels que la gare des Guillemins, réalisation de Santiago Calatrava, que la maison individuelle reproduite à la chaîne dans nos campagnes. Les différentes dispositions relatives au droit d’auteur ainsi que les conflits entre le titulaire du droit d’auteur et le propriétaire de l’immeuble, notamment le droit moral de l’architecte versus le droit de propriété du maître de l’ouvrage ainsi que le droit à l’image des biens, sont analysés dans le détail par les auteurs. Quant à la dernière partie consacrée à la vie privée, elle traite du secret professionnel, du champ d’application de la législation relative à la protection de la vie privée par rapport aux activités de l’architecte et last but not least des différentes règles à observer dans le traitement des données à caractère personnel concernant, entre autres les clients et les collaborateurs.

plans maisonsL’ouvrage dresse un panorama assez complet de la profession d’architecte au regard du droit belge. L’encre de cette deuxième édition est à peine sèche que les auteurs pensent déjà à la prochaine version dans laquelle ils développeront notamment les questions du droit d’auteur et de propriété intellectuelle dans le cadre des nouvelles technologies en évolution permanente ou encore les questions et difficultés qui se présentent dans le cadre des expertises judiciaires. «L’architecte» s’adresse aux praticiens du droit immobilier, aux juristes d’entreprises, aux bureaux d’études, aux entreprises et évidemment aux architectes.

(1) Jean-François Henrotte et Laurent-Olivier Henrotte, «L’architecte. Contraintes actuelles et statut de la profession en droit belge», 2e édition, Larcier, 2013.


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