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La double vie des neurotransmetteurs

11/09/2013

L’équipe de Laurent Nguyen a mis en évidence le rôle de la glycine dans la migration des interneurones corticaux. Cette étude est une nouvelle illustration de la fonction des neurotransmetteurs à des stades précoces du développement, avant l’établissement de la transmission synaptique et donc de la conduction de l’influx nerveux. Cette découverte met en évidence l’importance de l’environnement sur le contrôle de la migration de ces cellules nerveuses.

Molécules qui assurent la transmission de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre, les neurotransmetteurs sont de véritables messagers chimiques. La communication entre deux cellules nerveuses s’effectue au niveau de la synapse, zone de jonction entre deux neurones. Les neurotransmetteurs, stockés dans des vésicules présynaptiques, sont libérés au niveau de la synapse lorsque le signal électrique atteint l’extrémité du neurone. Le message électrique est de la sorte transformé en signal chimique avant de reprendre sa forme électrique lorsque les neurotransmetteurs se fixent sur le neurone suivant. Initialement découverts et connus dans le cadre de cette fonction de communication nerveuse, les neurotransmetteurs ont dévoilé un autre visage depuis une vingtaine d’années. «Différents travaux rapportent l’expression de neurotransmetteurs et de leurs récepteurs pendant le développement du cerveau, avant que les connexions nerveuses soient établies. Dans ce cas on parle de récepteurs extrasynaptiques», indique Laurent Nguyen, Chercheur qualifié du FRS-FNRS et investigateur WELBIO au GIGA-Neurosciences de l’Université de Liège. L’équipe de ce dernier s’intéresse à la migration neuronale dans le cortex et a mis sur pied un projet visant à définir si les neurotransmetteurs jouent un rôle dans le contrôle de la migration des interneurones du cortex.

Enquête sur la présence de récepteurs à la glycine

Structure moléculaire Glycine«Nous nous sommes plus particulièrement penchés sur un petit acide aminé, appelé glycine», explique Laurent Nguyen. «On savait que ce neurotransmetteur et son récepteur sont exprimés dans le cerveau pendant le développement mais on ne connaissait pas leurs fonctions ». Durant sa thèse, Laurent Nguyen avait déjà travaillé sur le rôle des neurotransmetteurs au cours du développement et sur leurs fonctions extrasynaptiques. «Nous avions notamment montré que les cellules souches du système nerveux central de l’embryon de rat expriment les récepteurs de la glycine»,  précise le chercheur. «Cette fois, dans le cadre de la thèse d’Ariel Avila, nous avons choisi d’analyser l’expression et la fonction des récepteurs à la glycine dans les interneurones en migration»,  poursuit Laurent Nguyen. Les interneurones sont des neurones inhibiteurs et constituent une des deux grandes classes de cellules nerveuses que l’on retrouve dans le cortex, l’autre étant les neurones de projection (Lire La migration des neurones sous l’aile d’Elongator).

Dans un premier temps, les scientifiques ont tenté de déterminer le patron d’expression des récepteurs de la glycine dans le cortex en développement, en se focalisant principalement sur l’une des sous-unités de ces récepteurs : la sous-unité alpha 2. Les récepteurs de la glycine sont composés de cinq sous-unités. Celles-ci peuvent être identiques, on parle alors de récepteurs homomériques, ou de différents type dans le cas de récepteurs hétéromériques. «Pendant le développement, la sous-unité alpha 2 est la plus représentée et il a été décrit par le passé que les récepteurs homomériques composés de cinq sous-unités de ce type sont impliqués dans des fonctions développementales extrasynaptiques dans tout le système nerveux », précise Laurent Nguyen.

Un petit acide aminé qui déclenche une cascade de réactions

Courants membranaires glycinePour détecter les récepteurs à la glycine dans les interneurones, les chercheurs ont eu recours à l’immunohistochimie et à l’électrophysiologie. «L’utilisation d’anticorps et l’enregistrement des courants électriques qui traversent les cellules nous ont permis de mettre en évidence la présence de récepteurs à glycine. Ensuite, grâce à des agents pharmacologiques spécifiques, nous avons aussi pu analyser le type de sous-unités qui composent ces récepteurs», reprend Laurent Nguyen. C’est ainsi que les scientifiques se sont rendus compte que la plupart des récepteurs de la glycine présents dans les interneurones immatures étaient des récepteurs homomériques alpha 2. Ces derniers sont activés par la glycine ambiante provenant très probablement des neurones de projections déjà en place. «Les récepteurs de la glycine sont fonctionnels dans les interneurones en migration et donnent lieu à des courants qui engendrent une modification du potentiel de membrane», poursuit le scientifique.

Voie signalisation moléculaire


La membrane plasmique sépare l’intérieur de l’extérieur de la cellule. Ces deux milieux ont une composition en ions différente. L’activité des protéines membranaires permet le passage d’ions de l’intérieur vers l’extérieur de la cellule ou inversement, ce qui crée un potentiel électrochimique au niveau de la membrane. « Lorsqu’il est composé de cinq sous-unités alpha 2, le récepteur de la glycine forme un canal transmembranaire qui permet le passage d’ions chlorures», indique Laurent Nguyen. « Dans les interneurones en migration, la glycine active ces récepteurs ce qui induit une modification du potentiel de membrane qui entraîne elle-même l’activation d’autres canaux ».  Dans ce cas-ci, ce sont les canaux dits « canaux calciques voltage-dépendants » qui s’ouvrent pour laisser entrer du calcium dans la cellule. « Or le calcium est un messager important pour contrôler toute une série de voies de signalisation intracellulaires. Nous pensons que c’est via ce mécanisme que la glycine contrôle la migration des interneurones », révèle Laurent Nguyen.

La migration des interneurones réduite et ralentie

Pour savoir si les récepteurs de la glycine jouent un rôle dans la migration des interneurones et, le cas échéant, déterminer à quel niveau ils agissent, une seule solution : bloquer ces récepteurs et observer les effets que cela entraîne. « Nous avons utilisé des agents pharmacologiques qui se lient à ces récepteurs à la place de la glycine et nous avons constaté un défaut de migration des interneurones. Celui-ci se traduit notamment pas un problème de mobilité de ces cellules », explique Laurent Nguyen.

La migration des interneurones est particulière (Lire La migration des interneurones corticaux). Elle implique un mouvement du noyau, appelé translocation nucléaire, et c’est ce dernier qui est affecté lorsque les récepteurs à glycine sont bloqués. Cela a pour effet de ralentir et diminuer celle-ci. « Nous pensons que la glycine, via l’activation de son récepteur, contrôle le mouvement du noyau pendant la migration de ces neurones. », continue le chercheur. Ces travaux effectués dans le cadre de la thèse d’Ariel Avila, co-supervisée par Laurent Nguyen et par le Professeur Jean-Michel Rigo de l’Université de Hasselt, sont publiés dans la nouvelle revue de Cell Press : Cell Reports (1).

Afin de confirmer ces résultats, les scientifiques ont utilisé des animaux génétiquement modifiés chez lesquels la sous-unité alpha 2 n’est pas exprimée. « Chez ces animaux dépourvus de récepteurs homomériques alpha 2 de la glycine, on observe également un défaut de migration des interneurones dans le cortex », souligne Laurent Nguyen.

Coupe cerveau souris

L’environnement, un acteur clé de la migration

La présente étude est une nouvelle illustration de la fonction des neurotransmetteurs à des stades précoces du développement, avant l’établissement de la transmission synaptique et donc de la conduction de l’influx nerveux. « En l’occurrence, la glycine contrôle le mouvement des interneurones », résume Laurent Nguyen. « C’est la première fois que nous travaillons sur des signaux extérieurs à la cellule. Elongator et p27 sont des molécules directement exprimées par les neurones alors que la glycine est libérée par d’autres cellules », poursuit le chercheur (voir articles « La migration des neurones sous l’aile d’Elongator » et « La migration des interneurones corticaux »). Cette découverte permet de mettre en évidence l’importance de l’environnement sur le contrôle de la migration de ces cellules nerveuses. « Il y a une complémentarité entre toutes ces molécules qui interviennent dans ce processus et il est primordial que tout  soit bien orchestré pour que cela fonctionne », conclut Laurent Nguyen.

Fondamentales, ces recherches améliorent la compréhension des mécanismes qui régissent le développement du cortex et donc des maladies liées à des mutations qui affectent les voies moléculaires impliquées. Des travaux récents ont notamment démontré que certaines mutations de gènes codant pour des sous-unités de récepteurs aux neurotransmetteurs jouent un rôle dans l’apparition de l’épilepsie, de la schizophrénie et de l’autisme…

(1) Ariel Avila, Pía M. Vidal, T. Neil Dear, Robert J. Harvey, Jean-Michel Rigo and Laurent Nguyen. Glycine Receptor α2 Subunit Activation Promotes Cortical Interneuron Migration. Cell Reports, 15 August 2013. http://dx.doi.org/10.1016/j.celrep.2013.07.016


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