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Le nageur hors du temps
10/07/2013

Une grande redistribution des cartes

Les ichtyosaures n’ont donc pas subi d’extinction à la fin du Jurassique, à l’inverse de beaucoup d’autres reptiles marins, et ils ont longtemps préservé une diversité aussi importante que lors de leurs grandes radiations. La compréhension actuelle du groupe permet d’établir avec vraisemblance qu’ils se sont bien éteints de manière « subite » (sur un temps géologique « court » de l’ordre de quelques millions d’années, tout de même) lors du Cénomanien (il y a 95 millions d’années, en plein milieu du Crétacé). Pourquoi ?

Certes, la vie, sur notre planète, a dû faire face à de nombreuses extinctions de masse, parfois violentes. Il y en a eu une au crépuscule du Jurassique, et une, plus connue, il y a 65 millions d’années, à la fin du Crétacé. Suite à la chute d’une météorite, beaucoup d’espèces (Dinosaures non-aviens, groupes de tortues et de crocodiles, ptérosaures…) disparaissent assez rapidement, laissant le champ libre aux petits mammifères, qui se propageront et évolueront pour prospérer jusqu’à aujourd’hui. Les ichtyosaures, qui passent sans heurt l’extinction du Jurassique, eux, disparaissent quelque 30 millions d’années plus tôt, à un moment où, d’un point de vue géologique et paléontologique, il ne se passe a priori pas grand-chose.

Il était plus facile de trouver des hypothèses convaincantes quand on croyait que les ichtyosaures étaient sur le déclin durant le Crétacé. Un petit facteur anodin pour une espèce en bonne santé peut être fatidique pour une espèce en voie d’extinction. « Ces hypothèses n’invoquaient qu’un seul facteur biologique. Il y avait d’abord l’idée d’une compétition avec d’autres animaux plus rapides et se reproduisant plus vite, comme les poissons, ou alors une baisse de diversité des céphalopodes, nourriture principale des ichtyosaures. Mais il s’avère que les espèces d’ichtyosaures vivant au Crétacé présentent des régimes alimentaires variés, et qu’ils demeurent en pleine santé de nombreux millions d’années après l’apparition de poissons et d’autres groupes de reptiles marins. Ces hypothèses n’étaient plus satisfaisantes pour un groupe qui se révélait si diversifié. »

Il fallait donc chercher une autre explication, qui a fait l’objet du dernier chapitre de la thèse de Valentin Fischer (3). Aidé par des chercheurs spécialistes de cette période, il a épluché la littérature traitant de ce qui s’est passé voici 95 millions d’années. Et ce fut une révélation. « Nous avons remarqué que la plupart des groupes marins ont été affectés par quelque chose à cette époque précise. Il y a eu simultanément des extinctions, des fortes explosions de diversité, sur l’ensemble de la chaîne trophique, et dans un laps de temps relativement court. »

Une grande réorganisation des écosystèmes, qui aura été corrélée à un réchauffement climatique important, affectant la température, la salinité et la circulation des océans. « Des études ont permis d’estimer que les niveaux des océans sont montés jusqu’à 200 mètres au-dessus du niveau actuel, et que l’eau en surface était plus chaude, parfois de 15 à 25 degrés. Il n’y avait plus de glace nulle part sur les pôles. Bien évidemment, ce changement a favorisé ou défavorisé les groupes qui peuplaient alors les océans. C’est dans ce contexte-là qu’il faut donc replacer l’extinction des ichtyosaures. » Mais il ne s’agit que de la première clé du puzzle. A l’heure actuelle, il est impossible de déterminer ce qui a en fin de compte causé la perte des ichtyosaures. Est-ce la température, l’extinction d’une autre espèce, ou une autre cause encore ? « Un tel chamboulement implique tellement de variations de facteurs simultanées qu’il est difficile de savoir précisément quel sous-ensemble a joué en la défaveur des ichtyosaures. »

Toujours est-il que les ichtyosaures disparaissent à cette période, ne laissant aucune descendance, après cent cinquante millions d’années d’existence, refermant une parenthèse biologique dans l’histoire de la Terre. Une vraie parenthèse, puisque même leur apparition reste un mystère. Les premiers fossiles étudiés, datant du début du Trias, sont déjà des animaux aquatiques, sans aucune ressemblance avec leurs ancêtres terrestres. Personne ne sait dès lors où se place l’animal dans la généalogie des reptiles.

En dehors de l’évolution, en dehors du temps… Pourquoi Malawania était-il si peu évolué par rapport à ses contemporains ? Quelles étaient ses réelles facultés, ses habitudes, son environnement ? Que s’est-il passé pendant les 70 millions d’années qui le séparent de son plus proche cousin connu ? Plus largement, qu’est-ce qui a finalement causé la disparition brutale d’un animal qui traversait les temps sans heurts depuis plusieurs dizaines de millions d’années ? L’analyse de ce spécimen ouvre une nouvelle branche dans l’étude des ichtyosaures. Elle pose surtout de nouvelles questions et offre aux spécialistes les clés pour continuer les recherches dans une nouvelle direction.

(3) Fischer V. (2013) Origin, biodiversity, and extinction of Cretaceous ichthyosaurs, Thèse de doctorat, Université de Liège .

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