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L’inconscience de soi
14/08/2013

Anosognosie3Contrairement à ce que l'on a pu penser, l'anosognosie n'est pas un symptôme monolithique. Elle peut non seulement intéresser différents domaines selon l'affection à laquelle elle est associée, mais également varier dans sa présentation tant au fil de l'évolution de la maladie chez un même patient que d'un patient à l'autre au cours d'une même maladie. « Les mécanismes qui sous-tendent l'apparition de l'anosognosie sont encore imparfaitement connus, indique Haroun Jedidi. Certes, des facteurs psychologiques interviennent, mais ce symptôme ne peut cependant être assimilé à un déni au sens psychologique ou psychiatrique du terme, comme quand quelqu'un refuse d'accepter qu'il est malade. In fine, la composante majeure de l'anosognosie, que cette dernière soit complète ou partielle, est une altération de la fonction cognitive la plus élaborée : la conscience de soi. »

Dans la maladie d'Alzheimer, le pourcentage de patients anosognosiques s'accroît au fil des progrès de la maladie. Malgré des chiffres parfois un peu discordants en fonction des études, on considère généralement que sa fréquence se situe aux alentours de 10 à 15% des cas au début de l'affection et gravite autour de 40 à 50% dans les stades plus sévères. Cette évolution s'explique par la progression de la maladie en termes de dégénérescence neuronale au sein des régions cérébrales impliquées dans les mécanismes de la conscience de soi.

Attention, danger !

Ce symptôme, loin d'être manichéen, peut en outre varier dans son intensité : on parlera ainsi d'anosognosie complète ou partielle. En d'autres termes, il existe un continuum entre la prise de conscience d'un sujet sain et l'anosognosie complète portant sur les déficits mnésiques, cognitifs ou comportementaux dont peut souffrir un patient. Ainsi, un individu totalement anosognosique pourra tenir un discours du type : « Docteur, mes proches se tracassent pour rien, ils racontent n'importe quoi ; je suis juste un peu fatigué. » Mais un autre, dont l'anosognosie n'est que partielle, pourra dire : « C'est vrai, j'oublie certaines choses, mais que voulez-vous, c'est l'âge - on ne peut rien y faire. »

D'une certaine façon, ne peut-on considérer que l'anosognosie est une chance pour le patient Alzheimer ? En effet, la prise de conscience par le patient de la lente dégradation de ses capacités mnésiques et de ses facultés intellectuelles ou de la modification de ses traits de personnalité peut entraîner une détresse psychologique importante. « Certaines études montrent une relation inverse, en tout cas au début de la maladie, entre dépression et anosognosie, les patients les plus dépressifs étant les moins anosognosiques et les patients les plus anosognosiques étant les moins dépressifs », rapporte Haroun Jedidi.

De là à conclure que l'anosognosie constitue une chance, il y a une marge que le chercheur refuse de franchir. Pourquoi ? Parce que sa présence est de nature à compliquer la prise en charge de ces patients, tout en mettant en jeu leur propre sécurité et celle de leurs proches. Ainsi, tel refusera les aides à domicile ; tel autre conduira sa voiture alors qu'il est incapable de gérer le code de la route ; tel autre encore voudra conserver la mainmise sur la gestion de son patrimoine bien qu'il n'ait plus aucune notion de la valeur de l'argent.

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