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Miroir, mon beau miroir…

02/10/2013

Cinq ans. C’est le nombre d’années durant lesquelles toutes les nuits, l’ILMT, télescope à miroir liquide, aura le nez braqué vers les étoiles. Sa mission sera notamment d’étudier la variabilité photométrique des objets présents dans un large champ d’observation. Cette étude devrait permettre de détecter plus de 9000 quasars, et parmi eux, des mirages gravitationnels, ces phénomènes physiques où des images multiples d'une même source lumineuse sont visibles aux yeux d'un observateur à cause de la présence d'un objet massique proche de la ligne de visée de la source, déviant les rayons émis par celle-ci. L’intérêt? D'une part, mieux évaluer l’expansion de l’univers ainsi que la fraction de matière de son contenu et, d'autre part, étudier la distribution de masse des déflecteurs responsables des mirages gravitationnels. Une collaboration internationale à laquelle a grandement contribué un doctorant liégeois, d’abord en mettant au point un système permettant de détecter les ondelettes qui pourraient déformer la surface du miroir, ensuite en établissant des prévisions sur l’apport scientifique du télescope.

Rayon miroir parabolique1C’est une technologie pour le moins innovante sur laquelle s’est penché François Finet, astrophysicien à l’Institut d’Astrophysique et de Géophysique de l’ULg, en intégrant son objet de thèse à un projet de recherche international. Il a en effet contribué à la réalisation de l’ILMT (International Liquid Mirror Telescope), un télescope à miroir liquide de 4 mètres de diamètre, et à une réflexion autour de la mission scientifique que l'instrument pourra remplir. La prochaine étape sera de l’assembler en Inde avant de le calibrer, et de commencer les observations du ciel. Et en parcourant le programme ambitieux de cet instrument peu banal, il y a de quoi avoir des étoiles plein les yeux. Avant de plonger dans ce projet singulier, peut-être est-il bon de revenir sur les caractéristiques de cette technologie encore méconnue du grand public.

Miroir liquide ?

Difficile, en pensant à notre salle de bain ou au rétroviseur de notre voiture, d’imaginer comment un miroir pourrait être liquide. Pourtant, l’idée est presque déconcertante de simplicité. En faisant tourner du mercure, liquide réfléchissant, sur un plateau circulaire dont l’axe est parfaitement vertical, on obtiendra un miroir parabolique. En plaçant un capteur au foyer, le point où tous les rayons lumineux captés par le miroir sont réfléchis, on obtient un télescope.

Cette idée est basée sur les principes physiques d’un liquide en rotation. En faisant tourner un liquide sur lui-même dans un espace circulaire bien délimité, ce dernier va subir l'action de deux forces. La gravité, qui va exercer une force vers le bas, et la force centrifuge, qui va exercer une force vers l’extérieur (voir schéma ci-dessous). A sa position d'équilibre, la surface du liquide est perpendiculaire à la résultante de ces deux forces. La force centrifuge étant d’autant plus forte que l’on s’écartera du centre,  la surface du liquide est donc de plus en plus inclinée à mesure que l'on s'éloigne du centre du mirroir. La surface résultante est une parabole.

Rotation Miroir

Une maturation tardive

La méthode est connue depuis longtemps, semble être simple, et présente le magnifique avantage d’être bon marché. « A titre de comparaison, illustre François Finet, le projet de l’ILMT, dont le miroir primaire fera 4 mètres de diamètre coûtera 20 à 50 fois moins cher que la construction et l’entretien d’un télescope classique de même taille. » A ce prix accessible, un télescope peut donc être construit et optimisé en vue d'une application scientifique particulière et ce durant plusieurs années, là où les temps d’observation à l’aide de télescopes classiques sont hors de prix et disputés par plusieurs équipes de chercheurs de par le monde.

Pourtant, les premiers tests de cette technologie ne remontent qu’au début des années 1980, et c’est en grande partie aux recherches combinées de Paul Hickson à Vancouver (également lecteur de la thèse de François Finet) et d’Ermanno Borra à l’Université Laval au Québec, que l’on doit sa maturation.

Jusqu’alors, cette technologie présentait des limites de taille. Tout d’abord, la technologie du capteur au foyer du télescope. Le miroir, pour acquérir sa forme parabolique utilise la gravité locale et ne peut donc pointer que fixement au Zénith. Il n'est donc pas possible de pointer dans une direction donnée et de suivre un objet à mesure qu'il se déplace dans le ciel à cause de la rotation de la terre, tel que cela se fait avec un télescope de technologie traditionnelle.
A cause de la rotation de la terre, la région du ciel accessible au Zénith change constamment. Afin de pouvoir imager le ciel défilant au Zénith, il a fallu attendre l'avènement de la caméra CCD, apparue au début des années 1980, permettant de suivre électroniquement les objets défilant au Zénith. Grâce au suivi électronique de la caméra CCD et à la rotation de la terre, le télescope a donc accès à une bande de ciel qu'il image nuit après nuit.

D’autres limites étaient dues au caractère liquide du miroir. « Toute vibration ou perturbation transmises au bol tournant se traduisent par la propagation d'ondelettes à la surface du liquide, qui vont diffuser la lumière réfléchie par le miroir et dégrader la qualité de l'image formée par le télescope, développe le chercheur. Un peu comme des coups ou des griffes dans un miroir. La lumière réfléchie va donc être plus ou moins diffusée en fonction de la qualité du miroir, et affecter la qualité de l'image, qui apparaîtra floue.» 

Plusieurs causes peuvent déclencher ces ondelettes. Il y a d’abord les phénomènes dits transitoires. « Quelqu’un qui va tomber et se cogner contre le plateau, par exemple, plaisante l’astrophysicien. Ou une mouche qui va se poser sur le mercure. » Mais il y a également d’autres phénomènes stationnaires plus embêtants. « Cela peut-être des vibrations transmises par le système assurant la rotation ou un manque de stabilité de la vitesse de rotation. En réalité, on ne peut s’autoriser qu’une variation relative de la période de l’ordre de 10-6. » Par exemple, la période du ILMT est de 8 secondes. Une rotation ne pourra pas varier de plus de 8 microsecondes, ce qui demande une belle précision. Il a donc fallu attendre l'avènement de systèmes permettant une rotation très stable et sans transmission de vibrations. Pour éviter ces vibrations, la partie tournante du moteur est maintenue en suspension dans un palier à air sous pression.

Un autre type d'ondelettes peuvent également affecter la qualité du miroir : des ondelettes en spirale. Celles-ci sont induites par une instabilité due à la vitesse relative trop grande entre le mercure et l’air en contact avec sa surface. « C’est un problème qui concerne davantage l’extrémité de la parabole, vu qu’elle se déplace plus rapidement que son centre. Le mercure tourne avec le plateau et est en mouvement par rapport à l’air qui se trouve juste au-dessus. Si la vitesse du mercure (relativement à l'air) est trop importante, des zones de turbulences vont être générées dans l'air, qui vont à leur tour impacter sur la forme de la surface de mercure et donc détériorer la qualité du miroir. » Ces turbulences pourraient être un facteur limitatif pour la construction de miroirs primaires de très grand diamètre.

Il va également sans dire qu’un télescope à miroir liquide doit être placé dans un environnement stable et calme. En Inde, le télescope sera assemblé au milieu des montagnes, à plus de 2400 mètres d’altitude.

C’est à cause de cette série de problèmes technologiques (le besoin d'un système de rotation stable et la possibilité de suivre électroniquement les objets défilant dans le ciel) que les télescopes à miroir liquide, ont par le passé été écartés de la course aux étoiles. Mais ils gagnent en intérêt depuis une trentaine d’années, et, particulièrement en raison de leur faible coût, sont de parfaits candidats pour assurer des recherches complémentaires à celles effectuées à l’aide de télescopes classiques. C’est dans ce contexte que François Finet a participé à l’élaboration de l’ILMT.

Une thèse, deux apports

Le premier apport de François Finet a été sa contribution à la construction du télescope. Celui-ci a été conçu et testé aux entrepôts d’AMOS. Il a ensuite été démonté et envoyé en Inde, où il sera assemblé et calibré au cours de la deuxième moitié de l’année 2013. L’aspect instrumental est intéressant. Par exemple, la propagation des ondes à la surface du mercure, sera moins importante à mesure que la couche de mercure est fine. Dans le cas de l’ILMT, elle ne fait que deux millimètres d’épaisseur. « La base du plateau est en frigolite, et donc légère, ce qui permet de ne pas nécessiter un moteur trop puissant. Cette base est creusée grossièrement pour obtenir une forme sphérique, sur laquelle est posée une couche en fibre de carbone, pour la solidifier. Ensuite, on enclenche la rotation du plateau et on applique dessus une résine à deux composants, qui une fois mélangés restent liquide un certain temps avant de se solidifier. Liquide, cette résine va donc être soumise aux mêmes forces que le mercure et dessiner une parabole qui restera parfaitement lisse une fois solidifiée. Une couche de 2 millimètres de mercure suffit ensuite pour avoir un miroir parabolique. »

Mais la grande contribution de François Finet, c’est la création d’un nouveau procédé pour détecter les ondelettes, afin de tester la qualité du miroir et pouvoir, le cas échéant trouver des solutions pour l'améliorer. « Traditionnellement, les différentes méthodes de test d’un miroir  se font au centre de courbure, explique le jeune chercheur. Un point situé deux fois plus haut que le foyer. » Le centre de courbure a une particularité intéressante. Les rayons émis par une source lumineuse depuis ce point une fois réfléchis par le miroir, reviennent au même endroit, comme un boomerang. En y plaçant une source et un détecteur, et en analysant la lumière réfléchie, il est dès lors possible de voir si le miroir est lisse ou s’il y a propagation d’ondes (qui peuvent être de l’ordre du micron).

La technique est simple, mais présentait un petit souci. « Dans notre cas, le foyer se trouve 8 mètres au-dessus du centre de la parabole. Le centre de courbure se trouve donc à 16 mètres de haut. Nous avions deux solutions. Soit nous construisions une structure fixe, et stable de 16 mètres de hauteur en faisant un trou dans le plafond des entrepôts d’AMOS pour pouvoir l’installer (perspective qui figeait d’effroi les propriétaires des lieux, Ndlr), soit on trouvait une autre technique pour tester la qualité optique du miroir. »

La méthode alternative développée était basée sur la réflexion d'un faisceau laser sur le miroir  et l'analyse du faisceau réfléchi. Un laser d’un côté du miroir, un détecteur de l’autre, l’idée est simple et fonctionne. Dans le cas où des ondelettes se propagent à la surface du mercure, elles modifient la pente au point d’impact du laser. La direction des rayons réfléchis s’en trouvent modifiées et le faisceau réfléchit oscille. En mesurant l'oscillation du faisceau réfléchit, on peut donc retrouver les caractéristiques des ondelettes au point d'impact du laser sur le miroir. Il « suffit » ensuite de choisir la solution pour atténuer les éventuelles ondelettes en fonction de leur nature.

Faisceau laser miroir1

Des quasars aux mirages gravitationnels

La deuxième partie de la thèse visait à établir des prévisions sur l’apport scientifique du télescope. La gravité donnant sa forme au miroir, ce dernier ne pourra pas être incliné, le télescope pointe donc en permanence vers le Zénith. Cependant, grâce à la rotation de la terre,  le télescope aura accès à une bande de ciel qu'il va imager chaque nuit et on aura la possibilité d’étudier tous les objets s’y trouvant.

Bande du ciel ILMT

Pendant cinq ans, l’ILMT va imager chaque nuit la même bande de ciel et emmagasiner une grande quantité de données sur les variations des flux lumineux de tous les objets dans cette bande de ciel. En comparant les images des mêmes champs acquises nuit après nuit, l'ILMT est un instrument idéal pour détecter les objets photométriquement variables, tels que les quasars, ces noyaux actifs de galaxies dont certains se trouvent à plusieurs milliards d’années-lumière, dont les flux lumineux arrivant jusqu’à nous ont été émis à la moitié de l’âge de l’univers ou plus tôt encore.

Une première étape théorique était de déterminer combien de quasars les chercheurs pouvaient s’attendre à observer. Sur base d’autres études, la répartition moyenne des quasars dans l'espace était connue. De là, il suffit de simuler la population de quasars dans la bande du ciel accessible par l'ILMT et, connaissant le flux lumineux le plus faible qui pourra être détecté par l’ILMT, ne garder que les sources suffisamment brillantes pour être détectées. De cette façon, François Finet a estimé le nombre de candidats à plus de 9000. Il s’agit là d’une simulation prévisionnelle, sur base des connaissances et des hypothèses actuelles communément partagées sur la composition de notre univers. « Mais ce qui m’intéressait réellement, et c’était la deuxième étape de cette partie, c’était d’estimer parmi les quasars qui vont être détectés, combien de mirages gravitationnels nous pouvions nous attendre à observer. Et en calculant la probabilité d'avoir un déflecteur entre la source et l’observateur, suffisamment proche de la ligne de visée former un mirage gravitationnel,  on s’attend à ce qu’il y ait entre 28 et 29 mirages gravitationnels, dont 22 ou 23 détectés, à cause de la résolution angulaire finie de l'instrument, i.e. sa capacité à distinguer deux sources angulairement très proches.» En d'autres mots, on s'attend donc à ce que parmi les 9000 quasars détectés, 29 aient un déflecteur  suffisamment proche de leur ligne de visée, pour qu'il conduise à la formation d'images multiples de ces sources.

Des mirages gravitationnels à la vitesse d’expansion de l’univers

23 mirages gravitationnels sur 9000 quasars, pourquoi le jeune chercheur se réjouit-il tant de les observer ? Parce qu’ils peuvent nous apprendre beaucoup sur l’expansion de l’univers et sur son contenu en matière. « Les observations des mirages gravitationnels peuvent être utilisées de différentes manières, précise l’astrophysicien. D’abord, on peut les utiliser individuellement, ce qui peut nous apprendre deux choses. Premièrement, la déflection de la lumière dépend de la masse totale du déflecteur, qui comprend la masse visible et la matière noire. Si l’on connaît la distance de la source, ainsi que celle du déflecteur, on peut dès lors déterminer la distribution de masse totale du déflecteur. Deuxièmement, si on connaît la distribution de masse du déflecteur, on va pouvoir mesurer la vitesse d’expansion locale de l’univers, la constante d’Hubble, par la mesure des délais temporels. »

 Principe lentille gravitationnelle

En effet, si la source, le déflecteur et l'observateur ne sont pas parfaitement alignés, les chemins optiques empruntés par les rayons des différentes images diffèrent. En conséquence, si le flux émis par la source varie au cours du temps, ces variations vont se marquer avec un certain décalage temporel dans les différentes images. Une partie de ce retard est dû à la différence géométrique des trajets des rayons. Mais ce n’est pas tout. Pendant qu’un des deux rayons parcourt un trajet plus long que l’autre, l’univers continue son expansion, et le deuxième rayon se propage sur une distance d’autant plus longue du fait de cette expansion. Comme si deux personnes courraient après un bus en mouvement. La première, ayant une course plus courte de deux mètres que la deuxième, atteindra le bus avant, mais la deuxième personne courra davantage que deux mètres supplémentaires avant de rejoindre le bus. La distance parcourue par cette deuxième personne à laquelle on soustrait les deux mètres la séparant de l’autre donnera la distance parcourue en plus par le simple fait que le bus roulait.
La mesure des délais temporels existant entre les différentes images permet d'estimer la valeur de la constante de Hubble, mesure de la vitesse d'expansion de notre univers.

D’un point de vue plus global, l’ensemble de ces observations va permettre de créer un échantillon statistique permettant de tester le modèle de l’univers communément admis.  En effet, le nombre de sources multiplement imagées par effet de lentille gravitationnelle parmi un population de quasars détectés, est fortement dépendant du modèle d'univers, ou plus précisément, de la densité de masse cosmologique (la fraction de en matière de l'univers). Donc, une fois que nous aurons détecté les quasars avec l'ILMT et, parmi eux, les mirages gravitationnels présents, nous pourrons trouver la valeur de la densité de masse cosmologique qui permet de  rendre compte de la fraction observée de sources multiplement imagées. Et nous contraindrons par ce fait le modèle de notre univers.

Et après ?

Pendant quatre ans, François Finet a contribué au développement du télescope et à l’encadrement théorique de l'exploitation des données qui seront acquises. Et aujourd’hui, il s’envole pour l’Inde, où enfin, l’ILMT pourra montrer ce qu’il a dans le ventre. Ou plutôt dans les yeux. Le jeune astrophysicien sera présent pour son assemblage, son calibrage et ses premières observations. « On espère déjà détecter des candidats quasars dans les quatre premiers mois d'observation, se réjouit-il, pour pouvoir rapidement effectuer un premier retour scientifique. »

Pendant ce temps, la technologie des télescopes à miroirs liquides convainc de plus en plus de scientifiques. Des études de faisabilité sont en cours pour en envoyer dans l’espace, à bord d'un satellite. Un autre projet encore plus ambitieux serrait d’en envoyer un de cent mètres de diamètre sur la lune. Le mercure pourrait également être remplacé par d’autres métaux réactifs à un champ magnétique pour influencer leur rotation et générer des miroirs sphériques et non plus paraboliques. Enfin, l'utilisation d'un télescope à miroir liquide utilisant un miroir secondaire mobile est également à l'étude. Ceci permettrait dès lors de pointer vers un objet donné avec un télescope à miroir liquide. Le télescope à miroir liquide ne serait alors plus un spectateur passif et fixe de notre univers et ce, pour un coût défiant toute concurrence. Mais si la technologie fait rêver, tous ces projets sont encore au stade embryonnaire de l’hypothèse et de la théorie. En attendant, l’ILMT, lui, a dépassé ce stade, et s’apprête à scruter insatiablement le ciel défilant à son zénith.


© Universit� de Li�ge - https://www.reflexions.uliege.be/cms/c_351789/fr/miroir-mon-beau-miroir?printView=true - 25 avril 2024